Des abeilles en ville ? On voit ce phénomène se développer de plus en plus dans les zones urbaines et, surtout, dans les entreprises. Mais si l'insertion des ruches en ville partait d'une intention écologique visant à protéger les insectes pollinisateurs, elle est aujourd'hui très contestée. Revue en détails.
« Si l'abeille venait à disparaître de la surface du globe, l'homme n'aurait plus que 5 années à vivre ». Cette citation d'Albert Einstein prend tout son sens dans le contexte environnemental actuel. Elle alerte également sur l'importance de ces insectes insignifiants pour bon nombre d'entre-nous, mais finalement vitaux à la survie des espèces humaine et non-humaine, ainsi que de leurs écosystèmes. Comment de si petits êtres vivants peuvent avoir une telle ampleur face à la crise climatique que l'on traverse ?
« Si l'abeille venait à disparaître de la surface du globe, l'homme n'aurait plus que 5 années à vivre ».
Les abeilles sont nos alliées
Les pollinisateurs contribuent directement à la sécurité alimentaire, nous rappelle l'ONU via son programme pour l'environnement. Si cette catégorie comprend des animaux comme les singes, les oiseaux ou encore les rongeurs, on la connaît surtout pour les insectes.
D'après les experts apicoles de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture : 75 % de la production alimentaire mondiale dépend des insectes pollinisateurs. Bien que le vent favorise la pollinisation, on compte entre 60 % et 90 % de plantes sauvages nécessitant l'aide d'insectes pollinisateurs, tels que les abeilles, afin de se reproduire. Et pour parler le langage économique de nos modèles actuels, d'après l'ONG Greenpeace, la pollinisation représente 265 milliards de dollars de service rendu dans le monde.
De fait, la production mondiale de miel par an s'élève à environ 1,6 million de tonnes, avec près de 81 millions de ruches actives autour du globe (rapport de mai 2019 de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)).
Si ces chiffres impressionnent par leur envergure, ils s'expliquent en partie par un phénomène historique d'insertion des abeilles. Ce dernier, contrairement à ce que l'on pense, ne date pas d'hier, car au Moyen-Âge, déjà, l'humain exploitait les ruches en ville. Ces dernières décennies, notamment en raison du réchauffement climatique, de nombreux scientifiques sonnent l'alerte sur l'urgence de conserver la biodiversité. C'est donc dans une démarche écologique que le phénomène d'insertion des abeilles a repris et s'accroît.
En 1980, les premières ruches parisiennes sont installées sur les toits de l'Opéra Garnier, mais c'est dans les années 1990-2000 que le nombre de ruches en ville se multiplie. On compte ainsi, aujourd'hui, environ 2 000 ruches et 120 millions d'abeilles domestiques dans la capitale. Entre greenwashing et volonté de bien faire, ils sont nombreux à implanter des ruches sur les toits des villes jusqu'à rendre cette pratique excessive et dangereuse pour les insectes pollinisateurs.
Une espèce menacée
La mortalité des abeilles devient importante en France et en Europe depuis 1998. Ces insectes sont menacés par les dérèglements climatiques, de nouveaux virus et agents pathogènes, des acariens (varroa destructor) et parasites (nosema ceranae), la 4G, la disparition des habitats naturels en raison des monocultures et, bien évidemment, les traitements phytosanitaires.
Intuitivement, on considère nocive pour les abeilles la pollution de l'air, mais il n'y a pas d'études scientifiques à ce jour à propos de son impact sur les insectes pollinisateurs. Greenpeace nous rappelle toutefois que « les populations d'abeilles domestiques ont chuté de 25 % en Europe entre 1985 et 2005. Ces derniers hivers, la mortalité de ces populations était de 20 % en moyenne en Europe, voire de 53 % dans certains pays ».
Insertion des ruches pour sauver les abeilles
Il est alors question de multiplier les ruches, mais dans les milieux urbains. Les avantages de développer cette pratique en ville plutôt qu'à la campagne sont nombreux. En zone rurale, les champs d'agriculture intensive sont traités avec des produits chimiques et néonicotinoïdes, et cela a une incidence sur le système nerveux central des animaux et insectes. Une étude de l'INRAE montre que les abeilles exposées à ces pesticides ont du mal à retrouver le chemin de leur ruche et meurent ainsi. Et les abeilles ont surtout besoin de diversité pour leur bien-être : cela influe sur la qualité de leur miel. Les ressources naturelles s'avèrent être un élément crucial pour leur alimentation.
L'insertion des abeilles se déploie donc davantage dans les villes depuis la fin des années 2000. Cette localisation offre aux pollinisateurs une source d'alimentation pérenne et riche, de par sa flore plus diversifiée qu'il n'y paraît. Aussi, de nombreuses grandes entreprises se mobilisent-elles en installant des ruches sur leur toit. Le marketing s'en mêle aussi et s'empare de la figure de l'abeille notamment dans les cosmétiques et le luxe. On peut alors se demander s'il s'agit d'une récupération politique de la part des enseignes... ? Ce qui est sûr, c'est que l'apiculture de ruches domestiques est devenue bien trop prégnante et pose aujourd'hui problème.
Une pratique contre-productive
Si la volonté était d'adopter un geste écologique, il est maintenant remis en cause. Marie Philémon, documentaliste au service d'orientation (SCUIO-IP) de l'université Paris 8 et apicultrice amatrice, affirme que les ruches sont trop nombreuses en ville. Elle ajoute que la ruche n'est d'ailleurs pas le seul mode d'insertion des abeilles.
Créatrice et membre de l'association L'abeille vincennoise (3 € pour les étudiants et 6 € pour le personnel), elle nous parle des idées reçues sur ce processus : « En général, quand on m'aborde, on me dit que c'est génial d'avoir des ruches. L'idée est que c'est bien d'avoir des ruches car on est plus écolo. Mais en fait, on peut très bien ne pas être écolo du tout, justement parce qu'on installe des ruches. Parce que si on en installe trop, c'est contre-productif. »
Si l'insertion des abeilles dans les milieux urbains est un avantage pour l'humain, elle l'est moins pour les insectes pollinisateurs. « Il ne suffit pas d'installer des ruches pour être écolo », rappelle Marie Philémon. Mais de plus, la reproduction en masse des espèces de pollinisateurs et leur transport à grande échelle présentent des risques en termes de transmission de pathogènes et de parasites. Pour minimiser ces risques, il s'agirait ainsi, a minima, de mettre en place une meilleure réglementation de leur commerce et de leur utilisation.