Dante Barontini
Dans un contexte de crise politique, économique et sociale, les partenaires du gouvernement d'union nationale, à l'exception du Parti démocrate, ont lâché Mario Draghi, contraint de présenter sa démission le jeudi 21 juillet. Dante Barontini nous explique que cette implosion va au-delà des affaires politiciennes et des psychologies individuelles de tel ou tel représentant. Surtout, elle ne semble rien augurer de bon dans la perspective d'élections anticipées qui devraient se dérouler dans le chaos. (IGA)
Le désastre collectif au Sénat, lors du « jour le plus long » de la législature, a été une surprise pour tout le monde.
Une surprise pour les protagonistes directs, pour les analystes et les valets des médias qui pendant plus de 18 mois, nous ont gavés des talents grandioses de l'ancien président de la BCE - par ailleurs ancien président de la Banque d'Italie, ancien vice-président de Goldman Sachs et avant cela, directeur du Trésor sous le gouvernement de Giuliano Amato. Une surprise aussi pour les pouvoirs supranationaux qui ont fait entendre leur voix ces derniers jours et qui, dès hier, ont commencé à « faire bouger » les marchés financiers pour soumettre ce pays à une « cure de cheval » qui était prête depuis des années.
Cela nous a surpris aussi, en partie, parce que depuis dix ans (à partir du gouvernement Monti, installé de force par Mario Draghi lui-même, avec sa lettre d'août 2011), chaque pression du capital multinational et des institutions supranationales (européennes et étasuniennes) s'était toujours terminée par la reddition de la classe politique nationale, expression particulièrement inconsistante d'une classe sociale : la petite et moyenne bourgeoisie, productive ou commerciale ou celle des professions libérales.
Cette fois - du moins en apparence - l'affrontement s'est terminé à égalité. Une pression exagérée aurait provoqué une réaction de rejet de la part d'un parlement déjà réduit à un « bivouac de manipulations ». Mais cette image est trop fausse pour être fiable.
En effet, il serait ridicule de parler de la crise politique dans un pays du G7 comme d'une affaire de « psychologies individuelles », de représailles et d'ambitions entre des hommes isolés ou des consortiums de clients. Celui qui est » délégué à la politique » fait de toute façon partie d'une classe ou d'une fraction de celle-ci, d'un ensemble de relations, représente ses intérêts et dans le jeu politique doit être capable de les arbitrer avec ceux des autres fractions.
Cette capacité de médiation, à un niveau élevé, n'existe manifestement chez aucun des principaux acteurs de cette « omelette ». Elle n'est pas présente chez le principal protagoniste, ce Mario Draghi, qui aura montré qu'il ne connaît pas la différence entre diriger une banque (centrale ou marchande) et diriger un pays.
Trop violents ses deux discours contre (presque) toutes les forces politiques qui faisaient partie du « gouvernement d'union nationale ». Il a trop insisté sur les points contre lesquels il a dû repousser (toujours avec succès) les pressions de certains dirigeants. Trop d'ironie envers ceux qui, à la télévision, ont montré de la sympathie envers les protestations contre les mesures qu'il a contresignées.
Des tonalités qui rappellent les coups de fouet donnés par Giorgio Napolitano lorsqu'il a été « persuadé » d'accepter un second mandat temporaire de président de la République.
Pour beaucoup, les discours de Draghi semblaient volontairement destinés à être contestés, et à donner au président Mattarella une image si dévastée qu'il serait obligé - si jamais il était réticent - de dissoudre les Chambres.
Si l'on observe ce spectacle douloureux de l'extérieur, on ne peut que conclure que Draghi est et était inadapté à la tâche, un homme surestimé dans un rôle qui n'est pas le sien. Ou peut-être était-ce le tueur à gages envoyé pour « récupérer les crédits », c'est-à-dire pour dissoudre ce qui restait de la classe politique la plus ridicule d'Europe.
Même après la scission de Di Maio et la perte de ses troupes résiduelles de « grillons », la majorité semblait très solide. Mais en l'espace de cinq jours seulement, Draghi a réussi le « miracle » de la transformer en un nuage de poussière, pas même bon pour construire un château de sable.
Jusqu'à cet absurde vote de confiance proposé par une résolution de Pierferdinando Casini à travers laquelle le Parlement aurait dû approuver sa propre mise en demeure. Moins d'un tiers des sénateurs lui ont accordé cette « confiance », se déclarant inutiles.
Et ce jeudi matin, la chose s'est répétée à la Chambre.....
Dès le début, Draghi a essayé avec insistance de soustraire son gouvernement aux « prétentions » de partis sans grande vision ni grands projets. Si bien que cela a entraîné une hostilité d'abord sourde, puis criarde. Il fallait démontrer qu'un « gouvernement d'union nationale » ne peut exister que si les partis qui le composent acceptent, du tout au tout, de se dématérialiser comme l'a fait le Parti démocrate.
Cette même incapacité de médiation torture également les prétendues « forces politiques ». Elles ne sont en réalité que des comités électoraux qui ne carburent qu'à la « communication » et à l'occupation de positions de pouvoir (relatif). Quiconque a suivi le débat au Sénat a pu saisir les « horizons étroits » avec lesquels chaque formation a affronté le fouet de l'homme qui les avait dirigés pendant un an et demi.
Aucun n'a saisi quelque chose de plus grand - et de plus dangereux - que ses propres intérêts particuliers, déjà projetés sur les prochaines élections générales. Aucun n'a été capable de prendre en compte (ou de dénoncer) les véritables menaces « extra-institutionnelles » que Draghi avait semées dans son discours.
On peut dire que la division très délibérée de toutes les forces politiques, dans le but de créer une « nouvelle classe politique », a fini par produire l'impossibilité de trouver une quelconque source de cohésion.
Hier, cette scission s'est poursuivie avec une nouvelle semi-scission du parti Cinq Étoiles (un peu moins importante que prévu, car l'essentiel de la scission devrait concerner les députés plutôt que les sénateurs). Avec des annonces de rupture au sein des Berlusconiens. Avec des divisions au sein de la Ligue que seul un euphémisme peut qualifier de « diversité de vues ».
Accepter ou poursuivre la sortie de scène de Draghi, du point de vue des différentes fractions bourgeoises mineures, aurait pu avoir un sens en présence d'un « front » organisé, prêt à le remplacer par un autre projet, d'autres programmes, d'autres dirigeants.
Mais cela s'est produit parce qu'en fait, aucun comité électoral ne veut payer le prix fort pour des mesures impopulaires ou ouvertement indifférentes au malaise de la majorité (rien contre l'inflation, à part une « gratuité » unique de 200 euros ; rien sur les augmentations de salaires, seulement de la fumée sur le « coin fiscal », etc.) Ou peut-être parce qu'ils se sont sentis traités publiquement pour ce qu'ils sont : une bande de « nains et de danseurs » (citation de « Prima Repubblica ») cantonnés dans des rôles dont ils ignorent les fonctions élémentaires.
Il n'y a donc plus de gouvernement de l'Union européenne et de l'OTAN, présidé par le « garant » le mieux indiqué par ces mêmes puissances. Mais il n'y a personne d'autre non plus. Personne ne sait non plus comment et sur quoi le recoller, et combien de temps cela prendrait.
Nous pouvons voir l'affrontement qui se déroule sous nos yeux comme un conflit interne à la classe dirigeante. D'un côté, le grand capital qui se déplace sans tenir compte des frontières nationales, tout au plus celles de l'OTAN. De l'autre, ces figures « entrepreneuriales » résolument plus « locales » - et marginales. Nous nous rendons compte alors que du premier côté, un projet de grande envergure existe, et ce depuis des années. Il n'est pas du tout secret ou « non avoué ».
Le plan a toujours été poursuivi - mais avec des résultats mitigés - à travers des traités et la pression des « marchés », au point de conseiller directement la nomination d'un proconsul comme Draghi. Il était chargé de réaliser, « gentiment », de l'intérieur, les transformations du modèle économique et institutionnel qui seraient autrement imposées « au pire », au rythme des directives et des procédures d'infraction de l'UE.
Et en effet, les tempêtes qui se préparent à nos portes sont sans fin. La dette publique a encore augmenté, pour atteindre environ 160 % du PIB. Les comptes extérieurs, toujours positifs jusqu'à présent, sont en chute libre en raison des sanctions émises contre la Russie, qui reviennent comme un boomerang sur les économies qui commerçaient le plus avec Moscou.
L'inflation galope depuis un an, avec des records sans cesse renouvelés. Et la hausse des taux d'intérêt que la BCE va décider ce jeudi même pourrait être dévastatrice pour l'Italie.
Toujours sur ce front, la promesse du « bouclier anti-spread » devient hasardeuse en l'absence d'un « garant » fiable pour Francfort, Bruxelles et Berlin.
Il y a aussi la crise de l'énergie, l'Union européenne ayant ordonné une réduction de 15 % de la consommation de gaz dans les mois à venir (en laissant à chaque État le soin de décider comment).
Et pour couronner le tout, il y a la guerre en Ukraine, qui implique des liens avec Washington que personne ne sait pour l'instant comment gérer, sauf en obéissant comme d'habitude - et même plus que d'habitude.
Il est difficile de trouver quelqu'un qui sache comment gérer cette situation, sachant d'ailleurs pertinemment qu'à l'automne, toute une série de troubles sociaux se manifestera inévitablement dans les rues et sur les lieux de travail.
Le pire aurait pu arriver encore plus tôt, le « parapluie de Draghi » l'ayant repoussé un temps. Mais maintenant, tout va se dérouler comme il se doit, avec éventuellement les conseils de Draghi lui-même pour faire plus de mal là où il le peut.
La classe dirigeante nationale - qui comprend les entreprises et la classe politique - n'est absolument pas à la hauteur des problèmes à traiter.
Même aller aux élections dans ces conditions s'avère compliqué. Pour réformer le Parlement et réduire d'un tiers le nombre de députés, il faut redécouper les collèges électoraux (400, et non 630, doivent être élus) et peut-être modifier la loi électorale elle-même. Mais il n'y aura ni le temps ni l'accord pour le faire. Et le résultat - prévisible - sera un désordre qui donnera naissance à un nouveau parlement sans forme ni colonne vertébrale. Prêt - pour éviter que le pays ne connaisse de pires difficultés - à être remis entre les mains d'un « gouvernement technique ».
Peut-être avons-nous tort. Et peut-être même devons-nous l'espérer...
Source originale: Contropiano
Traduit de l'italien par GL