13/03/2023 basta.media  11 min #225445

« On n'existe pas, c'est un métier caché » : vers une pénurie de familles d'accueil pour les enfants placés

Sylvie et Alban sont assistants familiaux, activité plus connue sous le nom de famille d'accueil. Ce métier, ils l'ont appréhendé avec prudence, voire méfiance. Ils en parlent avec passion, empathie et humilité. Ce métier est menacé, écoutons-les.

C'est un métier « caché », et parfois honni : les familles d'accueil pour enfants placés. « Pour moi comme pour l'opinion publique, j'avais une mauvaise image des familles d'accueil, des sortes de Thénardier, de gens maltraitants, il y avait encore cette étiquette », nous confie Sylvie Dereux, ancienne cadre, devenue assistante familiale il y a 10 ans. Elle ne regrette pas sa reconversion. « Quand on voit qu'on a aidé certains enfants, on espère, pour eux, que ce métier sera pérenne », dit-elle. Mais à 67 ans, elle va bientôt devoir transmettre le flambeau. Et la pérennité du métier se pose effectivement, notamment avec les départs en retraite à venir.

On compte 40 000 assistantes familiales - les « familles d'accueil » - en France, une immense majorité le deviennent après une reconversion et travaillent pour les départements. Ils et elles accueillent à temps plein, à leur domicile, des enfants placés sur décision de justice,  le plus souvent pour les protéger d'un environnement familial menaçant. L'attractivité du métier est en berne depuis de nombreuses années. Leurs statut, valorisation et salaire ont fait l'objet de débats et modifications récentes dans le but d'attirer à nouveau. Souvent médiatisés négativement, à l'aune d'un fait divers sordide, les assistants familiaux ont peu l'occasion de s'exprimer. Basta! a choisi de donner la parole à Alban Perrichon, 48 ans, assistant familial depuis 11 ans, et Sylvie Dereux, 67 ans donc, assistante familiale depuis 10 ans.

« C'est un métier où tu as une vraie utilité sociale »

Alban Perrichon, 48 ans, assistant familial depuis 11 ans 

« Le nombre de familles d'accueil n'a cessé de baisser. L'âge moyen des assistants familiaux étant de 50 ans, les personnes restent en moyenne entre dix et quinze ans dans le métier, qui compte environ 10 % d'hommes. Un assistant familial qui arrive, c'est une place d'accueil en plus pour un enfant, mais quand il arrête le métier, il a deux ou trois agréments, donc c'est deux ou trois places qui sautent. Moi, avant, j'étais prof dans l'enseignement supérieur. Je connaissais des personnes qui avaient été placées, d'autres, de loin, qui étaient familles d'accueil.

Pour devenir assistant familial, il faut obtenir un agrément délivré par les services de la protection maternelle infantile (PMI). Une fois l'agrément accordé, il faut trouver un employeur, souvent le département, mais ça peut être une association. Nous passons ensuite un diplôme d'état d'assistant familial (DEAF), qui compte 300 heures de formation et se déroule sur un an et demi, où tu apprends le développement, la psychologie de l'enfant, le droit... Mais tu accueilles ton premier enfant avant d'avoir terminé le diplôme, après le stage préparatoire à l'accueil du premier enfant (SPAP). Ce stage dure 60 heures et est mis en place par l'employeur.

L'agrément, puis le recrutement, c'est une des choses les plus difficiles que j'ai vécues, c'est assez éprouvant psychiquement, on te pose beaucoup de questions sur un métier que tu ne connais quasiment pas, il faut arriver à argumenter. Toi, ta compagne mais aussi tes enfants sont interrogés. Et il faut une chambre pour chaque enfant accueilli donc ça nécessite d'avoir des lieux de vie "surdimensionnés".

Aujourd'hui, j'accueille toujours un seul enfant. Avec ma compagne, nous avons encore deux de nos enfants à la maison. Mon père m'a jugé "trop diplômé" pour faire ce métier quand je lui ai parlé de cette reconversion, ma belle-sœur, assistante sociale, m'a encouragé. Tu peux en quelque sorte avoir des "desiderata" concernant l'âge des enfants accueillis, ou les difficultés de l'enfant. Nous, notre seul choix, c'est que l'enfant accueilli ne soit pas plus âgé que notre benjamin. Il faut bien sûr trouver un nouvel équilibre de vie, c'est plus une sorte de "rééquilibre de la vie de famille" d'ailleurs, qui demande pas mal d'organisation. J'accueille depuis trois ans et demi environ un garçon qui a aujourd'hui 11 ans. C'est mon 3e accueil permanent. Il est scolarisé en classe ULIS (unités localisées pour l'inclusion scolaire) et voit sa mère environ une fois par mois, et son petit frère à chaque vacances. En tant qu'assistant familial, je peux poser cinq semaines de vacances, où l'enfant sera accueilli ailleurs, mais nous on ne prend que deux semaines sans lui, car on souhaite aussi partir en vacances avec lui, créer des souvenirs, être tous ensemble.

Je fais partie de l'association des assistants familiaux de Loire-Atlantique, et je travaille pour le département. Au sein de la délégation de Nantes, je me sens bien inclus, j'ai ma carte pour rentrer dans le bâtiment comme n'importe quel agent, un mail à mon nom, je vais aux formations, aux réunions internes six à huit fois dans l'année. Je ne me sens pas isolé dans ce travail, il est plutôt facile d'être en relation. Chaque assistant familial a un référent unité d'accueil familial, qui s'occupe de 25 situations en moyenne.

Dans mon métier, plus l'enfant s'attache, mieux c'est. Quant à nous, il faut aussi gérer la séparation. On dit qu'on ne devient vraiment assistant familial qu'après le départ du premier enfant accueilli. Après, il y a une forme de distance avec les suivants. Chez nous, il n'y a pas de surnom, l'enfant utilise nos prénoms. Quant à nos enfants, c'est très formateur pour eux, ils développent empathie, tolérance et écoute, moult compétences sociales. Une petite fille que nous avons accueillie pendant cinq années est récemment revenue en vacances avec nous, des liens perdurent.

Avant de se lancer, il faut bien comprendre ce qu'est un enfant en accueil familial, les troubles de l'attachement que beaucoup expriment. D'autant que les enfants arrivent de plus en plus tard en famille d'accueil. Dans mon contrat, j'avais demandé à garder des heures de prof au début, ça avait été accepté, mais je n'ai tenu qu'un an. Je pense qu'il serait plus facile de conserver un boulot d'indépendant à temps partiel par exemple. Ce qui est particulier, c'est que le métier va d'une certaine façon à l'encontre des changements sociétaux actuels, il y a une forme de "retour à la maison". Le style de vie peut donner la sensation d'aller à l'encontre de l'autonomie. C'est un métier qui nécessite beaucoup d'anticipation, notamment en ce qui concerne les sorties et loisirs, on ne peut pas faire appel comme ça à une baby-sitter "lambda", au dernier moment. Il faut vraiment évoluer dans un couple et des fondations solides, avoir une grande stabilité de vie. C'est nécessaire.

Malgré cela, il n'y a aucune lassitude de ma part. Les situations sont mouvantes, et on est plus près de l'enfant, de son suivi, de son évolution. On s'assure que toutes les prises en charge soient faites. On passe énormément de temps avec ces enfants, et les nôtres pouvaient nous reprocher d'être plus "cools" avec ces enfants-là qu'avec eux, alors que paradoxalement le cadre restreint du début a tendance à les aider et les apaiser. J'apprends toujours depuis que je fais ce métier. Les enfants m'apportent toujours beaucoup. On ne se trouve jamais bon, il y a une espèce de remise en question permanente.

Avec les primes, cela fait environ 1700 € net par mois. Je connais peu de collègues qui disent être mal payés, ce sont plutôt les conditions du métier qui nous inquiètent, et surtout le manque de travailleurs sociaux. Ce n'est pas un métier qui fait rêver. Du coup, ils gèrent de plus en plus de situations, nous on voit moins nos référents, et par ricochet on ose moins les solliciter. Or, l'importance pour nous est qu'il y ait une forme de stabilité de l'encadrement.  Ce turn-over de travailleurs sociaux, ces vacataires qui passent, ce ne sont que des ruptures en plus pour des enfants aux parcours déjà jonchés de ruptures. Et tout ça fait perdre la mémoire professionnelle.

Quant aux assistants familiaux, s'ils sont moins nombreux, cela signifie que les gamins restent plus longtemps en foyer, et qu'ils arrivent ensuite chez nous encore plus "cassés". Donc c'est un boulot plus difficile qui attendra l'assistant familial. Mais c'est un métier où tu as une vraie utilité sociale. Ce n'est pas reconnu socialement, mais toi tu sais que ça fait du bien à l'enfant et que ça te fait progresser humainement. »

« Un petit cours sur la parentalité ferait du bien à beaucoup de monde »

Sylvie Dereux, 67 ans, assistante familiale depuis 10 ans

« Avant, j'étais cadre comptable, puis j'ai changé de région, et de métier. J'avais vu dans une émission que le métier recrutait parce qu'on manquait cruellement de familles. Pour être honnête, je n'étais pas convaincue au début. Pour moi comme pour l'opinion publique, j'avais une mauvaise image des familles d'accueil, des sortes de Thénardier, de gens maltraitants... il y avait encore cette étiquette. J'ai rapidement vu qu'on n'était pas seuls, il y a du monde, un travail d'équipe. J'ai été très agréablement surprise, par la formation, puis ce soutien. Tout ça a modifié mon jugement. Quand j'ai commencé tout le parcours pour devenir assistante familiale, mes enfants étaient grands, mais encore à la maison. Réunion d'information, confirmation de notre choix de métier, enquête de la PMI, agrément, puis recrutement et formation... Dès le départ, j'ai eu deux agréments. Depuis dix ans, j'ai accueilli six enfants. Actuellement, j'accueille une adolescente de 17 ans, et une autre de 14 ans arrivée en urgence il y a quelques mois. J'ai encore ma fille au domicile.

On me demande souvent si ce n'est pas trop difficile quand ces enfants partent de chez nous. Mais enfin, nos propres enfants aussi partent un jour ! Si le jeune sait qu'il a toute la latitude pour revenir, qu'il est bien là où il va, qu'il sait qu'on peut se revoir, il n'y a pas de problème. La relation n'est ni finie ni fermée. Le seul souci, c'est quand une famille a la volonté farouche que son enfant ne revoit pas sa famille d'accueil... Ça m'est arrivé une fois, on a interdit à une petite fille de me revoir. On apprend à adoucir les choses comme on peut pour l'enfant.

La formation est plutôt musclée pour accueillir les enfants des autres. Pendant 18 mois, on apprend en même temps qu'on a l'enfant à la maison. C'est étonnant, on ne nous apprend pas à être parents, mais on nous apprend à subvenir à la parentalité d'autres. En formation, il m'est arrivé de me dire "ah si j'avais su ça plus tôt, j'aurais réagi autrement avec mes enfants !" Un petit cours sur la parentalité ferait du bien à beaucoup de monde. C'est un métier familial, il faut absolument que votre famille vous suive. Vous imposez des enfants dans votre cadre familial, avec des directives qui ne sont pas les mêmes que pour vos propres enfants. C'est parfois difficile d'être le pilier et de ménager tout le monde. Mais petit à petit, on a trouvé notre modus vivendi à tous. L'enfant qui arrive doit lui aussi s'adapter à la famille et à ses règles, qui ne sont pas les mêmes que chez lui.

On ne se montre pas assez nous, les assistantes familiales. Or, il faut montrer le bon côté des choses et arrêter de montrer des choses fausses dans les séries et les films. Ça ne donne envie à personne de devenir famille d'accueil ! Bien sûr qu'il y a des côtés difficiles, mais comme tout métier. Les erreurs de recrutement sont mises en exergue par les médias. Il y a pourtant tellement de bons côtés à ce travail. Il faut revaloriser ce métier. Moi, avec les jeunes que j'accueille, on fait tout, l'orientation, les portes ouvertes des établissements... On n'est pas une chambre d'hôtes ! Famille d'accueil, il n'y a même pas de code à Pôle emploi pour ce métier. On n'existe pas, c'est un métier "caché".

Pour les jeunes accueillis, c'est difficile d'admettre qu'ils sont bien, là, car ils sont déracinés. Notamment pour ceux qui arrivent en urgence, on n'a pas eu le temps de se rencontrer avant, de s'apprivoiser. C'est un métier facile si vous vous mettez à la place de l'enfant et que vous comprenez ce qu'il vit, ses peurs, ses angoisses... L'empathie, c'est la clef. Dire "je comprends ce que tu ressens, les choses douloureuses que tu vis". Entendre ça, c'est déjà un soulagement pour lui, il aura moins mal au ventre. Chez nous, il y a un chien, c'est le trait d'union. Tous s'en rappellent des années après. Ils ne sont jamais en colère après lui. C'est rassurant le chien.

En fonction de votre structure familiale, je vous dirais de foncer pour faire ce métier. D'aller au moins à la réunion d'information, de découvrir, d'échanger, ça n'engage à rien. J'en ai déjà presque convaincu certains ! Même une personne seule peut se jeter à l'eau. Il faut être très disponible, il y a beaucoup de rendez-vous, de réunions, on fait beaucoup le taxi. L'équipe est précieuse. On ne peut pas dire "je m'occupe juste de l'enfant et c'est tout". Moi, je suis heureuse de partager des vacances avec eux, et parfois j'ai simplement besoin de me ressourcer, de souffler, car ça représente beaucoup de sollicitations.

Parfois, la rencontre ne se fait pas, et dans ce cas-là, il faut le dire le plus rapidement possible, même si c'est difficile d'avoir la sensation de ne pas être allé au bout de quelque chose. Autrement, ce sont de très belles rencontres, on fait de belles choses ensemble. On fait un "album de vie" avec l'enfant aussi, on colle des souvenirs, des photos, une sorte de journal intime du passage en famille d'accueil, pour conserver ces souvenirs. Quand on voit qu'on a aidé certains enfants, on espère, pour eux, que ce métier sera pérenne. Je pense vraiment qu'il y a des gens qui trouveraient un intérêt à ce métier. Moi, je suis référente professionnelle, j'accueille et accompagne les nouvelles recrues. Je suis prête à aller volontiers raconter mon travail et mon quotidien dans les communes. »

Recueilli par Elsa Gambin

Photo : © Anne Paq

 basta.media

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newsnet 2023-03-13 #13104

c'est super que des gens fassent ça