13/10/2008  22min #21393

Une espèce ingouvernable

1 - La cage aux fauves
2 - La politologie copernicienne
3 - La simianthropologie critique
4 - Un Ponce Pilate du cosmos
5 - La seconde chute de l'empire romain
6 - L'anthropologie théologique du politique
7 - L'assise théorique de l'anthropologie critique
8 - L'anthropologie critique et le moule spéculaire de l'immoralité

1 - La cage aux fauves

Rares sont les heures où notre espèce semble prendre rendez-vous avec la fatalité historique gravée dans ses chromosomes, rares sont les heures où la politique illustre à l'échelle mondiale les contradictions internes les plus spectaculaires dont souffrent les descendants diversifiés du chimpanzé, rares sont les heures où le simianthrope en vient à caricaturer son statut psychogénétique sous les traits du destin dont il se rend l'otage. Mais le spectacle de ce naufrage millénaire est le pain bénit de la pensée. Pourquoi la raison fait-elle de ce théâtre son gibier naturel ? Parce que si le soleil de la connaissance ne prêtait pas ses feux à la mort, le taureau périrait sans noblesse dans l'arène où l'acier d'une épée salue sa vaillance.

Le matador doit s'armer d'une dramaturgie de l'histoire qui mette en scène la migration constante du simianthrope de l'utopie à la jungle et de la jungle à l'utopie; car sans cesse le zoo des idéalités artificielles de la démocratie échoue à apprivoiser la bête, et sans relâche la cage aux fauves succède aux Eden de confection de la Liberté. Mais quand la piste du cirque se rétrécit, les fauves se ruent les uns sur les autres et se dévorent entre eux. Aujourd'hui, Clio s'apprête à exposer une fois de plus les entrailles de l'Histoire à tous les regards, une fois de plus les autels et les étals alternés du genre simiohumain vont illustrer le basculement de cette espèce entre ses paradis et ses jougs.

Mais le capital psychobiologique de cet animal n'est pas non plus tel qu'il se trouve contraint à joindre les pattes pour la prière, puis à plonger ses crocs et ses griffes dans la carcasse de ses congénères pour en consommer le cadavre et en laper le sang. Cette espèce a cessé de consommer ses morts et d'en boire le sang en public - elle réserve cette nourriture à l'exercice de sa piété. Car ce métis de l'homme et d'un quadrumane à fourrure est dichotomique de naissance, de sorte qu'il subit la contrainte de lever vers le ciel des yeux d'abandonnique et de s'environner de cierges pour mieux apprêter ses repas sur l'autel. C'est ainsi que, dans l'évangélisme marxiste, l'odeur de l'encens qui montait des saints écrits de Karl Marx enfumait les goulags, tandis que, dans la démocratie, l'hostie sanglante des chrétiens guide la "main invisible du marché". Pour observer ces massacres sacrés, il faut humer le parfum des chandelles de la Liberté et de la Justice qui monte vers l'abside de la cathédrale des droits de l'homme.

2 - La politologie copernicienne

Aux yeux de la simianthropologie critique, la grande nouveauté théorique de notre temps, réside dans la découverte d'une aporie centrale, à savoir que l'effondrement corporel du rêve marxiste en 1989, suivi, deux décennies plus tard, de la chute morale et cérébrale du capitalisme mondial ont démontré l'évidence que le genre simiohumain est ingouvernable à titre chromosomique et qu'il le restera. Du coup, la politologie classique perd son assise pour basculer dans un scannage de la condition semi animale de l'humanité. Apprendre à penser l'Histoire, c'est désormais traquer l'origine, la nature et les conséquences de la malfaçon originelle qui, de millénaire en millénaire, fait choir les semi évadés du règne animal dans des mondes tout ensemble dévots et carnassiers. Pourquoi cet étrange bipède n'est-il condamné ni à s'évanouir entièrement dans les vapeurs d'un monde éthéré, ni à ramper sur la terre sans élever ses regards vers les nuages qui courent dans les airs?

Certes, la politologie des ancêtres savait depuis longtemps qu'il n'est pas de formes durables de gouvernement: la démocratie, disait-elle, conduisait fatalement à la démagogie, la monarchie fatalement à la tyrannie, l'oligarchie fatalement au népotisme. Puis nos pères avaient commencé de comprendre que tous les régimes politiques sont, en réalité, des oligarchies diversement composées et inégalement affichées ou camouflées, de sorte qu'il s'agissait d'observer en premier lieu la nature particulière de ces phalanges, puis la perversion de leurs centurions et enfin les formes spécifiques de la dégénérescence dont chacun de ces manipules devenait la proie par le seul effet de l'écoulement d'un temps simiohumain perverti par sa bancalité native.

Mais cette problématique schématique s'est révélée globalement insuffisante pour peser à bon escient les mythologies sacrées sur lesquelles les divers modèles de gouvernement du simianthrope branchent le cerveau des peuples et des nations. Un roi protestant n'use pas du même encéphale collectif et ne règne pas sur les mêmes têtes qu'un roi catholique, hindou ou musulman. Mais depuis 1917, la politologie officielle s'est bien gardée d'étudier le marxisme slave comme un dérivé de l'évangélisme orthodoxe, le marxisme italien et sud américain, comme des variations du catholicisme romain, le refus anglo-saxon du mythe prolétarien comme une expression du pragmatisme protestant et du génie bancaire. Puis l'apparition, à partir de 1945, d'un capitalisme mondial messianisé, vaticanisé et scolarisé à l'échelle de la planète, donc assorti d'une sotériologie démocratique dogmatisée sur les cinq continents a condamné en secret la scolastique que la politologie universitaire était devenue à l'échelle mondiale à changer entièrement de logique interne afin de tenter de rendre compte de la nature viscéralement onirique de l'encéphale simiohumain. L'heure de l'interprétation anthropologique de l'histoire avait sonné.

3 - La simianthropologie critique

On découvrait soudainement que jamais ni sa chair, ni sa terre, n'avaient fourni ses vraies armes politique au singe semi cérébralisé, mais toujours le sang de ses ciboires. Dans le christianisme, ce sont des armées d'anges et de séraphins voletants dans le ciel d'un sacrifice de sang qui ordonnent à cet animal de plonger les mains dans sa propre hémoglobine dûment sacralisée et proclamée salvifique. Sept siècles après les débuts de la Renaissance en Italie, la politologie pseudo rationnelle de l'Occident demeure inconsciemment l'otage de la théologie romaine du seul fait qu'elle entend ignorer qu'elle se fonde tout entière sur la divinisation du sang de l'Histoire. Pourquoi les vraies armes politiques du messianisme marxiste n'étaient-elles autres que le faisceau de ses idéaux oniriques et sanglants eux-mêmes, pourquoi les vraies armes politiques du libéralisme américain convergent-elles vers une apologétique factice de la justice, une orthodoxie de façade de la guerre contre la pauvreté, l'apostolat d'un suffrage universel réputé infaillible et rédempteur, une religion de la délivrance à l'écoute des autels de la " liberté ", sinon parce qu'au cœur de la piété marxiste, le clergé des hauts dignitaires de la foi conduisait l'histoire sur les chemins de son salut par le glaive et le sang d'une révolution dont un " grand soir " symbolisait l'apothéose, tandis que dans le capitalisme de Wall Street, c'étaient les banquiers, les financiers et les chefs d'entreprise, qui jouaient le rôle des apôtres de la guerre intraitable de la vérité au ventre plein contre le Démon du Mal au ventre vide.

Certes, ainsi exposées, ces évidence paraissent contredites par les caméras : une espèce pilotée par son inconscient religieux finit par croire aux masques du rationnel qu'elle arbore depuis Machiavel. Certes encore, les comptes-rendus événementiels donnent le change au point que leur lecture superficielle de l'Histoire semble couler de source et s'imposer d'emblée. Le quotidien est myope par définition. Mais il suffit qu'un Empire se sente aux abois pour qu'il revienne d'instinct aux sources semi animales de son histoire, celles où le ciel sanctifie le sang que versent ses serviteurs pour le triomphe de son glaive. Voici quelques titres de chapitres du dernier ouvrage de Mme Madeleine Albright, ancien Secrétaire d'Etat américain (Dieu, l'Amérique et le monde, éditions Salvator, 2008) : Le tout puissant et la puissance américaine, Foi et diplomatie, Les Arabes et la démocratie.

Un siècle et demi après Darwin, la politologie moderne est condamnée à se convertir à une science abyssale de l'enracinement du genre simiohumain dans ses origines animales donc, comme il est dit plus haut, à une simianthropologie ambitieuse de décrypter les secrets théologiques, donc sanglants d'un animal au cerveau biphasé et qui fait du sacré le creuset de son sang glorifié. Mais la radiographie d'une espèce bipolarisée sur ce modèle ne se réduira pas à peser tour à tour les ivresses verbales et les platitudes d'un animal bifide et de les poser sur les plateaux d'une balance subrepticement idéalisée à son tour, comme si les paramètres rationnels d'une pesée de ce genre pouvaient conduire l'interprétation simianthropologique à poser les fondements d'une politologie roborative, donc enfin en mesure de rendre l'espèce schizoïde définitivement gouvernable. Non seulement il n'existe pas de juge dont les verdicts montreraient le chemin de la "vérité" à une piétaille désespérément dédoublée entre le sang de ses ciels et celui de ses armes, mais, par nature, la science n'est plus la science sitôt qu'elle se met au service d'un évangélisme de la connaissance et de ses espérances.

C'est peu de dire que le scalpel de la simianthropologie critique n'est pas celui de la candeur. Ayant pris acte de ce que le double échec du marxisme et du capitalisme ne laisse pas intacts les paramètres de la politologie rationnelle, mais superficielle inaugurée par Machiavel, elle se demande à partir de quelle connaissance erronée ou infirme de lui-même le simianthrope "fait de la politique", comme il dit. Du coup, il apparaît que, de son côté, la pensée dite religieuse se livrait sans le savoir - donc sans avoir pris conscience de la profondeur animale du politique - à l'entreprise la plus décisive de la politique, celle de découvrir les causes pour lesquelles le simianthrope n'est pas et ne sera jamais gouvernable, ainsi que celles pour lesquelles il n'a pas connaissance du Caïn qui l'habite et le hante. Peu importe que la théologie ne soit armée ni pour élaborer une véritable anthropologie comparée des crimes de Caïn et de ceux d'Abel, ni pour radiographier la double fonction des clergés, dont le culte glorifie tout ensemble le sang des sacrifices et l'odeur de rose des autels : l'essentiel réside dans l'interprétation de l'immense documentation anthropologique, certes embryonnaire sur le plan théorique, mais infiniment précieuse, de l'héritage écrit que nous laisse la réflexion religieuse d'autrefois.

4 - Un Ponce Pilate du cosmos

Pourquoi les théologies ne sont-elles pas suffisamment armées pour percer les secrets du genre simiohumain ? Parce que leur catéchèse partage nécessairement le capital et les bénéfices de la raison politique moyenne et candidement complice de l'allure de croisière de l'histoire. L'apport des Bossuet, des Massillon, des Jean de la Croix, des saint François de Sales, des saint Grégoire de Nysse ou des saint Basile n'en est pas moins décisif : sans eux le monde moderne ne disposerait en rien du matériau qui seul lui permettra de reprendre l'offensive sur le front de guerre de la connaissance rationnelle de l'humanité. Car le prêche démontrait, à son échelle, la bancalité native du simianthrope, le sermon adjurait avec les moyens du bord les descendants du chimpanzé à corriger leurs vices ou leurs travers les plus ennemis de l'ordre public et du sens rassis ; l'homélie s'ingéniait à montrer leur route aux cités et à leur exposer les recettes qui pallieraient la faiblesse cérébrale des fuyards des ténèbres. Comment le témoignage de vingt siècles de cogitation des cléricatures chargées de faire entendre la voix d'une idole porteuse d'une thérapeutique politique efficace n'apporterait-il pas le plus grand secours à la simianthropologie?

Car il y a urgence : si l'anthropologie du début du XXe siècle avait mieux connu les secrets psychobiologiques du fonctionnement de l'encéphale onirique et sanglant de l'humanité, jamais le marxisme n'aurait réussi à ressusciter pour trois quarts de siècle l'esprit de croisade du christianisme - celui des apôtres de la pauvreté rédemptrice ; et si, dès 1929, l'humanisme européen avait découvert les ressorts et les rouages qui articulent le capitalisme avec l'Eden de la libre entreprise et du saint profit, la science économique libérale aurait désacralisé la "main invisible du marché" qui théologise la science économique libérale depuis Adam Smith ; et le cerveau simiohumain n'aurait pas passé d'une mystique à l'autre, d'une utopie à l'autre d'un séraphisme politique à l'autre et sans doute la chute du mur de Berlin n'aurait-elle pas conduit, dix-neuf ans seulement plus tard, à l'effondrement de Wall Street en 2008.

Mais, encore une fois, pour que les sciences humaines conquièrent la profondeur sans laquelle elles ne méritent pas le titre de sciences, ne négligeons pas l'étude anthropologique de l'immense réservoir de la patrologie ; car, pour la première fois depuis la Réforme, le double branchement du cerveau du simianthrope sur ses songes sacrés et sur son sang glorifié par ses théologies de l'Histoire permet d'observer sur le vif et à l'échelle de la planète tout entière les mutations les plus significatives du tragique semi animal dont témoignent ses offertoires.

Certes, la ruine de la Rome des Césars avait ouvert un champ d'observation immense à l'interprétation pré anthropologique de l'effondrement d'un monde religieux dont les sacrifices sur les champs de bataille avaient épaulé les autels pendant plus d'un millénaire. Dans un premier temps, la cause la plus évidente des défaites en chaîne des armes romaines sur tous les fronts de l'empire avait été attribuée à l'imperfection morale et à la faiblesse de la boîte osseuse des dieux anciens, dont les philosophes avaient démontré la pauvreté d'esprit. Il fallait s'armer au plus vite d'un ciel plus réflexif et mieux outillé, et surtout tenter de faire débarquer l'intelligence et la logique dans le sacré. Mais la chute du monde dans l'abîme s'était inexorablement poursuivie. Comment se faisait-il que l'initiation précipitée du Dieu des chrétiens à l'art de la dialectique et aux démonstrations irréfutables de la pensée critique n'y avait rien changé ? Nonobstant ces mesures, en 410, les barbares mettaient à sac la ville de Remus et de Romulus. Jamais l'Olympe d'autrefois n'avait reçu un camouflet aussi retentissant. Comment, après cela, se fabriquer un Dieu plus capable que Jupiter de pérenniser son règne et sa puissance ? Le christianisme ne s'est pas remis d'une catastrophe politique qui avait contraint saint Augustin à se construire un Ponce Pilate de l'univers. Mais, dans les profondeurs, l'homme se trouvait pour la première fois seul dans le cosmos et seul aux commandes de la gigantesque machine qu'on appelle l'Histoire.

5 - La seconde chute de l'empire romain

A la suite de la ruine idéologique conjointe du marxisme et du capitalisme, jamais plus les apprêteurs de la vie onirique du simianthrope ne parviendront à repeindre en fer la divinité qui tenait mollement entre ses mains les doubles rênes de la Démocratie et du marché. Il aura fallu moins de dix-neuf girations du globe terrestre autour de son lumignon pour mettre à la retraite le Dieu des droits de l'homme et de la Liberté qui avait paru un instant en mesure de prendre la relève de l'évangélisme marxiste, cette religion du devenir qui avait innervé et donné son ampérage à un "processus historique" mythique. Mais, ut supra dictum est, le tragique de l'histoire est le levain de la pensée : quel pain azyme du "Connais-toi" socratique que l'heure où le simianthrope est condamné à se faire le spéléologue du politique afin de tenter de savoir pourquoi les idoles qu'il avait successivement mises à l'essai avaient toutes échoué à le redresser, à le guider, et si possible, à l'éclairer quelque peu sur ses derniers secrets!

Car ne nous y trompons pas, nous assistons à rien de moins qu'à la chute de l'empire romain d'aujourd'hui, celui dont une aile couvrait l'Asie jusqu'à Moscou, l'autre, les deux Amériques et l'Europe. Certes, la nouvelle distribution des cartes est prête. Alors qu'en 410, l'empire romain était seul à disposer d'une véritable science des lois et d'un art de la guerre en avance sur celui de tous les autres peuples du monde, ainsi que les armes de la culture et de la raison que se partageaient les écrivains, les géomètres, les physiciens, les mécaniciens, les architectes, les musiciens, les poètes, les philosophes, les peintres, les sculpteurs, les astronomes. Mais, la nouvelle séparation entre les Renaissants et les barbares ne passe plus entre les progrès des mathématiques et de la médecine d'un côté et la survivance des cultures tribales de l'autre, parce que la Russie, la Chine, l'Inde ou l'Amérique du Sud n'ont rien d'essentiel à apprendre de la Rome d'aujourd'hui dans l'ordre des sciences, de sorte qu'une nouvelle science de l'homme est devenue la seule ruche bourdonnante où se prépare le miel de l'avenir de l'intelligence. Que reste-t-il à apprendre, sinon un regard sur les secrets du simianthrope tapi sous le Dieu de Rome ou de Wall Street, du simianthrope tapi sous le Dieu du dollar, du simianthrope tapi sous l'or de ses nouveaux tabernacles?

6 - L'anthropologie théologique du politique

Mais, encore une fois, ne multus sim, la balance des prédicateurs n'a plus cours. Elle avait été construite pour peser les dieux que le simianthrope avait jugés sages et loquaces et qu'il avait sonorisés dans le cosmos, alors que l'anthropologie critique est une ethnologie de la condition cérébrale de l'espèce vocalisée. A ce titre, elle radiographie la piété qui fait fonctionner le cerveau de M. Paulson, par exemple, qui est dévot sous sa toge de milliardaire. Ayant conduit à la ruine la banque Lehman Brothers, il est devenu Secrétaire au Trésor des Etats-Unis pour mettre sur les épaules du peuple américain les sept cents milliards de dollars qu'il a inutilement obtenus de l'Etat fédéral pour retarder le naufrage du système bancaire mondial. Mais le cerveau qui fait monter dans les nues l'encens des droits de l'homme sur les autels de la Liberté et de la Démocratie et qui enrégimente l'Europe sous le sceptre de l'OTAN n'est pas moins religieux.

Il faut bien qu'une magie exerce sa puissance sur l'encéphale de l'Europe pour qu'elle présente ses dévotions à un empire dont M. Helmut Schmidt, ancien Chancelier d'Allemagne, écrit dans ses mémoires, non encore édités en français : "Quelle que soit l'issue de la querelle (Streit) avec la Corée du Nord et l'Iran, de toutes façons, il faut tenir pour probable que, dans une décennie, il n'y aura plus seulement huit, mais douze ou davantage d'Etats à disposer de l'arme atomique. " (p.207) " Quand aujourd'hui la France et l'Allemagne essaient de faire traîner en longueur l'expansion dirigée (betreiben) par les USA à l'Ukraine et à Géorgie, l'espoir qu'un futur président américain renoncera à cette entreprise demeure au fondement de leur diplomatie, car tout cela n'est en rien motivé par des intérêts sécuritaires, ce qui ne peut conduire qu'à de nouvelles tensions dues à l'amertume de Moscou. " (p.210) " Avec le temps, le maintien d'un monopole de la puissance (Machtmonopol) des USA avec l'aide de l'OTAN est passablement invraisemblable." (p.210) (Ausser Dienst, eine Bilanz, Siedler Verlag, 2008)

Au XVIIIe siècle, les décisions du ciel demeuraient omniprésentes dans la politique. Il n'était pas de jour où Dieu ne donnait de ses nouvelles aux rois auxquels il avait confié la gestion de la planète. Il en est de même de nos jours, puisque M. Helmut Schmidt peut bien parler comme Voltaire, personne ne relève que les armes de l'OTAN transsubstantifient tous les jours la démocratie en pain eucharistique de la Liberté.

L'étude de la mécanique du dédoublement de l'encéphale du simianthrope bipolaire sous la férule de ses propres songes religieux fera l'objet d'une politologie capable d'observer et de comprendre ce qui se passe quand le "sujet de conscience" de type démocratique joue le rôle du Dieu absent de l'Histoire forgé par saint Augustin. Mais si le miroir mondial de la piété renvoie désormais l'image d'un nouveau Narcisse universel, celui qu'illustre la démocratie américaine, il en résulte que les théologies n'ont jamais mis en scène que des configurations variables d'une espèce spéculaire de naissance, donc à titre psychogénétique. Dès lors l'essentiel est d'observer le cerveau en miroir de l'espèce dédoublée ab origine par sa propre voix et qui se fait apostropher par elle sous le déguisement de ses idoles.

Or, l'idole Démocratie donne désormais de ses nouvelles par la voix de son grand prêtre, le Président des Etats-Unis; et l'Europe supplie son sceptre de s'adoucir entre les mains de M. Barack Obama. Pour comprendre le fonctionnement théologique du monde, le nouvel humanisme construit le télescope capable d'apercevoir les insectes cachés sous le spéculaire de leur époque - le démocratique aujourd'hui. La nouvelle anthropologie critique expose les cierges et les liturgies de la modernité non plus afin de réfuter des théologies - il est aussi ridicule de réfuter la croyance en l'existence d'Osiris, de Mithra, de Zeus ou des trois dieux uniques que de réfuter les dieux Démocratie ou Liberté tapis sous l'autel de l'OTAN : il s'agit de faire débarquer la spectrographie des idoles dans l'étude du type de science historique que le singe spéculaire a élaborée. Car le cerveau de cet animal dédoublé tient au monde et à lui-même le discours bifide du Narcisse qu'il est à lui-même - celui du dieu bipolaire qui lui prête son miroir depuis son éjection manquée de la zoologie.

Le peuple français s'est délivré des alliances du ciel avec la terre, mais il n'a pas encore appris à spectrographier les haruspices de Wall Street et les augures de la Démocratie. Quand il demandera à tous deux ce que cachent leurs chapelets, leurs ciboires et leurs sceptres, il se dira: "Qui clouent-ils sur la potence de l'histoire ?" Incipit anthropologia.

7 - L'assise théorique de l'anthropologie critique

Ne lâchez pas prise : dès lors que la question de savoir pourquoi l'humanité est ingouvernable n'est plus théologique, mais anthropologique, il faut apprendre à regarder l'histoire les yeux dans les yeux. Car il se pourrait que l'immoralité fût le miroir dans lequel l'espèce spéculaire se réfléchit tout au long de son histoire. Mais dans ce cas, qu'en est-il de l'immoralité en tant que miroir naturel de l'espèce spéculaire ? Pourquoi l'empire romain s'est-il effondré, sinon en raison de l'immoralité dans laquelle il était tombé. Mais en quoi cette immoralité était-elle spéculaire?

Pourquoi le capitalisme a-t-il enfanté l'utopie marxiste, sinon en raison de l'immoralité de la plus-value que l'employeur tirait du travail ouvrier. Mais en quoi cette immoralité était-elle spéculaire ? Pourquoi le communisme s'est-il effondré, sinon en raison de l'immoralité de la classe ouvrière qui, contrairement à ce que Karl Marx avait imaginé dans sa candeur, n'a pas remplacé spontanément et d'un cœur joyeux le joug dont elle se trouvait délivrée par un excès d'ardeur au travail. Mais en quoi cette immoralité était-elle spéculaire ? Qu'était-ce que le christianisme des origines, sinon un combat désespéré pour que Rome s'évadât du miroir qui l'avait capturée et scellât ses retrouvailles avec l'éthique qui avait fait sa grandeur depuis les Caton et les Cincinnatus ? Mais en quoi cette immoralité était-elle spéculaire ? Ici encore, la politologie classique n'ignorait pas que la clé de l'Histoire n'est autre que l'éthique : Montesquieu faisait de la "vertu" l'âme de la démocratie et de l'honneur l'âme de la monarchie. Mais le monde moderne ne découvrira pas le secret anthropologique de l'immoralité de l'Histoire à spectrographier la "vertu" démocratique ou "l'honneur monarchique" : il lui faut découvrir en quoi l'immoralité est toujours et nécessairement spéculaire, donc réfléchie dans le miroir où elle se regarde en Narcisse. La connaissance de ce spéculaire-là devra transcender la relativité de l'éthique dont Pascal disait : "On ne voit presque rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat." "Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la juridiction ". "Un méridien décide de la vérité". "Plaisante justice qu'une rivière ou une montagne borne". "Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà."

Car l'étonnant XVIIe siècle nous met sur la piste du spéculaire de l'immoralité proprement simiohumaine ; car il a réuni les quatre têtes qui ont posé comme en se jouant les premiers fondements de l'anthropologie critique de demain, - Pascal, Molière, Swift et leur prophète à tous, Miguel de Cervantès Saavedra, mort, avant la naissance de ses trois fécondateurs. Le premier, Pascal, plonge le regard dans les entrailles de l'animal au cerveau schizoïde et écrit : "Qui veut faire l'ange fait la bête". Qu'est-ce à dire, sinon que le propre de l'espèce spéculaire est de fonctionner sur une image idéalisée d'elle-même, ce qui engendre une animalité spécifique, celle du "ni ange, ni bête" de Paul Valéry. Mais qui mettra en scène ce masque sacré ou semi sacralisé par le langage, sinon l'auteur du Tartuffe ? Et qui fera débarquer dans la littérature mondiale la description sous sa forme animale de l'immoralité du spéculaire simiohumain, sinon Swift, décédé en plein siècle de Voltaire, en 1745 ? Et qui a démonté d'avance l'immoralité de l'alliance du monde spéculaire des romans de chevalerie avec la folie idéaliste, sinon Cervantès ? Qui a fait du faux christianisme un roman de chevalerie délirant, une épopée de délivreur de l'humanité, un Quichotte de Dieu, un guerrier dont la démocratie américaine a pris la relève ? Mais le Quichotte est pieux, le Quichotte ignore qu'il se hisse sur le piédestal intérieur dont sa folie et sa vanité confondues se nourrissent, tandis que Tartuffe le cynique garde les yeux fixés sur Elvire et sur Wall Street.

Mais, encore une fois, dans quel miroir l'immoralité de l'Histoire reflète-t-elle l'universalité du narcissisme simiohumain ? Observons le débarquement à pas de loup de Tartuffe et de don Quichotte dans l'arène de la politique et de l'Histoire, puis les variations et les mutations du masque simiohumain au cœur du destin faussement angélique des nations et des empires.

8 - L'anthropologie critique et le moule spéculaire de l'immoralité

Le type d'immoralité de l'Histoire qui a présidé aux cinq siècles d'agonie de l'empire romain, est celle des Tartuffe du Sénat censés pérenniser les institutions de la République et qui se dédoublaient entre leur feinte prêtrise de la liberté et leur vassalité ostentatoire de serviteurs de l'empereur du moment. Il suffit de lire, dans Tacite, le récit de la conspiration de Pison contre Néron pour comprendre la faiblesse vaniteuse des derniers chevaliers montés sur la Rossinante de la démocratie.

Voyons ce qu'étaient devenus Tartuffe et don Quichotte au cœur de l'épopée du marxisme. Le clergé du peuple ne s'était-il pas enrobé dans la toge d'un prolétariat pseudo sanctifié et ne lui avait-il pas dispensé la bonne parole de Karl Marx, l'évangéliste de la Liberté, tandis que la police des Tartuffe du paradis soviétique remplissait les prisons ? Et maintenant, qui sont les Tartuffe et les don Quichotte de la démocratie spéculaire dont le cerveau s'est scindé entre les apôtres de la liberté et les banquiers de Wall Street ? Comment se fait-il que le simianthrope dichotomisé entre sa figure d'ange et ses rapines se place au cœur du destin agonique des empires ? Car enfin, Rome était un empire, la Russie soviétique était un empire, l'Amérique d'aujourd'hui est un empire ; et de ces trois empires, le dernier porte les emblèmes de l'immoralité spéculaire de la démocratie et de la liberté du monde.

Or, ces trois types de simianthropes se divisent tout à la fois et parallèlement entre l'ange et la bête de Pascal, d'un côté et entre Tartuffe et don Quichotte de l'autre ? Il se trouve que le plus tardif de nos quatre mousquetaires d'une science du spéculaire simiohumain, Jonathan Swift ait tiré les premières leçons de l'observation de la bête et de l'ange de Pascal et de leur débarquement dans l'histoire des peuples et des nations. Car l'auteur de Gulliver ne décrit pas seulement le fou et le cynique de "Dieu" - le Quichotte et Tartuffe - comme des individus, mais comme des Etats. Et qu'est-ce que le messianisme démocratique mondial d'aujourd'hui, sinon Tartuffe déguisé en don Quichotte de la Liberté?

Décidément, l'immoralité n'est plus ce qu'elle était : il faut le regard des simianthropologues de demain pour tenter de porter le génie des Pascal, des Molière, des Swift à leur profondeur cervantesque.

Manuel De Diéguez
13 octobre 2008
 pagesperso-orange.fr