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TRIBUNE - Heureusement nous avons perdu [I]. Car, en France, nous avions la possibilité de voir l'instruction en famille (IEF) comme un choix d'instruction parmi d'autres. Parce que stupidement, nous pensions qu'avoir le choix ne réduisait pas la responsabilité mais, qu'au contraire, il l'augmentait. Parce que nous croyions, déraisonnablement, qu'interdire l'IEF ou la réduire à des cas exceptionnels, nous privait de nos choix et, par là même, d'une liberté de réflexion et d'action.
Nous ne voulions pas convaincre quiconque d'une quelconque supériorité de l'instruction en famille. Nous voulions seulement évoquer l'importance, pour les familles, de pouvoir choisir le mode d'instruction donné à leurs enfants.
Heureusement, nous avons perdu.
Car, nous aurions pu penser que nos enfants semaient les graines du monde de demain. Que le monde de demain serait difficile et que l'avenir de l'humanité était entre leurs mains et que, devant le défi immense qui les attendait, nous aurions compris que cette diversité, même marginale, était une chance.
Nous aurions pu espérer que nous avions déjà observé les dégâts d'une agriculture intensive et de la monoculture et que, pour que l'espoir demeure, il fallait laisser pousser des graines de toutes variétés.
Nous aurions pu croire que les différences étaient une chance. Que la diversité était un gage d'équilibre.
Heureusement, nous avons perdu.
Nous aurions pu être persuadés que chaque mode d'instruction possédait des atouts mais présentait aussi des manques et des limites et que c'était pour cela que le choix était important.
Nous aurions pu adhérer à l'idée que ces choix étaient une richesse pour inventer de nouveaux rapports à l'éducation, pour nous questionner, pour nous adapter ou pour changer, si nécessaire. Pour que chaque enfant puisse voir son potentiel s'épanouir.
Nous aurions pu être convaincus que l'instruction pouvait être vécue par nos enfants, non comme une contrainte, mais comme une chance.
Heureusement, nous avons perdu.
Car, nous souhaitions que nos enfants soient acteurs, partie prenante de leur éducation et de leur instruction.
Car, en pratiquant l'IEF, nous prenions le pari que nos enfants prendraient conscience de la valeur de l'instruction et de leur chance d'appartenir à un État dans lequel chaque enfant peut la recevoir. Nous considérions que si un jour nos enfants prenaient le chemin de l'école, ils seraient acteurs de leurs apprentissages et épanouis.
Nous aurions pu rêver qu'en France, les enfants n'appartenaient pas à l'État, ni à leurs parents, mais qu'ils étaient des personnes à part entière.
Nous aurions pu imaginer que notre gouvernement fasse confiance aux personnels de l'Éducation nationale qui évaluaient l'instruction et la progression de nos enfants déclarés chaque année. Qu'il fasse également confiance aux services sociaux qui vérifiaient leur épanouissement et leurs conditions de vie.
C'était pourquoi, associer radicalisation et IEF nous semblait infondé et qu'interdire l'IEF nous semblait une régression vis-à-vis des combats menés en faveur de l'éducation et de l'instruction pour tous.
Heureusement, nous avons perdu.
Car, pratiquer l'IEF, pour nous, ce n'était pas faire ce que l'on voulait de nos enfants. C'était simplement tenter de faire au mieux pour nos enfants, comme n'importe quel parent. Parce que pratiquer l'IEF impliquait de connaître les attendus du socle commun, de justifier nos choix pédagogiques, organisationnels, et de montrer notre attachement aux valeurs de la République.
Nous savions que notre liberté n'était pas absolue, mais nous imaginions que pouvoir s'autoriser des variations autour de valeurs communes et d'un socle commun de connaissances, c'était laisser s'inventer de nouvelles richesses dans notre rapport au monde.
Mais heureusement, nous avons perdu.
Car, nous aurions pu présumer qu'une loi visant à conforter les principes républicains ne pouvait s'appuyer sur un texte de loi qui permettrait des autorisations subjectives, à la tête du client ou à l'opinion qu'une personne peut se faire d'une situation.
Nous aurions pu supposer qu'une loi ne pouvait bafouer le principe même d'égalité.
Et nous aurions pu croire la promesse d'Emmanuel Macron qui avait tenu à rassurer une dame du prénom de Lydia, lors d'une interview à Brut début décembre, en lui assurant que les familles pratiquant l'IEF dans le respect des valeurs de la République, n'auraient rien à craindre.
Parce que, aveuglés par une victoire, nous aurions pu croire que nos puissants avaient un peu de sagesse et d'humilité.
Puis, nous aurions pu nous laisser aller à penser que nos enfants vivaient et vivraient dans une société où ils étaient et seraient égaux en droits, responsables de leurs actes, conscients de leurs devoirs vis-à-vis d'autrui. Que nos enfants vivaient et vivraient dans un monde de fraternité où le respect de l'autre, la bienveillance, la solidarité et l'empathie étaient des biens communs. Qu'ils étaient et resteraient libres, libres d'exprimer leurs opinions, libres de vivre selon leurs choix et dotés d'un esprit critique.
Et finalement, nous aurions pu nous dire que les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité nous unissaient encore.
[I] Pour rappel, le 13 Août 2021, le Conseil constitutionnel a validé, dans le cadre de la loi sur les séparatismes, le principe que l'instruction en famille serait accessible sur autorisation :
- pour impératifs de santé ou handicap
- en raison de la pratique artistique ou sportive intensive
- en raison de l'itinérance des parents
- en raison de « l'existence d'une situation particulière propre à l'enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant »
L'accès à ce mode d'instruction sera donc considérablement réduit à partir de la rentrée scolaire de 2022.
L'IEF était, jusqu'alors, soumise à une obligation de déclaration suivie de contrôles.