16/04/2024 francesoir.fr  6 min #246911

Mode de scrutin : après eux, le déluge !

Alain Tranchant pour France-Soir

F. Froger / Z9

TRIBUNE - Il ne leur suffit donc pas d'avoir mis le pays au bord de la faillite. Voilà qu'ils envisagent de le rendre durablement ingouvernable.

Ainsi qu'on pouvait le pressentir, l'initiative de Mme Braun-Pivet suggérant d'élire les députés à la proportionnelle, dans les 18 départements envoyant 10 représentants ou plus à l'Assemblée nationale, en vérité de faire nommer par les partis politiques 180 députés, ne relevait pas du ballon d'essai, mais bien d'une volonté délibérée de porter un coup sans doute fatal aux institutions de la Vème République.

Pour celles et ceux qui en auraient douté, la lecture du Figaro des 10 et 12 avril derniers aura été particulièrement édifiante. Mais, pour l'auteur de ces lignes, qui avait donné à France-Soir une tribune  "La proportionnelle intégrale, vite !" Ou comment faire dire au général de Gaulle ce qu'il ne disait pas ?", c'était tout sauf une surprise.

Dans son "Contre-point" du 12 avril, Guillaume Tabard rappelle qu'"en 2017 le candidat Macron avait fait de l'instauration d'une "dose" de proportionnelle pour l'élection des députés une des clés d'un regain de confiance des citoyens dans la vie politique". L'élection, en juin 2022, d'une Assemblée nationale sans majorité - exception à la règle avec le scrutin majoritaire, mais marque caractéristique de toute élection à la représentation proportionnelle - n'a manifestement pas ouvert les yeux de l'éditorialiste du quotidien du matin. Quant au "regain de confiance des citoyens", les autres clés n'ont pas dû fonctionner, et il s'est évaporé dans les sables mouvants du "en même temps"...

En conclusion de son article, le journaliste écrit qu'"in fine, la question est de savoir si Macron veut accrocher ou non une réforme institutionnelle à son bilan qui en reste à ce jour dépourvu". Là, on tombe des armoires ! Car ce n'est pas de M. Macron dont il s'agit, mais de la France et de la solidité ou de l'infirmité de ses institutions, du peuple français et de son avenir.

Si le pouvoir n'entend évidemment pas donner la parole au peuple sur l'immigration ou sur un autre sujet essentiel pour la nation, il n'envisage pas davantage d'aller au référendum sur la loi électorale. En l'occurrence, le Conseil constitutionnel aurait le plus grand mal à s'opposer à un tel scrutin. Ce serait aller contre la volonté clairement affirmée des constituants de 1958 (les travaux préparatoires de la Constitution en font foi) et contre la jurisprudence des débuts de la Vème République, puisque c'est pour instaurer un nouveau mode d'élection du président de la République, au suffrage universel, que le général de Gaulle a eu recours au référendum de l'article 11 de la Constitution en 1962.

Parce que le pouvoir se méfie du peuple, les grandes manœuvres ont commencé en coulisses pour rendre impossible, à l'avenir, l'élection d'une Assemblée nationale dotée d'une vraie majorité, et pour ouvrir la voie à un authentique régime des partis qui sera, demain comme hier, bien incapable de faire face à l'héritage que laissera M. Macron.

Ainsi, suivant les propos rapportés par Le Figaro, Mme Braun-Pivet aurait sollicité l'avis de l'hôte de l'Elysée lors de son déplacement au plateau des Glières, dimanche 7 avril. "Vas-y, avance", lui aurait rétorqué le chef de l'Etat. Et, déjà, la présidente de l'Assemblée nationale a commencé à consulter les présidents de groupe à l'Assemblée, qu'ils appartiennent à la Macronie ou à l'opposition.

Le pire, dans cette affaire, c'est que Mme Braun-Pivet a aussi fait procéder à des simulations, à partir du résultat des élections législatives de 2022. Les projections en sièges, présentées dans l'édition du 10 avril, sont sans appel : avec ce tripatouillage du mode de scrutin, M. Macron aurait eu encore moins de majorité pour soutenir son gouvernement. On croit rêver ! Vraiment, les princesses et les princes qui sont incapables de gouverner n'ont pas le moindre sens de l'intérêt de la France.

Avec la représentation proportionnelle, c'est toujours au lendemain du scrutin, "dans le dos de l'électeur" pour employer un langage imagé, que se concoctent, sous couvert d'une pseudo union nationale, des majorités de rencontre entre adversaires de la veille, qui redeviendront adversaires lors du scrutin suivant. C'est l'avènement assuré du règne des "jeux, poisons et délices" qui ont fait le malheur de la France sous les Républiques antérieures.

Bien sûr, on peut préférer la représentation proportionnelle au scrutin majoritaire. Mais alors il faut dire au peuple français qu'il n'aura plus le moindre pouvoir de décision par son vote, puisque par définition l'élection ne dégagera aucune majorité. Ce sont les partis politiques qui feront, et déferont, les coalitions gouvernementales, pour la simple raison qu'il faudra le concours de plusieurs groupes parlementaires pour trouver une majorité sur les bancs du Palais Bourbon. Si, sans en appeler à la décision du peuple français, l'actuelle Assemblée nationale - une loi ordinaire suffisant à modifier le régime électoral - venait à entériner le projet du pouvoir, je ne donne pas cher des chances de la France d'affronter avec succès les tempêtes qu'elle sera forcément amenée à traverser.

Certes, les institutions ne sont pas tout, et on le mesure ô combien aujourd'hui avec de bonnes institutions et de mauvais gouvernants. Mais de mauvaises institutions - et le mode de scrutin n'est pas un détail sans importance ! - ne sont pas le gage du gouvernement ordonné d'un pays, surtout dans le monde dangereux où nous vivons.

A n'en pas douter, le temps du combat pour la défense de la Vème République est venu. Je voudrais être sûr que les combattants seront nombreux...

Alain Tranchant, président-fondateur de l'Association pour un référendum sur la loi électorale

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