11/01/2021 reporterre.net  7 min #184064

Comment rendre la ville vivable et sans voiture

Pour limiter la pollution de l'air et favoriser une meilleure vie en ville, il faut en finir avec la suprématie de la voiture, expliquent les auteurs de cette tribune. Leur plan de mobilité pour Rennes propose de renverser la hiérarchie des modes de déplacement : d'abord la marche, puis le vélo, les transports en commun, enfin... la voiture.

Sébastien Marrec est chercheur en urbanisme et aménagement à l'université de Rennes 2, Florian Le Villain est architecte-urbaniste. Ils ont élaboré ce plan de mobilité nouvelle pour Rennes dans le cadre de la crise sanitaire. Sa mise en place est proposée aux élus de la métropole bretonne.


Rennes, comme la très grande majorité des villes françaises, reste marquée par un héritage empoisonné qui remonte aux Trente Glorieuses : la prédominance de l'automobile jusque dans les zones urbaines denses. Et ce alors même que les chiffres sur l'augmentation des décès prématurés imputables à la mauvaise qualité de l'air sont bien connus :  48.000 par an, selon Santé publique France. Certaines agglomérations ambitionnent même de continuer à améliorer l'attractivité de l'automobile, comme Strasbourg, avec son Grand contournement Ouest (GCO),  un projet aux conséquences écologiques désastreuses.

Pour mettre la ville en conformité avec les enjeux du 21e siècle - la lutte contre le réchauffement climatique ; la santé... -, il faut modifier radicalement le cadre de vie, de façon à remettre en cause la prééminence de la voiture.

Phases progressives du nouveau plan de circulation à Rennes.

Cette ambition est au cœur du projet global d'urbanisme et de mobilité que nous avons développé à Rennes. Il repose sur un plan de circulation nourri d'exemples étrangers. Celui développé aux Pays-Bas, notamment, à partir du modèle de Groningen (1977), qui a permis à plus de deux cents villes néerlandaises d'atteindre un niveau de déplacements à vélo supérieur à celui de la voiture. Celui, surtout, de Gand en Belgique, mis en place en 2017. Il a empêché la circulation de transit à une large échelle, en obligeant les automobilistes à contourner le centre-ville pour passer d'un quartier à un autre.

Moins d'embouteillages et une amélioration de la régularité des transports en commun

Ce plan rennais consiste, en l'espace d'un mandat, à diviser la ville en dix-sept nouveaux secteurs, délimités par des boulevards, des voies ferrées, des canaux et des rivières : un périmètre central à vocation piétonne, une large zone à trafic limité (ZTL), où seule la circulation de certains véhicules est autorisée (bus, urgences, riverains, livreurs aux quatre points cardinaux), et enfin quinze secteurs périphériques.

La circulation automobile n'y est en aucun cas interdite, mais rendue beaucoup moins efficace que les autres modes. En effet, aucune liaison ne permet à un automobiliste de passer d'un secteur à un autre autrement qu'en empruntant la rocade et deux ceintures de boulevards. À l'intérieur de chaque secteur, les automobilistes sont contraints de suivre des boucles de circulation pour entrer et sortir d'un quartier, sans possibilité de prendre des itinéraires alternatifs susceptibles de faciliter leurs trajets.

Le vélo et les transports en commun seraient nettement favorisés.

La vitesse de circulation est limitée à trente kilomètres-heure dans la majorité des rues - ce qui est indispensable pour faire de la marche et du vélo des modes privilégiés au quotidien par le plus grand nombre. Notre plan prévoit aussi qu'en dessous d'un kilomètre, les déplacements à pied sont privilégiés. Au-delà, le vélo et les transports en commun sont nettement favorisés : il sera plus facile et plus sûr de passer d'un quartier à un autre en bus ou à bicyclette, grâce à de nouveaux aménagements, des itinéraires plus directs et moins de risques de conflit avec des véhicules motorisés. Les quartiers périphériques bénéficieront ainsi d'une meilleure accessibilité.

Tout cela suppose de développer une offre conséquente de parkings relais pour les automobilistes, des consignes à vélo gratuites, et d'investir dans les infrastructures ferroviaires (matériel roulant et personnel), pour créer un réseau de TER dense.


Au final, on obtiendrait moins d'embouteillages et une amélioration de la régularité des transports en commun. À Gand, depuis 2017,  le trafic automobile a diminué de 12 %, tandis que les déplacements à vélo ont connu une progression de 25 % et les transports en commun de 28 %. La qualité de l'air s'en ressent aussi (de 18 % meilleure qu'en 2017).

Outre une diminution des nuisances, et donc une amélioration de la santé, ainsi qu'un plus grand confort des déplacements à pied et à vélo, ce plan permettrait à la vie locale de redevenir prépondérante dans 80 à 90 % des rues. Quel meilleur argument en faveur de l'abandon de la voiture ?

Pour apaiser les quartiers, rien de tel que des « rues aux enfants » devant les écoles

L'espace urbain pourrait ainsi redevenir plus accueillant aux habitants de tous âges, enfants et personnes âgées y compris. Pour apaiser les quartiers, rien de tel que des « rues aux enfants » devant les écoles, aménagées à hauteur d'enfants et pour leurs besoins. Des carrefours routiers pourraient se métamorphoser en places et placettes - arborées et dotées de mobilier urbain -, autant de nouveaux lieux d'échanges et d'activités de plein air (fêtes de quartier, éducation populaire, ateliers de réparation, mobilisations citoyennes). Des associations et des collectifs de riverains pourraient aussi saisir cette opportunité pour mettre sur le devant les attentes citoyennes.

L'extension des trottoirs et la sécurisation des carrefours, la mise au même niveau des trottoirs et des chaussées permettraient d'améliorer l'accessibilité des personnes à mobilité réduite. L'accès en voiture des lieux accueillant du public (salles de spectacles, gares, hôpitaux, restaurants...), pour ceux qui en ont vraiment besoin, serait toujours possible à toute heure du jour et de la nuit.

L'espace urbain pourrait ainsi redevenir plus accueillant aux habitants de tous âges.

Partant de l'idée que la population dans son ensemble souffre des nuisances de l'automobile, ce plan vise d'abord à soulager ceux qui sont gênés, voire empêchés au quotidien de se déplacer dans de bonnes conditions : les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées, les familles, les enfants, les potentiels cyclistes intéressés, mais mal à l'aise dans la circulation, les personnes modestes (plus sédentaires et moins équipées en voitures que les catégories plus aisées)...

Pour le faire aboutir seront nécessaires des mesures innovantes de soutien aux ménages et aux salariés (aide au remplacement de vieux véhicules pour un vélo adapté ou gratuité des transports en commun ; conseils pour trouver des solutions de mobilité alternatives...), des outils de concertation, de pédagogie et de participation citoyennes pour redessiner l'espace public en fonction des publics concernés.

Transformée en vélorue, la rue de l'Horloge deviendra beaucoup plus attrayante et dynamique qu'actuellement. 

À Rennes, notre plan est actuellement mis à la connaissance des élus, des services de Rennes Métropole, des associations de parents d'élèves, d'usagers des transports, des conseils de quartier afin d'en étudier la faisabilité technique et de bâtir le processus de concertation indispensable à sa mise en œuvre. D'autres villes ont exprimé le désir de l'adapter à leur propre contexte, d'autant que sa mise en place ne suppose pas des moyens financiers énormes à court terme. À Gand, quatre millions d'euros ont été investis dans les deux années précédant l'inauguration du plan, en incluant l'importante communication déployée et la création de deux navettes.


Vous voulez en savoir plus et proposer un plan équivalent dans votre ville ? Consultez librement  notre document en ligne.
Source : Courriel à Reporterre

Photos :
Plans et prévisions issus du rapport. © Florian Le Villain
Rennes. Simon/  Flickr
Vélo. Mar Kiddo/  Flickr

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