10/06/2024 basta.media  8min #250187

 Vote Rn : « Le racisme est une force d'attraction politique qui ne doit pas être prise à la légère »

Cette Bretagne « ouverte et solidaire » qui livre bataille contre les suprémacistes blancs

Ils revendiquent ouvertement leur racisme et leur suprémacisme « blanc », y compris en usant de la violence physique. Face à ces exactions d'extrême droite qui se répandent en Bretagne, syndicats et associations préparent « la bataille culturelle ».

« La Serre, c'est un repaire d'extrême gauche, de partisans d'une idéologie mortifère, leurs idées gangrènent la société. » A la barre du tribunal de Saint-Brieuc, jeudi 16 mai dernier, Noël B., 20 ans, assume pleinement ses actes. Il comparait, avec deux autres personnes dont son frère aîné, Lucas, pour violences en réunion avec arme et avec le visage dissimulé suite à l'intrusion violente dans le local associatif briochin La Serre, le 17 novembre 2023. L'agression a fait plusieurs blessés, dont l'un d'entre eux s'est vu prescrire une Interruption Temporaire de Travail (ITT) de 3 jours. Les personnes présentes participaient ce soir-là à une réunion d'une association d'éducation populaire.

Noël B., colleur d'affiches occasionnel du Parti national breton (PNB, autonomiste d'extrême droite), reconnaît avoir participé à cette action violente, visant à « récupérer le matos antifa » (autocollants, affiches et banderoles), muni d'une « barre de fer car c'est utile contre les antifa » mais indique ne pas avoir « frappé les personnes âgées par respect du code d'honneur ». Le militant d'extrême droite, qui considère « la démocratie comme un régime mortifère », dit avoir agi pour notamment « défendre le droit des Blancs à vivre », comme si celui-ci était menacé.

Sticker Ku Klux Klan et bulletin Jordan Bardella

Son frère, Lucas B., sympathisant d'Éric Zemmour, a déclaré qu'il allait « voter pour Jordan Bardella aux élections européennes » au cours d'une audition devant les gendarmes. La présidente du tribunal égraine le contenu du stock de stickers retrouvé par les forces de l'ordre au cours d'une perquisition chez lui : « « White lives matter », « La Bretagne aux Bretons », « Ku Klux Klan » et autres croix celtiques... ». « Entre nous, ça s'échange comme des cartes Pokemon », rétorque tranquillement le militant.

Violences d'extrême droite

Basta! a recensé  une cinquantaine d'exactions de janvier 2023 à mai 2024 commises en Bretagne et Loire-Atlantique. Elles sont classées en quatre catégories, par ordre de gravité, des tags racistes ou néo-nazis aux violences physiques, en passant par les menaces et les incendies (contre la maison d'un élu) et tentatives d'incendie (contre des mosquées notamment).

© Christophe Andrieu

Au terme de l'audience, le tribunal condamne Lucas B. à 12 mois d'emprisonnement avec deux ans de sursis probatoire et Noël à 18 mois d'emprisonnement, dont 12 mois de sursis. Le lendemain du procès, des inscriptions sont découvertes sur les murs de la Serre : à côté d'une croix gammée et d'une croix celtique, un « Fuck antifa » accompagné d'une menace : « On a pas dit notre dernier mots (sic). »

A Saint-Brieuc, ce n'est pas la première fois que la Serre, lieu de débats et de projections abritant également une cantine populaire, est prise pour cible. En octobre 2023, quelques semaines avant cette agression, des inscriptions nazies ont été taguées sur la devanture du local. En septembre, c'est la permanence du Parti communiste (PCF) qui était visée par des tags nazis et suprémacistes. En juillet, un groupe d'une vingtaine de militants fascistes cagoulés et armés attaquait les participants au festival « Pour une Bretagne ouverte et solidaire ».

Menaces par armes à feu

Une violence d'extrême droite qui s'est déployée ces derniers mois non seulement à Saint-Brieuc, mais également dans toute la région Bretagne ainsi que dans le département des Pays-de-la-Loire. Basta! a ainsi recensé de manière non exhaustive plus d'une cinquantaine d'actes violents perpétrés par différents groupes d'extrême droite sur ce territoire depuis début 2023.

« C'est la première fois qu'on subit ce niveau de violence, indique Winston* [1] du Collectif vigilance antifasciste (CVA), à l'origine avec d'autres organisations du festival « Pour une Bretagne ouverte et solidaire » à Saint Brieuc. « Jusqu'à présent, on était plutôt épargné dans la région. » A Lorient, les syndicalistes étudiants de l'Union pirate ont également vu se multiplier les autocollants fascistes, croix celtiques et autres tags nazis sur les murs de l'université ces derniers mois. « Une vidéo a même circulé dans laquelle on voyait des personnes tirer avec une arme à feu sur une de nos affiches syndicales », relate Amélie*, de l'Union pirate Lorient, « c'est choquant ». La syndicaliste fait le lien entre la multiplication des intimidations et la création récente sur le campus d'une section du syndicat d'extrême droite Union nationale inter-universitaire (UNI).

A Lorient, les agissements de l'extrême droite ne restent pas cantonnés à l'université. « En mars 2023, à la fin d'une manifestation contre le projet de réforme des retraites, plusieurs camarades portant des chasubles Solidaires ont été agressés et menacés avec une arme à feu », note Gwenn* du syndicat Sud Éducation Morbihan. Amélie, à Lorient, continue la liste : « Pendant les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, on a aussi vu se constituer une milice privée qui interpellait les protestataires aux côtés des forces de l'ordre, on sait que certains membres de l'UNI y ont participé. »

Cibler l'accueil des migrants...

« Ces deux dernières années, nos locaux de Brest ont été ciblés à cinq reprises par de la peinture ou des tags avec notamment des croix gammées ou des croix celtiques », rappelle de son côté Ismaël Dupond, secrétaire départemental du PCF pour le Finistère. Le militant précise que les plaintes déposées après ces dégradations n'ont cependant pas donné de suites judiciaires à ce jour. Ce qui inquiète encore plus Ismaël Dupond, ce sont « les intimidations autour des questions d'accueil des migrants », évoquant ainsi les menaces de mort dont a été la cible Laure-Line Inderbitzin, membre du PCF, ex-adjointe à la mairie de Callac (mais toujours membre du conseil municipal).

Callac est une petite ville d'environ 2000 habitants dans les Côtes d'Armor. Un projet d'accueil de réfugiés porté par la municipalité y a été abandonné début 2023 suite à un virulent mouvement d'opposition orchestré par l'extrême droite. « L'offensive violente de Reconquête ! à Callac, les manifestations qui y ont été organisées et le fait qu'on ait vu débarquer dans ces rassemblements des militants appartenant à des groupuscules violents, cela a déclenché quelque chose », analyse Marie* du syndicat Solidaires des Côtes d'Armor, qui ajoute : « Le fait qu'ensuite la mairie de Callac abandonne le projet d'accueil de réfugiés, ça a été interprété comme une victoire par l'extrême droite. »

Face à la recrudescence des violences de l'extrême droite, les organisations syndicales et militantes tentent de construire une riposte. « Avec la Confédération générale du travail (CGT) et la Fédération syndicale unitaire (FSU), nous avons créé en juin 2023 le collectif Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (VISA) pour les Côtes d'Armor », explique Marie de Solidaires. Cette dynamique intersyndicale contre l'extrême droite, née en 1996 au niveau national, n'existait pas localement. « On informe et on organise des formations, précise la syndicaliste, l'objectif, c'est d'outiller les militants et les syndiqués pour qu'ils puissent agir sur leur lieu de travail contre l'extrême droite et ses idées ».

Ou des artistes drag-queen

« Il y a une bataille culturelle qui se joue, complète Gwenn de Sud Éducation Morbihan, pas seulement en Bretagne, mais aussi au niveau national, tant dans les médias que dans le champ professionnel ». Organiser des ateliers de formation, décrypter les programmes défendus par les partis d'extrême droite, mieux comprendre comment fonctionne « la fachosphère » et ses réseaux, recenser les actes perpétrés par les groupes violents : contrer l'influence de l'extrême droite implique un travail militant conséquent.

Au-delà du champ syndical, Marie juge pour sa part qu'il était « urgent d'élargir le front contre l'extrême droite et de reprendre la rue », raison pour laquelle son syndicat, Solidaires Côtes d'Armor, a rejoint l'initiative locale du Front commun. « Avec le Collectif Vigilance Antifasciste (CVA), nous souhaitions ne pas nous cantonner aux syndicats et partis politiques mais impliquer plein d'autres personnes et organisations qui pouvaient soutenir ce genre de combat, précise Winston. « Nous nous sommes donc tournés vers des commerçants, des musiciens ou des lieux culturels, dont certains avaient fait face à l'extrême droite, comme à Lamballe au cours d'un atelier de lecture organisé par des artistes drag-queen. »

Le Front commun contre l'extrême droite prend forme fin 2023 et a d'organisé une manifestation régionale le 21 avril dernier, à Saint Brieuc, 23 ans jour pour jour après l'arrivée de Jean-Marie Le Pen, le candidat du Front national (FN), au second tour de l'élection présidentielle. Environ 1500 personnes étaient présentes pour cette manifestation. Winston du CVA se dit « satisfait » du niveau de mobilisation mais souligne que « c'est le résultat d'un important travail d'information de terrain auprès d'un large public afin de mobiliser contre toute cette violence d'extrême droite ».

L'enjeu ? Gagner « la bataille culturelle » et faire que la Bretagne reste une terre « ouverte et solidaire ». Un défi colossal au lendemain d'élections européennes marquées par des scores conséquents de l'extrême droite, tant au niveau européen que nationalement et localement. Et suite à l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, qui prend le risque de permettre l'arrivée de l'extrême droite à Matignon.

Mael Galisson

En photo : Marche en soutien a Yannick Morez, maire de Saint-Brévin (Loire-Atlantique) le 24 mai 2023. Le domicile du maire avait été ciblé par un cocktail Molotov et un incendie détruisant une partie de sa maison. Il a démissionné de son poste suite aux menaces de militants d'extrême-droite, hostiles à l'aménagement d'un centre d'accueil pour personnes réfugiées / © Estelle Ruiz (Hans Lucas).

Notes

[1] *Pour des questions de sécurité, certaines personnes interviewées ont souhaité rester anonymes ou ne donner que leur prénom.

 basta.media

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