par Maxime Perrotin.
L'arrêt rendu par la plus haute juridiction polonaise en faveur de la primauté du droit national sur le droit communautaire enflamme Bruxelles. Pour l'eurodéputé Hervé Juvin, l'UE doit dorénavant marcher sur des œufs.
« Polexit » : le mot est lâché depuis que la Cour constitutionnelle polonaise a jugé « incompatibles » l'interprétation par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) de certains articles des traités européens avec la Constitution du pays.
Dans cet arrêt rendu le 7 octobre, la plus haute juridiction polonaise accuse la CJUE de saper la souveraineté de l'État et fait donc prévaloir la primauté du droit national sur le droit européen. Cette décision a fait l'effet d'une bombe. Bruxelles a déjà brandi la menace de ne pas verser à Varsovie les fonds prévus dans le cadre du plan de relance.
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Hervé Juvin, eurodéputé RN (groupe « Identité et démocratie » au Parlement européen), revient au micro de Sputnik sur cette énième passe d'armes entre Bruxelles et Varsovie.
Sputnik France : Après la décision de la Cour constitutionnelle polonaise de subordonner le droit européen au droit national de son pays, la Pologne est dépeinte comme étant sur le chemin de la sécession vis-à-vis de l'Union européenne. Selon vous, comment cet arrêt doit-il être perçu ?
Hervé Juvin : Il s'agit d'une excitation en grande partie injustifiée puisque la Cour constitutionnelle polonaise vient de faire la même chose que ce que fait l'Allemagne, où la Cour de Karlsruhe a plusieurs fois rappelé la supériorité de la constitutionnalité allemande sur les dispositions des traités européens. C'est notamment le cas dans des domaines qui concernent la monnaie, la dette, ce qui a d'ailleurs conduit l'Allemagne à refuser la mutualisation des dettes européennes de manière systématique. Donc, on s'étonne de pas grand-chose.
C'est pour moi la nécessité d'expliciter une doctrine implicite de l'Union européenne : que sans arrêt, elle prend plus d'autorité et s'ingère davantage dans les dispositions intérieures des États. C'est l'idée résumée par les mots « toujours plus d'Europe » ainsi que la fameuse méthode du cliquet chère à Jean Monnet.
On pourrait dire qu'on en arrive à une ingérence qui remet totalement en cause un principe sacro-saint pour l'Union européenne dans les années 80-90 : le principe de subsidiarité. Celui-ci est très simple : l'Union européenne doit se mêler que de ce qu'elle est la seule à pouvoir faire ou ce qu'elle sait mieux faire que les nations. On est complètement sorti de cela.
Au lieu de cela, on est sur une dérive qui, contrairement à ce qui a été dit, est moins une dérive fédéraliste qu'une dérive qui constitue à dire qu'il y a une souveraineté européenne, qu'il y a une citoyenneté européenne, comme le fait le Président Emmanuel Macron et comme il s'apprête à le faire au cours de sa présidence française de l'Union. Ce qui veut dire que l'Union européenne se transformerait en État-nation, dont les nations ne seraient plus que des régions et des provinces.
« Le véritable changement, qui n'est pas suffisamment commenté, c'est celui-là : nous sommes en en train de sortir de l'idée d'une fédération, qui fait que chaque nation garde son ordre constitutionnel, ses lois, pour aller vers l'idée d'une Europe État-nation. Ce qui est évidemment totalement incompatible avec ce qui reste de souveraineté aux nations.
Sputnik France : Faut-il s'en inspirer ? La France se conforme-t-elle trop aux institutions européennes, même quand leurs décisions sont radicalement contraires à ses propres intérêts nationaux ?
Hervé Juvin : Ce qui se passe est très exagéré, mais c'est révélateur d'un profond malaise. À force de pratiquer l'effet cliquet, à force de s'ingérer de plus en plus dans les lois et systèmes judiciaires des États, probablement que l'Union européenne est en train de franchir des lignes rouges. Je pense que c'est le franchissement d'un certain nombre de lignes rouges de cette nature qui ont provoqué le Brexit.
Les Britanniques ne supportaient pas que l'Union européenne se mêle, par exemple, du droit de vote des prisonniers. Ce sont des dispositions qui peuvent paraître accessoires, mais qu'une nation considère comme faisant partie de sa colonne vertébrale. Et quand l'UE se mêle de toucher à des éléments d'identité nationale, notamment le rapport à la loi, le rapport à la Constitution, à l'ordre judiciaire, je peux craindre que cela remette en cause tout le processus européen.
Je crois qu'il faut réfléchir sur une dérive totalitaire de l'Union européenne. Très clairement quand l'UE - je suis dans la commission du commerce international - négocie des traités d'échange avec d'autres continents et d'autres pays, elle me parait totalement dans sa vocation. Que l'UE prenne un certain nombre d'engagements, négocie un certain nombre de choses dans l'intérêt commun des États nations qui la composent, cela me paraît relever de l'ordre naturel des choses.
En revanche, que l'UE, au nom de notions aussi vagues que celles de « nos valeurs » ou que celle de « l'État de droit » décrète quel doit être l'ordre judiciaire d'un État souverain, quelles doivent être ses lois, par exemple est-ce que le mariage c'est homme et une femme ou pas, là on peut considérer que l'Union européenne, au nom de prétextes très généraux et très vagues, outrepasse totalement sa mission. En clair, on a une dérive totalitaire de l'UE, au nom de l'État de droit, qui aboutit à étouffer totalement les libertés politiques, ce qui est paradoxal.
Sputnik France : Faudrait-il, comme en Allemagne, instaurer un « bouclier constitutionnel », comme le suggérait Marine Le Pen il y a près d'un an ?
Hervé Juvin : « Il y a beaucoup d'aspects paradoxaux dans cette affaire. Le premier, c'est que l'UE critique les procédures de nomination des juges. Il y aurait à s'interroger sur l'opacité de la nomination des juges de la Cour de Justice européenne. En quoi sont-ils légitimes, sachant qu'eux-mêmes sont nommés par des politiques, c'est exactement ce que l'Europe reproche à la Pologne ! Le second paradoxe est que l'UE n'arrête pas de parler de liberté et de leur défense. Or, la première liberté d'un peuple souverain sur son territoire, c'est de faire les lois qui s'y appliquent.
On est en train de remplacer des lois votées par les représentants élus au suffrage universel, donc démocratiquement à l'intérieur des nations, par un droit positif établit en référence à des valeurs qui sont vagues, à des conceptions très générales. Quelque part, on a un droit hors-sol que l'Union européenne serait en droit d'imposer à toutes les nations. Ce qui justifie le mot, un peu fort que j'employais de « dérive totalitaire ». C'est-à-dire qu'il y a un alignement forcé des nations européennes sur un droit venu de nulle part, que l'UE aurait le privilège de faire adopter partout.
C'est un privilège absolument exorbitant, évidemment que cela se heurte à la volonté des nations. Parce qu'il faut être clair, la Pologne est mise en exergue, mais il y a beaucoup de pays derrière elle qui ne supportent plus les ingérences croissantes de l'Union européenne dans leurs affaires.
Sputnik France : Vous voulez dire que ce nouvel épisode de tensions entre Bruxelles et Varsovie reflète une aggravation du fossé au sein de l'UE entre l'Ouest et l'Est ?
Hervé Juvin : À l'évidence oui, d'autant qu'il y a une question d'appréciation politique. Il y a certainement eu un moment en Europe - et il faut s'en féliciter - où il fallait faire progresser les libertés individuelles et des minorités. Et il y a un moment où la majorité a eu le sentiment d'être persécutée par les minorités et qu'on lui enlève sa souveraineté, précisément au nom du droit des minorités.
C'est ce qui, je pense, est en train de se passer en Europe : il y a un réveil des peuples, un réveil de gens qui se disent qu'ils n'ont jamais voté ces lois-là. Des gens qui se disent que ces lois qui s'appliquent chez eux n'ont jamais été ratifiées par le suffrage universel, qu'elles ne sont pas démocratiques et que tout ceci leur est parachuté d'en haut par l'Union européenne.
Depuis plus de cinq ans, sur fond de respect de « l'État de droit », de réforme de la justice et de limitation du champ d'action des ONG, les autorités polonaises sont dans le collimateur de la Commission européenne.
Je pense que ce mouvement est profond et je pense que l'Union européenne devrait faire attention à des mots ou à des attaques inconsidérées contre des pays comme la Pologne, la Hongrie et bien d'autres, qui veulent tout simplement que l'on respecte la volonté des citoyens.
Sputnik France : Parce que ces pays que vous citez, aujourd'hui chatouilleux vis-à-vis des invectives de Bruxelles, sont ceux qui se sont émancipés de la tutelle soviétique ?
Hervé Juvin : Lors d'un colloque polonais, il y a quelques années, j'avais été très frappé d'entendre un ministre polonais dire de manière très forte « même l'Union soviétique n'a pas réussi à nous faire enlever les crucifix des écoles, donc il ne faut pas que l'Union européenne pense qu'elle va réussir à le faire ». Et c'est un sentiment très largement partagé dans tous les pays qui ont échappés à la tutelle soviétique et qui de plus en plus se disent qu'ils n'ont pas échappé à la tutelle soviétique pour tomber dans une Union européenne qui adopte exactement les mêmes procédés et qui est aussi intrusive. »
source : fr.sputniknews.com