Le gouvernement français a accordé un permis d'extraction de gaz en Moselle à la veille de l'ouverture de la COP28 sur le climat, et pourrait autoriser de nouveaux forages en Gironde. Un comble, à l'heure des appels à sortir des énergies fossiles.
En ouverture de la COP28 sur le climat de Dubaï, aux Émirats arabes unis, Emmanuel Macron 𝕏 a exhorté les États à « planifier la sortie des énergies fossiles ».
Et pourtant, quelques jours plus tôt, le 20 novembre, le ministère de la Transition énergétique publiait un décret qui autorise l'entreprise privée La Française de l'énergie à exploiter le gaz emprisonné dans le sous-sol de l'ancien bassin minier lorrain. Loin de « planifier la sortie », cette autorisation pourrait prolonger l'exploitation du gaz fossile en France.
Cinq ans après avoir déposé sa demande de permis dit « Bleu Lorraine », portant sur 191 km² et englobant 40 communes de l'est de la Moselle, l'entreprise va donc pouvoir forer le sous-sol pour exploiter du méthane emprisonné entre 1000 et 1500 mètres sous terre dans des veines de charbon.
L'exploitation de ce gaz dit « de charbon » ou « gaz de couche » requiert des forages profonds et, souvent, des techniques de stimulation des puits telle que la fracturation hydraulique. Elle est bien plus invasive que celle, connue dans le Nord de la France, de captation du gaz qui s'échappe des anciennes mines, et qu'il vaut mieux capturer avant qu'il ne rejoigne l'atmosphère.
Forte résistance sur le terrain
Pour obtenir cette autorisation, la Française de l'énergie a promis de ne pas recourir à la technique dite de la fracturation hydraulique, qui a été interdite d'utilisation sur le territoire français par une loi du 13 juillet 2011. Ce projet a néanmoins suscité une forte résistance citoyenne sur le terrain.
En marge de la COP26 en 2021, une soixantaine de maires, conseillers et députés avaient appelé le gouvernement à ne pas autoriser ce projet gazier.
Sous pression, le gouvernement avait initialement rejeté la demande de permis ( arrêté du 26 avril 2023), arguant de l'incapacité technique de la société à extraire ce gaz et d'essais « non probants ». Saisie par l'entreprise, la justice administrative a cassé cet arrêté et contraint le ministère à autoriser le projet d'exploitation. L'État a fait appel de ce dernier jugement mais, ce recours n'étant pas suspensif, il a été contraint de délivrer le permis d'exploitation.
Pour Anaëlle Lantonnois, de l'Association mosellane pour la préservation de l'environnement local (Appel 57) et opposante au projet, « il est assez regrettable que la justice revienne d'un claquement de doigt sur une décision qui était tout à fait raisonnable et juste ». La décision de justice a été rendue possible par les limites de la Loi Hulot de 2017 sur les hydrocarbures. Si le vote de cette loi a pu laisser penser que l'autorisation de nouvelles exploitations d'hydrocarbures était de l'histoire ancienne en France, Nicolas Hulot avait reconnu de lui-même qu'elle n'était « pas étanche ».
18 projets d'énergies fossiles en cours
La loi Hulot empêche de délivrer de nouveaux permis de recherche d'énergie fossiles, mais elle ne permet pas à l'État de revenir sur les permis existants. Pire, en raison de ce qui est appelé le « droit de suite », que Nicolas Hulot n'a pas voulu remettre en cause par crainte d'être poursuivi par des compagnies pétrolières, les permis d'exploration peuvent se transformer en permis d'exploitation, et certains d'entre eux permettre une exploitation au-delà de 2040, date pourtant mentionnée dans la loi comme la fin de l'exploitation pétrogazière en France.
Un an à peine après le vote de la loi Hulot, on comptabilisait 18 projets qui avaient progressé : renouvellement de permis d'exploration, permis d'exploitation accordés, autorisations de travaux, etc. Depuis, le rythme s'est atténué mais n'a pas tari. Le 28 juin dernier, le ministère de la Transition énergétique a accordé aux entreprises Maurel & Prom SA et Indorama Oil SAS un permis d'exploitation dit « Caudos-Nord » sur la commune du Teich en Gironde, sur une superficie d'environ 17 km2.
Avec le permis Bleu Lorraine, cinq autres demandes de permis d'exploitation sont en attente dans les départements de la Marne, de la Meuse et de Seine-et-Marne. La liste est disponible sur le site du ministère de la Transition énergétique. Une dizaine de permis de recherche existants pourraient encore également déboucher sur de nouveaux permis d'exploitation, tandis que 62 sont en cours de validité. Cinq d'entre eux sont d'ailleurs actuellement l'objet de demandes de prolongation.
Une entreprise canadienne veut forer en Gironde
L'exploitation pétrogazière en France reste certes très faible au regard de la consommation française, de l'ordre de 700 000 tonnes de pétrole exploité pour 70 millions de tonnes consommées. Elle n'a pour autant pas disparu avec la loi Hulot.
L'entreprise canadienne Vermilion avait fait pression sur le gouvernement français pour édulcorer la loi Hulot. Et elle vient par exemple d'obtenir un avis favorable de la commissaire enquêtrice pour réaliser huit nouveaux forages sur la commune de La Teste-de-Buch, en Gironde.
C'est au préfet de Gironde, et donc au gouvernement, qu'il revient désormais d'autoriser ces nouveaux forages ou non. Vermilion est titulaire jusqu'en 2035 du permis d'exploitation dit « Cazaux », qui comporte 93 puits dont 50 encore actifs. L'entreprise justifie ces nouveaux forages au nom du « maintien de la production » et dit « viser à l'atteinte du rendement maximum du gisement » en accédant à des réserves situées entre 2000 et 3000 mètres de profondeur.
Les opposants à ces nouveaux puits n'ont pas rendu les armes. Des associations telle que XR ou Greenpeace ont organisé une manifestation le 9 décembre devant la sous-préfecture d'Arcachon. De leur côté, le député de Bordeaux Nicolas Thierry et le conseiller régional Vital Baude, tous deux élus écologistes, ont récemment écrit à la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. Ils lui demandent de s'opposer à ces nouveaux forages, les jugeant « en décalage avec les objectifs énergétiques du pays » et « climaticides ».
Le gouvernement hésite
Le gouvernement semble hésiter. Le 1er décembre, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a souhaité rappeler qu'il ne s'agissait pas « de nouvelles exploitations » mais « de poursuites d'exploitation et de forage dans le cadre d'une exploitation donnée il y a plusieurs dizaines d'années ». Il a aussi indiqué que « ce n'était pas plus mal que le pétrole vienne d'ici plutôt que de le faire venir du bout du monde ». La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a indiqué deux jours plus tard vouloir respecter la loi tout en disant chercher à « minimiser les dernières exploitations de pétrole et de gaz sur notre territoire ».
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) préconise de renoncer à l'exploitation d'au moins 80 % des réserves d'hydrocarbures recensées, afin de limiter le changement climatique à 1,5 ou 2 degré par rapport à l'ère préindustrielle. Face à cet impératif, la décision du gouvernement, aussi symbolique soit-elle au regard de la production mondiale, sera suivie de près. Elle illustre, une fois de plus, les difficultés à stopper l'extraction des énergies fossiles quand on refuse de toucher aux intérêts des groupes énergétiques et de revenir sur les droits qu'ils ont acquis par le passé.
Maxime Combes
Photo de une : CC BY-NC-SA 2.0 Deed via flickr.