Avec les conséquences du dérèglement climatique mais aussi de la pollution, du tourisme et de la pêche, les récifs coralliens mondiaux se trouvent grandement menacés. Mais des associations luttent pour les sauver. Depuis 12 ans, Coral Guardian travaille à la préservation pérenne des coraux en lien avec des associations et populations locales. Elle mène actuellement des campagnes en Espagne et en Indonésie, chacune avec ses spécificités distinctes. Etat des lieux.
Les coraux ne couvrent que 0,1% du fond océanique pour 0,25% de l'ensemble de l'environnement marin mais leur rôle dans l'équilibre de la vie marine est primordial. De leur présence dépend 25% de la biodiversité marine. La vie de deux millions d'espèces différentes est liée aux récifs coralliens.
L'être humain leur doit également beaucoup. Les récifs coralliens favorisant la présence de poissons, ils sont une importante source de nourriture et de revenus. Ils protègent aussi nos côtes contre l'érosion et se dressent comme un mur face aux ouragans, aux typhons et aux cyclones.
La menace qui pèse sur les coraux, dans l'indifférence
« la moitié des récifs coralliens a déjà disparu »
Et ce riche écosystème indispensable à la vie se trouve cependant en grand danger. On estime que la moitié des récifs coralliens a déjà disparu ainsi que la science l'avait prédit en 1998 déjà. Plusieurs vagues de réchauffement des eaux ont provoqué le blanchiment en masse des coraux : en 1998, 2002, 2016-2017, 2020 et tout récemment en avril 2024.
En parallèle de cette augmentation de leur température, l'eau des océans s'acidifie et se désoxygène ce qui tue les polypes et les algues vivant en symbiose avec le corail. A l'inverse, des espèces invasives y apparaissent et menacent la vie des récifs. Le phénomène de blanchiment du corail autrefois rare est devenu régulier au point que des scientifiques craignent leur disparition totale d'ici 2050.
Outre le dérèglement climatique, la pollution et la surpêche constituent également des causes de la disparition des coraux. Des techniques de pêche sont particulièrement dévastatrices comme la pêche au cyanure, à la dynamite, à l'explosif ou encore le chalutage en eau profonde qui consiste à racler le fonds marin.
Le tourisme de masse qui s'est développé à proximité des plus beaux récifs contribue à leur perte en entraînant la construction d'infrastructures, le déversement de déchets, pollution et une trop forte présence humaine perturbant la vie marine. L'agriculture industrielle, l'exploitation minière, les forages pétroliers et gaziers génèrent également des rejets polluants qui vont atteindre les mers via les cours d'eau.
À la rescousse des récifs
Au-delà de ce constat pessimiste, des associations se mobilisent de par le monde pour régénérer et protéger ces écosystèmes vitaux. Parmi elles, une association française, Coral Guardian. Elle est née en 2012 suite au constat alarmant de son co-fondateur Martin Colognoli. Martin Colognoli travaillait alors dans une ferme de poissons tropicaux en Indonésie où il a pu découvrir l'impact négatif que ces conditions (néfastes) d'élevage généraient sur les récifs.
L'association tout juste créée a mis en place le programme ' Adopte un corail' permettant à n'importe qui de parrainer un corail et de contribuer à leur sauvegarde de par le monde. Puis en 2019 naissait le programme Blue Center pour proposer expertise et soutien financier à des projets de restauration corallienne portés par des locaux uniquement.
Coral Guardian s'engage alors pour un minimum de trois années, au terme desquelles l'accompagnement peut se renouveler si la situation le nécessite. L'objectif final étant de passer complètement la main à la communauté.
Trois axes structurent l'action de Coral Guardian : conservation, sensibilisation & science. La conservation implique la participation des communautés locales pour mener à bien les campagnes de restauration et de protection. Les programmes de sensibilisation informent populations locales et grand public de l'importance des récifs coralliens. Enfin, la recherche scientifique permet d'améliorer les techniques de restauration.
L'implication des locaux est primordiale pour mener à bien la restauration puis pérenniser la protection du récif qui nécessite une surveillance régulière. Et si la présence de Coral Guardian n'a pas rencontré d'opposition, notamment en Indonésie, c'est justement parce qu'elle a à cœur de ne pas s'imposer sur place, d'éviter la posture de « l'occidental sachant ». L'échange se doit d'être réciproque, dans le dialogue, l'ouverture d'esprit et le respect.
Pour réduire leur empreinte carbone, les membres ne se rendent d'ailleurs pas plus d'une fois par an sur place (effectuant communication et suivi hebdomadaire par visio et mails) ce qui renforce l'implication des acteurs locaux.
Actuellement, Coral Guardian est engagée dans trois campagnes de restauration coralienne : sur l'île d'Hatamin en Indonésie, le programme-pilote de l'association depuis 2015, à Punta de la Mona en Espagne pour le projet Deep CORE depuis 2020, et dans l'océan indien au Kenya pour le projet REEL qui a débuté cette année.
Chaque lieu présente des caractéristiques propres auxquelles il faut adapter les techniques. Ces spécificités concernent la nature des coraux (coraux d'eau froide en Espagne, d'eau chaude en Indonésie), des dégâts dont ils sont victimes, de leur environnement, du mode de vie des locaux.
A Hatamin en Indonésie, le projet-pilote
« Pour redonner vie à la zone dévastée, il a fallu effectuer la transplantation de 70 000 coraux »
En Indonésie, Coral Guardian agit depuis octobre 2015 avec la fondation locale Waka Eling Semeton pour la préservation de l'écosystème autour de l'île d'Hatamin au nord-ouest de la mer de Florès. La mauvaise gestion des stocks de pêche a entraîné une raréfaction des espèces marines d'autant plus critique que la population locale dépend de la pêche d'un point de vue alimentaire aussi bien qu'économique.
Les deux associations ont donc développé le projet 'Pulau Hatamin Coral Sanctuary' au sud de l'île d'Hatamin, avec les pêcheurs du village Seraya Besar pour rétablir les fonds océaniques de la région dont le substrat a été complètement détruit par des décennies de pêche à la dynamite.
Pour redonner vie à la zone dévastée, il a fallu effectuer la transplantation de 70 000 coraux sur un récif d'une superficie de 730 mètres carrés. Des fragments de corail encore viables récoltés sur le même fond marin ont été transplantés sur des structures artificielles où ils ont pu s'attacher à un nouveau substrat où se développer.
La récupération de coraux viables leur permet en outre de devenir plus résiliant face au réchauffement des océans. Car d'après certaines études scientifiques, suite à premier stress, un corail est plus résistant face à la survenue d'un second.
Le récif reconstitué fait désormais partie d'une aire marine protégée de 1,2 hectare créée en septembre 2019 par le gouvernement indonésien suite à la demande de Coral Guardian. Grâce à la réintroduction des coraux, un retour de 26 fois plus de poissons a été enregistré dans la zone protégée entre 2015 et 2022.
L'enjeu principal du projet se porte désormais sur sa pérennisation. Huit personnes, en majorité d'anciens pêcheurs, travaillent à plein temps pour assurer un suivi biologique régulier de l'évolution des coraux : croissance, santé, mortalité, blanchiment, biodiversité du récif. L'implantation de 7 000 coraux par an est prévue pour étendre le récif et le renforcer avec de nouvelles espèces favorisant un brassage génétique.
Le suivi social opéré auprès des pêcheurs de Seraya Besar a permis d'observer une multiplication par sept du kilo de poissons pêchés entre 2016 et 2022 autour du projet. L'équipe mène également des actions de sensibilisation de la population locale, des enfants et des touristes sur l'importance de préserver et valoriser leurs ressources naturelles dans le cadre d'une gestion durable.
Le projet 'Pulau Hatamin Coral Sanctuary' a permis non seulement le retour des coraux et de la biodiversité mais aussi de l'équilibre économique local. L'activité des pêcheries locales retrouve une stabilité et le développement d'un tourisme respectueux diversifiera les sources de revenus de la population.
Le projet Deep CORE en Espagne
En Espagne, Coral Guardian accompagne depuis fin 2020 l'association locale Coral Soul sur le projet Deep CORE. Ce projet vise à la restauration des écosystèmes coralliens et à enrayer la dégradation des espèces marines de la Zone Spéciale de Conservation des falaises et fonds marins de Punta de la Mona, une aire marine protégée depuis 2015. Cette dégradation est principalement due à une augmentation de la pollution de la mer Méditerranée. Or, cette zone abrite une riche biodiversité marine dont 60 espèces d'intérêt pour la conservation méditerranéenne.
Coral Guardian et Coral Soul collaborent sur ce projet à long terme afin de profiter de leurs expertises respectives au profit des communautés locales qui souhaitent protéger les écosystèmes coralliens menacés, en particulier son importante population de corail chandelier menacée d'extinction.
Ce corail est d'habitude situé entre 60 et 120 mètres de profondeur. Mais à cause de la configuration unique de la région, il se retrouve à 30 mètres de fond seulement. Cette faible profondeur le rend particulièrement vulnérables aux dégâts causés par les filets de pêche abandonnés qui s'accrochent à leurs branches et les brisent. Autre source de dégâts : le tourisme. Les coraux visités par de trop nombreux plongeurs devenant sujet au stress.
Le projet Deep CORE a débuté par le nettoyage du fond marin local, jonché de matériel de pêche abandonné. Les filets et les lignes de pêche recouvraient environ 80% des récifs coralliens de la zone. Les plongeurs ont ainsi remonté 1,4 tonne de déchets.
En parallèle, trois nurseries ont été installées entre 30 et 40 mètres de fond pour soigner le corail endommagé avant de le réintroduire dans son milieu. Les coraux récupérés en bonne santé pouvaient, eux, être directement réimplantés sur le fond marin avec une résine non toxique. Contrairement au projet indonésien, en Espagne il ne s'agit pas de régénérer un récif mais de le restaurer dans une démarche préventive.
Les soins prodigués aux coraux ont abouti à un taux de 90% de coraux transplantés en bonne santé, avec un nombre de poissons trois fois plus important sur la zone restaurée (comparée à la zone témoin). En lien avec Coral Guardian, l'association locale Coral Soul exerce le suivi scientifique et social du projet pour assurer sa continuité.
Comme en Indonésie, la participation de la population locale s'est avérée essentielle avec l'implication et la formation de nombreux plongeurs bénévoles. La tenue d'activités de sensibilisation à destination des plus jeunes, des riverains, des familles, des pêcheurs et des plongeurs contribuera à la pérennité du projet et au changement à long terme des pratiques de pêche, de gestion des déchets et d'utilisation de l'aire marine protégée. Un système de financement participatif a été mis en place en 2022 pour permettre au grand public de participer à la restauration corallienne en adoptant un corail méditerranéen.
A terme, le projet vise à l'autonomisation avec le développement d'un modèle économique local par Coral Soul. La préservation des écosystèmes marins de la région de Punta de la Mona permettra en effet d'une part, de proposer une offre touristique éco-responsable et d'autre part, de maintenir les stocks de pêche et une meilleure gestion de ceux-ci.
Et ensuite...
Malgré les actions d'envergure menées par des associations comme Coral Guardian, la préservation à long terme des coraux ne peut se satisfaire uniquement de mesures préventives et curatives, ainsi que nous le rapportions dans un précédent article.
Un aspect dont Coral Guardian a d'ailleurs parfaitement conscience :« Concernant les problématiques globales de montée des eaux et des températures, nous sommes hélas impuissants à notre échelle. Par contre, nous avons remarqué que plus on traite les problématiques locales (pollution, surpêche, tourisme de masse), plus les coraux sont prêts à faire face aux problématiques globales. D'où notre action focalisée sur ces problématiques locales sur lesquelles nous pouvons agir. »
Et si nous ne freinons pas le réchauffement climatique en mettant l'accent sur la décarbonation de nos modes de vie, les efforts menés par les associations engagées comme Coral Guardian seront réduits à néant dans un futur proche.
- S. Barret
Image d'en-tête : Julien Holleville pour Coral Guardian en Indonésie.