05/07/2024 infomigrants.net  7min #251957

Allemagne : les incidents islamophobes et antisémites explosent

|Les incidents islamophobes ne sont la plupart du temps pas signalés par les victimes

Crédit : picture alliance/Panama Pictures/Christoph Hardt

Le réseau CLAIM, l'Alliance contre l'islamophobie et la musulmanophobie, a constaté une augmentation de 114 % du nombre d'agressions physiques ou verbales contre des personnes de confession musulmane en 2023, par rapport à l'année précédente.

L'Allemagne a ainsi enregistré un signalement record de 1 926 incidents islamophobes l'année dernière (contre près de 900 en 2022). Ces incidents se sont notamment multipliés après l'attaque terroriste du 7 octobre menée par le Hamas palestinien sur le sol israélien.

Dans la plupart des cas, il s'agit d'attaques verbales et d'insultes, qui visent avant tout les femmes. Dans un peu moins d'un cas sur dix, des personnes ont été blessées physiquement, comme lors de la tentative d'incendier une mosquée à Bochum dans la région de la Ruhr), ou encore lorsqu'un homme d'extrême droite s'en est pris à ses voisins musulmans en Saxe. Dans un autre cas, une femme a été poussée sur les rails d'un train à Berlin après qu'on lui a demandé si elle appartenait au Hamas. Quatre tentatives de meurtre ont également été signalées.

Reem Alabali-Radovan, la commissaire fédérale chargée de la Lutte contre le racisme et ministre d'État à l'intégration, a fait remarquer que "les incidents anti-musulmans ne viennent pas de nulle part. Ils sont le fruit d'un discours et de récits islamophobes qui créent un climat d'exclusion et favorisent l'incitation et la violence". Les groupes de défense des droits de l'Homme accusent toutefois les autorités de ne pas accorder suffisamment d'attention à ce phénomène, voire de nier son existence.

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"Les rues, les bus ou les mosquées ne sont plus des lieux sûrs pour les personnes musulmanes ou perçues comme telles", a lancé Rima Hanano, la présidente du CLAIM, lors de  la présentation du rapport fin juin à Berlin. "Le racisme anti-musulman n'a jamais été aussi socialement acceptable qu'aujourd'hui et il provient du milieu de la société", a-t-elle expliqué, tout en fustigeant le rôle joué par les partis traditionnels qui sont tentés de reprendre à leur compte des politiques d'extrême-droite.

De son côté, la ministre d'Etat Reem Alabali-Radovan a appelé les citoyens à lutter activement contre ce problème : "Nous devons tous être anti-racistes, identifier clairement, condamner et contrer le racisme anti-musulman, que ce soit dans les parlements et les débats publics, sur le lieu de travail, dans les clubs sportifs ou entre amis".

Seuls 10 % des musulmans victimes de racisme portent plainte

Avec 5,5 millions de personnes, les musulmans représentent 6,6 % de la population totale en Allemagne.

En 2020, un attentat d'extrême droite dans la ville de Hanau a coûté la vie à neuf personnes, pour la plupart de confession musulmane.

Depuis 2017, l'Allemagne classe les crimes de haine contre les musulmans dans la catégorie "islamophobie", les distinguant ainsi des actes de haine à motivation ethnique. CLAIM précise que les incidents enregistrés ne représentent probablement que la partie émergée de l'iceberg, en raison de la peur des victimes de se manifester et du manque d'institutions de surveillance.

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Une enquête de l'Union européenne réalisée en 2017 a révélé que seuls 10 % des musulmans victimes d'incidents islamophobes les ont signalés, estimant souvent que le fait d'aller vers la police ou les autorités ne changerait rien. Parmi ceux qui l'ont fait, 81 % n'étaient pas satisfaits de la réaction de la police.

En vertu de la  Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale de l'Onu, l'Allemagne à l'obligation de protéger les communautés musulmanes. En 2023, le comité de surveillance a rappelé Berlin à l'ordre, sommant les autorités allemandes d'enquêter sur les incidents à motivation racistes et de poursuivre leurs auteurs.

4 800 incidents antisémites en 2023

Le nombre d'actes antisémites en Allemagne a augmenté de plus de 80% en 2023, notamment depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, selon un rapport publié mardi 25 juin. Un total de 4 782 incidents antisémites ont ainsi été recensés en 2023 (contre quelque 2 600 en 2022), selon l'association fédérale des centres de recherche et d'information sur l'antisémitisme (Rias), qui fait référence en la matière.

Environ 2 800 de ces incidents enregistrés l'année dernière se sont produits après le 7 octobre. Parmi ces incidents figure l'attaque d'une synagogue à Berlin, qui a suscité une vive inquiétude.

Dans un pays particulièrement sensible à l'antisémitisme et qui a largement légiféré pour le criminaliser en raison de la responsabilité historique de l'Allemagne dans l'Holocauste, les autorités allemandes semblent moins presser de s'attaquer aux incidents anti-musulmans.

Dans une vidéo, le ministre de l'économie Robert Habeck a accusé certains groupes communautaires musulmans en Allemagne d'être "trop hésitants" dans leur prise de distance avec le Hamas. Il a déclaré que les musulmans devraient "prendre clairement leurs distances par rapport à l'antisémitisme afin de ne pas porter atteinte à leur propre droit à la tolérance".

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Par ailleurs, l'Allemagne n'échappe pas à la poussée de l'extrême-droite à travers l'Europe. Le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui affirme que l'islam ne fait pas partie de l'Allemagne, a encore progressé lors des élections européennes. La progression du parti a incité ces dernières années les partis traditionnels allemands à adopter à leur tour un discours plus ferme sur la migration.

Dans  un article publié dans The New Yorker, la journaliste américano-russe Masha Gessen note que pour l'AfD, dont les dirigeants ont fait des déclarations ouvertement antisémites et renouent avec des éléments de langage de l'époque nazie, "le spectre de l'antisémitisme est un instrument politique parfait, manié avec cynisme. Il est à la fois un moyen de pénétrer dans le courant politique dominant et une arme qui peut être utilisée contre les immigrés musulmans".

"Volonté politique"

L'an dernier, le gouvernement a publié son tout premier rapport indépendant sur l'islamophobie, rédigé par des experts qu'il avait mandatés. Le document liste une série de recommandations pour lutter contre la discrimination. La ministre de la famille, Lisa Paus, a promis de miser sur la sensibilisation dès le plus jeune âge en finançant des projets de la société civile contre la discrimination.

Pour Rima Hanano, la présidente du CLAIM, il faut "une volonté politique pour lutter véritablement contre le racisme anti-musulman" car "cela fait des années que nous mettons en garde contre cette situation, mais elle est encore à peine reconnue".

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Le gouvernement a essuyé des critiques de la part de Human Rights Watch qui estime que le pays de protège pas suffisamment la communauté musulmane. Almaz Teffera, chercheur sur le racisme en Europe à Human Rights Watch, insiste sur la nécessité d'une compréhension claire et de données complètes pour lutter efficacement contre cette forme de haine.

Il ajoute que les communautés musulmanes en Allemagne ne constituent pas un "groupe religieux monolithique, mais plutôt un groupe composé d'une diversité d'ethnies qui subit une haine et une discrimination qui ne peuvent être réduites à leur foi". Pour lui, investir dans la protection de toutes les minorités est un "investissement dans la protection de l'ensemble de la société allemande".

Avec AP et Reuters

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