Elle a fondé sa campagne sur la défiance envers Bruxelles, la critique des milieux financiers, la lutte contre l'avortement mais aussi... sur son discours anti-immigration. Armée de son ton vindicatif, Giorgia Meloni, fondatrice et leader du parti post-fasciste Fratelli d'Italia, a remporté son pari.
À la tête d'une coalition de droite, Giorgia Meloni, est sortie dimanche 25 septembre victorieuse des législatives en Italie, selon des sondages de sortie des urnes. Son discours anti-immigration a été l'un des piliers de sa victoire : "la Meloni" comme les Italiens la surnomment n'a cessé, pendant sa campagne, de dénoncer "l'islamisation de l'Europe" et "l'immigration massive" en Italie.
Des propos que semble partager la majorité de la population, dans un pays victime d'une longue période d'instabilité politique et traumatisé par la crise du Covid-19. Ainsi, 77 % des Italiens estiment que le niveau d'immigration est "trop haut", selon un sondage YouGov réalisé en décembre pour plusieurs journaux européens dont le quotidien italien La Repubblica. Ce chiffre est, par ailleurs, supérieur de dix points à la moyenne européenne.
Pour avoir une chance de remporter les législatives, Giorgia Meloni s'est associée à Matteo Salvini, ancien ministre de l'Intérieur poursuivi en justice pour avoir bloqué des navires humanitaires secourant les migrants en Méditerranée.
Le blocus naval, une mesure chère à Giorgia Meloni
Son autre allié n'est autre que l'homme d'affaires Silvio Berlusconi, aux manettes d'une politique anti-immigration quand il était chef du gouvernement. Il était à ce poste lorsque l'Italie avait refoulé, en 2009, plusieurs bateaux chargés d'immigrés en direction de la Libye. Une opération qui avait valu à Rome une condamnation par la Cour européenne des droits de l'Homme en 2012.
"Depuis, ce type de refoulements est vu en Italie comme une limite à ne pas dépasser", explique à InfoMigrants Ferruccio Pastore, le directeur du Forum international et européen sur la recherche autour de la migration (Fieri), un centre de recherches indépendant sur les enjeux migratoires.
Pour éviter les refoulements tout en appliquant une politique anti-migratoire, Giorgia Meloni a préféré défendre un autre projet : le blocus naval. "Je ne me lasserai jamais de le répéter : la seule façon d'arrêter l'immigration clandestine est le blocus maritime, c'est-à-dire une mission européenne en accord avec les autorités nord-africaines. Il n'y a que comme ça qu'on pourra mettre un terme aux départs illégaux vers l'Italie et à la tragédie des morts en mer", avait-elle posté, le 28 août, sur son compte Instagram.
Il s'agirait d'utiliser la voie diplomatique, en s'appuyant sur Bruxelles et Tripoli, pour bloquer les bateaux de migrants en Méditerranée, avant qu'ils n'atteignent les côtes italiennes. "Il suffirait par exemple de verser à la Libye la même somme que l'UE a versée à la Turquie pour contrôler le flux de migrants : 6 milliards en quatre ans", précise Fratelli d'Italia dans un document.
"C'est une mesure extrême et tout le monde est conscient qu'elle n'est pas faisable", affirme Ferruccio Pastore, pour qui le programme sur l'immigration de Fratelli d'Italia contient "très peu de propositions concrètes". "Si l'Italie signait un accord avec la Libye pour bloquer les départs, il s'agirait de complicité dans un acte illicite", a expliqué au média Open, Irini Papanicolopulu, professeure de droit international à l'université de Milan-Bicocca. En effet, le droit international interdit "d'empêcher une personne de sortir d'un pays".
Par ailleurs, Ferruccio Pastore doute de l'efficacité d'une telle mesure. "Dans son programme officiel, elle [Giorgia Meloni] parle d'une collaboration avec les États non européens de départ ou de transit pour empêcher les départs de bateaux mais dans les faits, aujourd'hui, les garde-côtes libyens mettent déjà en place un blocus maritime", explique-t-il.
Les hotspots, une fausse bonne idée ?
Il y a quelques mois, Giorgia Meloni, soucieuse de dédiaboliser son image, "a arrêté d'utiliser l'argument du blocus maritime avec autant d'emphase qu'auparavant", selon Ferruccio Pastore. D'autant que l'Italie a été marquée par la tragédie d'Otrante. "Cet événement a marqué la fin d'une période où l'Italie montrait ses muscles en haute-mer. Giorgia Meloni s'est rendue compte qu'elle ne pouvait pas pousser la menace jusque là. Donc dans les dernières rencontres publiques, elle a un peu mis de côté le blocus naval", poursuit le chercheur italien.
En croisade contre l'immigration clandestine, Fratelli d'Italia soutient une autre mesure polémique : la mise en place de hotspots, des points d'enregistrement, gérés par l'Union européenne et installés en dehors des frontières de l'UE, notamment en Afrique. Ces structures permettraient aux migrants de formuler une demande d'asile dans ces pays. Ceux qui obtiendraient le statut de réfugié seraient ensuite redistribués dans les pays européens, selon des quotas préétablis. "Dans les années 2000, Tony Blair avait déjà défendu cette mesure. Mais ça n'a jamais abouti parce que cela signifie que le hotspot devrait être géré par le pays où il est installé. C'est très difficile à mettre en place", pointe Ferruccio Pastore.
Selon lui, ces hotspots déplaceraient simplement le problème. "Ça ne résout pas le problème de ceux qui sont exclus de la procédure et qui n'ont pas droit à l'asile. Cela risque d'alimenter le trafic parce que la question qui se pose, c'est : où iront ceux qui n'ont pas droit à l'asile ?", se demande-il.
À gauche et au sein même de la coalition de droite, les mesures sur l'immigration défendue par Fratelli d'Italia ne font pas l'unanimité. Le pari est-il risqué ? Ferruccio Pastore attend déjà "de voir qui prendra en charge l'immigration au gouvernement". "Ce sera intéressant de voir si, à ce sujet, Fratelli d'Italia aura des responsabilités au gouvernement puisque c'est un dossier très chaud et épineux. Il est possible que Giorgia Meloni décharge la responsabilité sur un technicien, comme un préfet par exemple", poursuit le chercheur.