Les années 2020 et 2021 montrent un pic des décès lors d'une arrestation ou en détention. Des données en contradiction totale avec le Code de sécurité intérieure qui stipule de préserver la vie, la santé et la dignité de toute personne appréhendée.
L'autre phénomène que nous observons suite à l'actualisation de notre base de données sur les interventions létales est le pic des décès au cours d'une arrestation ou en détention en 2020 et 2021, lors d'une garde à vue par exemple. Ils sont ainsi 16 à décéder « entre les mains » de la police ou de la gendarmerie en 2020, 17 en 2021, puis 4 en 2022, un nombre de décès plus proche de la moyenne observée pendant la décennie précédente (autour de 4 chaque année).
Morts entre les mains de la police
Nombre de personnes décédées lors de leur arrestation ou en détention, de 2010 à 2022, à la suite de gestes d'immobilisation, de coups et blessures, d'un malaise ou par suicide au commissariat.
Christophe Andrieu / basta!
Parmi ces situations, au moins quatre personnes sont décédées à la suite à de coups et blessures ou de techniques d'immobilisation du fait de policiers en 2021 et 2022. À Pornichet (Loire-Atlantique), les policiers usent de la force pour contraindre un homme qui refuse de partir du domicile de son ex-compagne. (Porteur d'un pacemaker, il s'effondre, précise le rapport de l'IGPN (1). Le 18 mai 2022, des policiers de Bron (Rhône) immobilisent un homme qui dégrade du matériel de jardin dans les maisons avoisinantes, en tenant des propos irrationnels. L'homme décède d'un malaise cardiaque. Des témoins affirment que l'arrestation a été plus musclée que celle décrite par les agents.
Contrôle routier et plaquage ventral mortels
C'est aussi le cas de Claude Jean-Pierre, violemment extrait de sa voiture lors d'un contrôle routier le 21 novembre 2020 en Guadeloupe INTERPELLATION MEURTRIÃRE EN GUADELOUPE : LES RÃVÃLATIONS DU MÃDIA FONT BOUGER LES CHOSESINTERPELLATION MEURTRIÃRE EN GUADELOUPE : LES RÃVÃLATIONS DU MÃDIA FONT BOUGER LES CHOSES... . Ce sexagénaire meurt après plusieurs jours de coma, en raison de vertèbres brisées. Les premières versions des autorités avançaient que la victime avait été prise d'un malaise puis qu'elle avait chuté en descendant de son véhicule. Sa mort, rendue publique après la dernière actualisation de notre base de données fin 2020, a suscité une vague de soutiens. Aujourd'hui, sa famille se bat pour obtenir la tenue d'un procès alors que le procureur a requis un non-lieu.
Le 12 janvier 2021, Merter Keskin est emmené au commissariat de Sélestat (Bas-Rhin) puis placé en garde à vue pour ne pas avoir respecté une ordonnance d'éloignement pour violences conjugales. Il est retrouvé mort dans sa cellule. L'IGPN s'appuie sur une première autopsie pour évoquer un décès lié à la prise de cocaïne. Une contre-expertise est demandée par l'avocat de la famille, qui demande également pourquoi les policiers ne l'ont pas conduit à l'hôpital. Révélées par Libération, les images de vidéosurveillance de la cellule montrent des agents en train de pratiquer un plaquage ventral, une technique d'immobilisation qui consiste à plaquer une personne, sur le ventre, face au sol.
Gardés à vue décédés d'un « malaise »
Onze personnes ont succombé d'un « malaise », lors d'une garde à vue ou en cellule de dégrisement, en 2021, et trois en 2022, souvent dans des circonstances troubles, mais sans que l'usage de la force soit - pour l'instant - avéré.
À la suite d'une soirée mouvementée à Abbeville (Somme), Jérôme Vasseur est interpellé en état d'ébriété. Blessé à la tête, il est conduit à l'hôpital puis placé en cellule de dégrisement. Au matin du 10 mars 2021, son corps est retrouvé inanimé en cellule. Le quadragénaire décède deux jours plus tard d'une hémorragie cérébrale. Sa famille s'interroge sur la responsabilité de la police et du corps médical, et dépose plusieurs plaintes contre X. Un an après les faits, elle restait toujours sans nouvelle.
Légalement, une personne interpellée, quels que soient les faits qu'elle a commis, demeure sous la responsabilité des fonctionnaires. « Le policier ou le gendarme ayant la garde d'une personne appréhendée est attentif à son état physique et psychologique et prend toutes les mesures possibles pour préserver la vie, la santé et la dignité de cette personne », prévoit le Code de sécurité intérieur (2). Et ce, même en cas de suicide. En 2021, trois personnes se sont suicidées alors qu'elles étaient détenues dans un commissariat. À Poitiers, le 6 juillet 2021, un homme interpellé pour conduite en état d'ivresse se serait pendu à une grille d'aération avec ses lacets.
À Bordeaux, le 15 décembre 2021, après avoir résisté à son expulsion vers le Kosovo, Fitim Uka se pend « aux grilles d'aération d'une cellule avec le cordon de serrage de la capuche de son sweat », décrit Sud Ouest, ce dont doute son avocat. À Périgueux, en mai 2021, un homme interpellé en état d'ébriété et pour défaut d'attestation de sortie en période de couvre-feu se serait pendu avec une couverture après avoir été placé en cellule pour non-détention.
Courses-poursuites : le délit commis vaut-il de risquer une vie ?
En plus des personnes tuées par balles ou décédées « entre les mains de la police », notre recensement intègre les personnes décédées dans un accident à la suite de ou en lien avec une intervention des forces de l'ordre. Ce décompte intègre les décès dans le cadre d'une course-poursuite, qu'il y ait collision ou non avec le véhicule de police ; ainsi que les morts par noyade en fuyant un contrôle ou une interpellation (au nombre de cinq) ou par chute - trois personnes ont succombé à une chute mortelle de leur immeuble en tentant d'échapper aux policiers, à chaque fois appelés pour violences conjugales.
Les affaires les plus controversées concernent les courses-poursuites. Depuis 2020, seize personnes ont ainsi perdu la vie en tentant d'échapper à des policiers ou des gendarmes, que ce soit la conséquence d'une perte de contrôle de leur véhicule ou d'une collision avec un véhicule de police. Par exemple, le 10 janvier 2021, Maïcol circule en moto dans les rues Nice alors que le couvre-feu est en vigueur. Il est pris en chasse par une équipe de la BAC. Le jeune homme de 20 ans perd l'équilibre dans le tunnel de Liautaud et décède. Fait rare, l'enquête de l'IGPN met en cause la légalité de la poursuite du fait de la non-gravité du délit. Maïcol, dans le ciel de Nice.Maïcol, dans le ciel de Nice. affirment que la police a percuté son deux-roues. La famille porte plainte pour « homicide involontaire » et demande l'accès à la vidéosurveillance du tunnel. Une information judiciaire est ouverte.
« La justice m'a laissée sans réponse pendant 700 jours »
Scénario similaire à Rennes le 21 février 2021 : alors qu'il venait de griller un feu durant le couvre-feu, un jeune home de 27 ans circulant à moto est pris en chasse par la BAC avant de percuter un garde-corps à l'entrée d'un pont. À Orchies (Nord), en août 2021, un mineur âgé de 14 ans, au volant de la voiture volée à sa tante s'encastre dans un arbre en fuyant la police.
« La justice m'a laissée sans réponse pendant 700 jours, soit presque deux ans. » Valérie est la mère de Yanis, décédé le 14 avril 2021. Dans la nuit du 14 avril 2021, le jeune homme circule à scooter et est pris en chasse à Saint-Denis par une voiture de la BAC avant de subir un grave accident sur l'autoroute A1. Selon la BAC, le jeune homme aurait percuté à contresens une voiture Ford alors que les policiers ne le suivaient plus. Selon les proches de la victime, qui demande à visionner les images de vidéosurveillance, ce véhicule Ford appartient à la police qui le pourchassait abusivement. Yanis demeure dans le coma durant 49 jours avant de s'éteindre le 3 juin suivant. La veillée funéraire organisée par la famille est violemment dispersée par la police à coups de gaz lacrymogène et de tirs de LBD, comme l'a décrit Mediapart. D'après nos informations, la plainte déposée à l'IGPN concernant cette veillée vient d'être classée sans suite en mars 2023. Une instruction devrait cependant être ouverte pour connaître les circonstances exactes dans lesquelles le jeune homme a perdu, presque deux ans après les faits.
Ludovic Simbille
En photo : interpellations en marge d'une manifestation, à Paris / © Anne Paq
Notes
(1) Voir le rapport de l'IGPN en 2021.