Prolégomènes à une anthropologie de la duperie politique (II)
Par Manuel De Diéguez
En raison de la portée historique du débat de fond qu'appelle le retour programmé de la France dans l'OTAN, et avec l'espoir de contribuer modestement à poser les vraies questions, je consacrerai à ce sujet trois analyses d'anthropologie critique. Voici donc le second.
Il serait suicidaire, pour les défenseurs de la souveraineté de la France, de se tromper d'échiquier politique et de défendre l'indépendance nationale comme s'il s'agissait d'une guerre des tranchées, alors que c'est le gouvernement qui se barricade dans la forteresse d'une Europe repliée sur son enceinte et qui s'enferme d'avance dans l'enclos fleuri des servitudes jardinières.
La France joue sa vision de l'avenir du monde dans une partie qui dépasse l'horizon de sa classe politique. Mais pour que l'histoire s'ouvre par delà l'horticulture des civilisations finissantes, il faut qu'une nouvelle Renaissance prenne la relève de celle qui avait fait, des retrouvailles de l'Europe avec la pensée antique, la condition de l'élan de notre espèce vers l'avenir de son intelligence. Si l'humanisme épuisé du Vieux Continent n'approfondissait plus la connaissance post-darwinienne et post-freudienne de la politique qui permettra de scanner la vassalité, le leurre et la duperie dont l'OTAN est l'instrument, si l'Europe de la raison ne fondait pas une science moins superficielle du genre humain, afin de mettre à nu les racines de la sotériologie pseudo démocratique américaine, notre civilisation perdrait toute chance d'échapper au piège de son enfermement définitif dans un occidentalisme intellectuellement asséché. Mais pour cela, il faut qu'un nouveau siècle des Lumières radiographie l'encéphale schizoïde du singe parlant et féconde un regard critique sur les mythes religieux.
Dans un premier temps, les réflexions qui suivent paraîtront déserter sans profit politique immédiat les allées bien tracées de la science machiavélienne des Etats ; mais sans une radiographie de la prison culturelle dans laquelle l'animal au cerveau biphasé s'est enfermé, l'Occident ne forgera pas les armes intellectuelles qui seules lui permettront de scanner le messianisme de l'occupant américain, donc de démonter pièce par pièce le moteur de l'évangélisation démocratique de la terre qui métamorphose l'envahisseur en rédempteur de sa victime.
1 - Le heaume de la Liberté et le casque de la servitude volontaire
2 - La notion de tribut
3 - La spéléologie de la " servitude volontaire "
4 - L'exorcisme par l'apocalypse
5 - Les idoles modernes
6 - Le nouveau pain de l'imaginaire
7 - L'OTAN, un document simianthropologique
8 - La fille aînée de l'OTAN
9 - Politique et scolastique
10 - Un continent cérébralement décapité
11 - La diplomatie béatifiante
12 - Comment les deux lobes du cerveau schizoïde se dupent réciproquement
1 - Le heaume de la Liberté et le casque de la servitude volontaire -
La connaissance simianthropologique de la notion de duperie diplomatique s'approfondira avec la découverte d'un type de servitude des âmes et des esprits qui n'avait jamais été radiographié par les politologues et les historiens anciens : il s'agit désormais de rien de moins que de peser la notion de vassalité sur la balance des relations que l'âme des peuples entretient en profondeur avec leur identité politique la plus secrète. Il y faut des décrypteurs de l'inconscient religieux des démocraties.
En 1949, les Etats-Unis demeuraient tellement intangibles dans le monde entier qu'ils pouvaient compter sur l'acquiescement docile de la masse des serviteurs à leur sotériologie qui s'empressaient en tous lieux de soutenir l'autocratie des décisions d'outre Atlantique au sein d'une OTAN piteusement réduite à la domesticité "rédemptrice"; puis, longtemps encore, les hérétiques apparus à la suite de l'évaporation de l'ennemi soviétique s'étaient timidement abstenus de voter en cas de désaccord avec Washington, parce que le naufrage des identités nationales dans le mutisme politique suffisait à consolider l'armure du maître : il avait été convenu que les approbations tacites et réduites à l'unanimité des livrées les plus ostentatoirement affichées passeraient pour les oracles d'une démocratie théologisée.
2 - La notion de tribut -
Mais qu'en est-il de la félonie politique quand la victime d'une cohabitation militaire imposée par le ciel de la démocratie s'appelle une nation ? Au cours du premier siècle de notre ère, plusieurs chefs gaulois avaient exhorté leurs compatriotes à reprendre le combat du vaincu d'Alesia. Mais, sous Claude déjà, les nouvelles classes dirigeantes faisaient valoir aux derniers îlots de la résistance armée que, pour leur part, elles se faisaient maintenant un honneur d'entretenir de bonnes relations avec les dieux romains, puisque leurs légions se trouvaient implantées à jamais sur leur territoire. Vous me direz que ces Gaulois payaient un lourd tribut à l'empire en échange de sa " protection " contre deux ennemis évanouis - Arioviste et les Helvètes. Mais l'anthropologie critique enseigne que la notion de tribut n'est pas moins piégée par le sacré que celle de duperie, puisque les peuples européens actuellement enfermés dans la cage de verre de l'OTAN paient un tribut de dupes aussi lourd au dieu Liberté qui a élu domicile sur leurs terres que les Gaulois sous Tibère, mais d'un type inconnu des ancêtres - celui de se trouver contraints de payer leur pétrole en sesterces et de participer à l'embargo américain des armes à destination de la Chine, pour ne prendre que ces exemples parmi des dizaines d'autres.
3 - La spéléologie de la " servitude volontaire " -
J'ai déjà rappelé ([vichy.htm|I - L'Alliance atlantique, c'est le vichysme de l'Europe, Prolégomènes à une anthropologie de la duperie politique], 23 février 2009) que l'OTAN de 1949 rassemblait des nations européennes au passé glorieux, mais qui, non seulement s'étaient montrées pleinement consentantes à leur vassalisation rampante, mais reconnaissantes jusqu'à l'ivresse de paraître partager avec l'étranger le sceptre et les autels d'une mythologie mondiale de la liberté politique. Qu'allait-il advenir de la souveraineté des patries dès lors que, depuis 1989, l'ennemi était parti en fumée, qu'allait-il se passer si quarante trois ans après ses retrouvailles avec son indépendance, la France retournait se placer sous le joug discrètement avoué de l'OTAN afin d'y afficher sa servitude sans doute un peu moins crûment que les nations masquées de l'Europe, qui n'ont jamais quitté leur maître d'école et qui se trouvent attachées à son bât depuis trois générations? Gavroche ne saurait ni se flatter de servir le souverain d'un autre Continent, ni tenter de ronger de l'intérieur et en traître l'esprit de vassalité des peuples accablés par le pédagogue mondial de leur "Liberté".
Mais le dégrisement des esclaves d'une mythologie politique renvoie à la plus honteuse des duperies mentales, celle qui, à l'image des Gaulois du 1er siècle, chapeaute du terme de "Liberté" la gangrène psychobiologique incurable d'une auto domestication du jugement qui change un peuple en un travesti enrubanné. Mais, ici encore, la vraie France dressera l'oreille : car l'Europe délibérément enchaînée à sa bisexualité atlantiste a beau se glorifier d'une "souveraineté" désormais fondée sur la "servitude volontaire" de La Boétie, la postérité de l'ami de Montaigne commence de s'ouvrir aux spéléologues de la simianthropologie critique. Du coup, qu'est-ce que combattre la duperie si, aux yeux de la France de la pensée, le devoir d'apprendre à peser à nouveaux frais l'encéphale dédoublé du genre simiohumain est devenu une tâche politique, celle de découvrir les ultimes fondements éthiques de l'Histoire?
4 - L'exorcisme par l'apocalypse -
La chasse à la notion de duperie - ne quittons pas un instant la traque de ce gibier - ne saurait débarquer dans le champ d'une connaissance simianthropologique de la politique que si le lecteur veut bien consentir à garder en mémoire que le paléolithique a fait passer notre espèce de l'inconscience animale à la terreur cérébrale et que la première expression de l'épouvante intellectuelle qu'inspire à Adam sa solitude dans le vide de l'immensité n'est autre que le mythe d'une apocalypse dont la thérapie a passé du biblique au nucléaire. Apocalypse renvoie au grec dévoiler, révéler, et plus précisément, au sens d'enlever un couvercle afin de retirer un trésor de sa cachette. Le simianthrope exorcise le silence de l'immensité et, pour cela, il le défie sur le mode le plus tonitruant et le plus matamoresque possible.
Qu'est devenu, dans la cruelle arène de l'inconscient de l'Histoire, le leurre originel d'une apocalypse terrifiante et libératrice? L'Ecclésiaste ou les Pensées de Pascal peignent une condition encéphalique trompée ab ovo par le sacré et qui se heurte à des apories inscrites dans les chromosomes affolés du simianthrope. Mais, au XVIe siècle encore, l'homme qualifié de sapiens sapiens se transportait corps et âme dans les mondes fabuleux dont ses mythes lui présentaient le tableau avec la précision d'un appareil photographique. Et pourtant, son cerveau se trouvait biphasé depuis longtemps, au point que s'il n'éprouvait encore aucun doute quant à la réalité des paysages de l'au-delà qu'il croyait contempler, il les reléguait déjà prudemment dans des univers inaccessibles au témoignage de ses sens.
Je m'excuse de ce débarquement prématuré de la spectrographie postpascalienne dans le futur scannage psychogénétique de la géopolitique: mais tout homuncule d'homme d'Etat du IIIe millénaire est convié par l'atome à sonder en simianthropologue de demain la panique d'entrailles qui alimente l'infirmité cérébrale d'une espèce dichotomisée de naissance et qui n'en revient pas d'avoir été arrachée à la zoologie. Depuis lors, elle est condamnée à sécréter des théologies bifides et congénitales à sa cécité intellectuelle native. Du coup, l'épouvante religieuse en est venue à servir de nourriture paradoxalement appétissante à un cerveau qui se croit sauvé des eaux par les efflorescences de ses mythologies compensatoires.
5 - Les idoles modernes -
L'inconscient bavard qui sous-tend les apocalypses bifaces renvoie à la scission mentale du sujet entre un réel désespérément muet et un ensorcellement volubile du cosmos. Il y faut les consolations et les menaces alternées des idoles. Ce partage rassurant des responsabilités entre le courage et la peur présentait l'avantage politique évident de permettre à des clergés instruits d'interdire, du moins dans une mesure appréciable, le débarquement frénétique dans le champ social de la schizoïdie pathologique dont notre espèce se trouve affectée de naissance, puisque le temporel, quoique disloqué d'avance par le sacré, défendait inlassablement son pré carré face aux assauts d'un délire cérébral auquel il était suicidaire de laisser la bride sur le cou. Un animal pathétiquement condamné à conjurer son trépas à l'école de la maladie cérébrale dont la nature l'a précisément frappé afin d'y remédier se bat pour sa survie à consommer la pharmacopée de ses songes religieux.
Mais, à la suite de l'épuisement progressif de la vie posthume du singe schizoïde qu'un puissant corps doctrinal avait longtemps protégé de l'anarchie cérébrale la plus pathologique, comment la simiohumanité moderne va-t-elle persévérer à nourrir sa surréalité psychique intellectuellement désarrimée et devenue torturante, donc son auto-duperie mi-salvatrice, mi-terrorisante ? Réponse : en faisant débarquer sans relâche sur la terre ferme des pans entiers de sa vie onirique d'autrefois. Alors le surnaturel précautionneusement mis à part à l'école des clergés - donc utilement éduqué et aménagé en vue du bien public - le surnaturel, dis-je, a tenté de s'incarner de force à l'école des idéocraties, c'est-à-dire des concepts sacralisés et devenus les idoles des modernes.
6 - Le nouveau pain de l'imaginaire -
Le trépas subit de la sotériologie marxiste a contraint notre espèce à se pourvoir d'un nouveau fourrage mi-apeuré, mi-consolant, celui d'un impérialisme démocratique évangélisé par une Amérique eschatologique. Cette ultime métamorphose du finalisme sacré a si bien pris le relais des délivrances et des rédemptions cosmologiques d'autrefois qu'on a vu des chefs d'Etat de sens rassis se ruer sur la scène internationale à seule fin de se faire distribuer devant les caméras du monde entier des "commandements militaires" fantomatiques. Retournerons-nous vers un univers aussi délirant que celui dont la foi du Moyen Age avait fait triompher la théologie figurative?
On raconte que la France des princes de la nouvelle Eglise, celle de la "Liberté", aurait reçu des Etats-Unis la couronne de lauriers de deux "commandements considérables" au sein de l'OTAN. La tiare du premier se trouverait sertie de pierreries à Norfeld aux Etats-unis (Virginie). On l'appellerait le Alved Command Informations. Sa pourpre cardinalice règnerait sur les "métamorphoses internes" d'une Alliance Atlantique fondée sur une prétendue doctrine de "l'emploi des forces". L'autre centre liturgique, qualifié de "commandement régional", serait basé à Lisbonne, où se trouve le quartier général d'une "force de réaction rapide" de l'OTAN. A ces fantasmes incrustés des diamants de la servitude s'ajoutera, dit-on, un "centre d'analyse des photographies prises par des satellites", lesquels exerceront la fonction d'oracles tournoyants à vive allure autour d'une planisphère affolée.
7 - L'OTAN, un document simianthropologique -
Les historiens et les simianthropologues de demain se partageront entre la stupéfaction, la honte, la fureur, le mépris, l'apitoiement et le désespoir au spectacle d'une civilisation autrefois fière des exploits de sa raison politique et que le destin a subitement livrée à un maître de ballet de la démocratie habile à balancer les encensoirs de la Liberté et de la Justice aux yeux des foules du monde entier. Par quel ébranlement de son équilibre mental l'Europe a-t-elle pu se laisser décorer de rubans et de colifichets, à la manière dont la cour d'Angleterre distribuait du moins ses propres hochets aux grands du royaume dans le Conte du tonneau d'un certain Jonathan Swift?
C'est que l'entendement simiohumain est tellement désarmé qu'il s'effondre devant l'étalage des ciboires et des brûle-parfums dont il décore sa propre servitude. Aussi la domestication actuelle du cerveau du Vieux Monde par le Nouveau constitue-t-elle un document simio-anthropologique sans prix, tellement ce prie-Dieu finement ciselé mérite de figurer au musée du vocabulaire précieusement biseauté de l'empire américain. Le premier souci des grands prêtres de la démocratie planétaire est de convaincre le néophyte de ce que l'ordre régnant dans le temple actuel du salut est naturel et que sa conformité aux exigences d'aujourd'hui du souverain mondial du "droit" et de la "justice" en fait un trésor inestimable. C'est ainsi que le retour précipité dans l'OTAN de l'enfant prodigue qu'on appelle encore, ici ou là, la France découragerait les perfides "opposants à la normalité".
C'est sur ce modèle d'un révélateur crypté des ressorts universels de l'obéissance religieuse qu'au XVIè siècle Rome tentait de convaincre les Luther et les Calvin de se rallier in extremis à la "normalisation" d'une foi chrétienne étalonnée, donc légitimée depuis des siècles par la soumission du monde entier à l'autorité de Saint Pierre et de ses successeurs. L'hérésie était déjà un "déphasage par rapport à ce qui se passe sur le terrain", (Leo Michel, Directeur de recherches, Institute for National Strategic Studies, Washington) donc la contestation d'une vérité "normalement" prédéfinie par le magistère de la coutume. Puisque l'orthodoxie détenait le monopole des certitudes sacralisées, elle diagnostiquait seule les pathologies qui menaçaient la doctrine. Bien sûr, les "deux commandements suprêmes" de l'OTAN revenaient aux Etats-Unis ; mais il est saisissant que le pouvoir thérapeutique appartenait, comme dans l'Eglise, à un appareil confessionnel qui définissait l'orthodoxie.
8 - La fille aînée de l'OTAN -
La question de fond était donc seulement de savoir comment les subordonnés au sein de l'organisation publique de la foi se trouvaient essaimés sur les cinq continents et comment ils se partageaient le pouvoir entre onze quartiers généraux implantés à titre permanent dans neuf pays. Ceux-ci se répartissaient la masse des fidèles sous la houlette d'une centaine de généraux et d'amiraux. Ces sceptres étaient exclusivement accordés par le souverain, mais, toujours comme dans l'Eglise, selon les "mérites" de chacun dans l'ordre confessionnel qui incarnait maintenant la démocratie. Les régiments du ciel nouveau représentaient environ quinze mille officiers et sous-officiers. Quant au personnel attribué au service des quartiers généraux, ils fournissaient quarante-deux mille Allemands, Anglais et Italiens, soit deux fois plus que d'Américains.
Que signifie un archétype anthropologique aussi exemplaire ? Rome n'en représente-t-elle pas encore de nos jours la spécularité narcissique? Seul un pourcentage infime du clergé catholique se trouve logé au quartier général du Vatican ; et seul l'affaiblissement progressif de la ferveur religieuse dans le monde empêche une nouvelle extension territoriale de l'empire des songes sacrés d'autrefois. L'essentiel est donc de prendre conscience de ce que, dans les deux Eglises, l'autorité suprême ne brasse jamais que du vent, de sorte que leur pouvoir commun de faire débarquer leurs légions respectives sur la terre demeure strictement proportionnel à l'empressement des fidèles à servir les intérêts et les apanages du mythe appelé à trôner dans les imaginations.
C'est ainsi qu'une France désormais politiquement complimentée et qualifiée de méritante par l'ordonnateur de l'"ordre politique" du globe terrestre est appelée à faire bénéficier de son "expérience militaire" une l'Alliance tout entière pelotonnée autour de son roi. On sait que la "fille aînée de l'Eglise" avait gagné ses galons à l'école de la papauté, on sait que ses qualités pédagogiques avaient facilité l'administration de plus en plus délocalisée et décentralisée de la doctrine chrétienne, et cela parallèlement à l'universalisation de son auréole, de sorte que l'hospitalisation de l'humanité dans l'édifice d'une foi médicalisée est devenue adaptable à tous les peuples de la terre. Aussi, la France pourrait-elle aider l'Amérique à transporter en tous lieux une gestion universelle du ciel de la Liberté. L'Amérique saura-t-elle engager à son service et rémunérer dignement le talent de nos docteurs ? La scolastique ingénue de la démocratie mondiale attend impatiemment le secours de l'ingéniosité de la dialectique française.
9 - Politique et scolastique -
Le Vatican de l'OTAN va plus loin que Clovis. Washington accorderait, dit-on, une faveur exceptionnelle aux roitelets gaulois du Christ américain. La rumeur court selon laquelle la Maison Blanche irait jusqu'à décorer de quatre étoiles le commandement du "centre doctrinal" de Lisbonne. Beau galon pour le coq dont on disait autrefois qu'il faisait "monter le pain de la foi dans le four de l'école de Paris". C'est le Ministre de la Défense de la France qui a déclaré, en 2007, que le pays de Voltaire était devenu le "meilleur élève de l'OTAN", c'est-à-dire le premier séminariste de la démocratie mondiale.
C'est que la difficulté est grande, pour la nouvelle Sorbonne, de faire face aux "immenses défis du XXIe siècle", qui ne sont, naturellement, que d'effrayantes hérésies - le "terrorisme" d'abord, c'est-à-dire le patriotisme insurgé, la "prolifération des armements", c'est-à-dire le danger que de nombreuses nations conquièrent leur souveraineté. On demande aux sorbonagres et sorbonicoles français du début du IIIe millénaire de construire au profit de la nouvelle Rome une digue de protection face à la Russie, à la Chine, au monde arabe, à l'Amérique du Sud, tous virtuellement coupables du sacrilège de menacer la puissance d'une foi close sur elle-même et fière d'une mythologie de la démocratie dont le Président des Etats-Unis fait figure de Saint Père.
10 - Un continent cérébralement décapité -
Ce qui se révèlera le plus saisissant aux yeux des futurs simianthropologues de la politique, ce sera le spectacle d'un continent décapité de ses blasphémateurs et qui, tout au long de son agonie cérébrale, aura fidèlement reproduit l'univers mental des mythes sacrés d'autrefois, qui étaient placés sous le commandement d'un chef de l'ensorcellement des cerveaux dans le monde entier. C'est pourquoi les hérétiques de l'histoire simiohumaine étudieront l'instinct du simianthrope de se lover dans un univers dirigé par un souverain de ses songes.
Car l'OTAN démontre que le vassalisateur fait porter fièrement les insignes de leur vassalité à ses vassaux glorifiés. Pourquoi cela, sinon parce qu'il croit lui-même aux songes impériaux dont il se fait l'apôtre, sinon parce qu'il porte avec orgueil la bannière d'un maître dans le ciel, sinon parce que le trône des nues sert de faire-valoir à son propre sceptre ? L'OTAN distribue les tiares, les crosses et les chasubles de la démocratie. Qu'ils dansent et qu'ils chantent sous leurs dorures, pourvu qu'ils paient. Mais si le vrai pouvoir n'est pas dans les escarcelles, mais dans les cerveaux, l'Eglise se souvient d'avoir perdu les Etats Pontificaux par la force du glaive et que le glaive soumet les songes à sa loi. Ce sont les armes de son pontificat démocratique que Washington aura perdues en Irak.
11 - La diplomatie béatifiante -
Quand une mythologie politico-militaire trouve son ancrage dans une sotériologie parareligieuse, quand une démocratie s'alimente de concepts à vocation salvatrice, cela nous rappelle à nouveau qu'aussi loin que portent nos regards, il n'existe aucun ennemi en armes de l'Europe.
Mais le vocabulaire de la dévotion atlantiste veut demeurer guerrier. Depuis vingt ans, ses stratèges évoquent sans sourciller une "réaction rapide" face à un ennemi fantomal. En vérité, ce naufrage à la fois paniqué et euphorisant du cerveau européen trouve sa meilleure formulation dans une doctrine de la participation active de la France à la théopolitique du moment et qui remonte à Jacques Chirac. On se souvient que ce Président avait tenté d'obtenir un "commandement sud" au sein d'une construction politico-militaire pourtant magique par nature. Il s'agissait de remettre la main sur le port américain de Naples, ce qui ne manquera pas de provoquer l'incrédulité atterrée des futurs simio-anthropologues des songes politiques du XXIe siècle, qui se demanderont avec stupeur quelle stratégie la France avait imaginée pour le cas où l'empire américain aurait benêtement lâché sa proie la plus précieuse en Méditerranée. Comment donner un sens militaire à une base navale que l'Italie, enfin piquée au vif, lui aurait sans doute aussitôt réclamée ? Contre quel adversaire absent aurions-nous armé le "commandement" d'une flotte de guerre figurée, puisque désespérément privée d'un empire ottoman à repousser ? Etions-nous retournés sous François 1er?
12 - Comment les deux lobes du cerveau schizoïde se dupent réciproquement -
Mais, dira-t-on, si onirique que soit l'univers mental qui élève dans les airs la gigantesque cotte de mailles de plus de mille bases militaires américaines pourtant agrippées au sol de toutes les nations, ces forteresses de béton et d'acier ne sauraient enchaîner la planète si elles ne disposaient des coffres sans fond de Crésus. L'argent n'est pas seulement le nerf de la guerre, il est également l'appareil respiratoire des empires. Quelle est donc la duperie financière qui servira de soufflerie à la mondialisation d'un leurre politique? Toute tromperie n'a-t-elle pas besoin de se fonder sur une autre qui lui servira de soubassement? Si la titanesque flotte de guerre américaine se nourrissait d'un pactole réel, comment l'illusion se forgerait-elle la cuirasse de ses songes? Les duperies s'enchâssent les unes dans les autres à la manière des poupées russes.
Voyons comment l'empire américain est bâti sur une escroquerie bancaire; et pour cela, observons le mécanisme d'horlogerie d'un fric-frac réussi par un ex-maître nageur et qui a porté sur cinquante milliards de dollars. Fallait-il un grand génie à Madoff pour offrir aux déposants de leur avoir entre ses mains de magicien des intérêts annuels de 12% ou davantage ? Nenni : pour se procurer des capitaux, il suffisait au célèbre escroc de puiser dans l'afflux intarissable de nouveaux candidats. N'est-ce pas cela le brigandage qui commande l'économie mondiale tout entière ?
Et pourtant, la ruée des dupes confiantes n'est pas demeurée suffisamment abondante pour écluser le titanesque tribut qu'elles réclamaient. Comment l'empire américain évitera-t-il le même naufrage bancaire que Madoff ? Lui aussi achète la confiance de ses clients; lui aussi émet des bons du trésor fictifs aux fins de verser chaque année des intérêts réels pharaoniques à sa clientèle - mais il n'a pas besoin, lui, de recueillir des fonds réels pour honorer ses engagements, parce que le dollar est une monnaie dont le statut fiduciaire, donc fictif, se trouve garanti par un Etat de droit fondé sur la crédulité publique et gagé par l'autorité morale attachée au patriotisme des citoyens. Le dollar est un leurre officialisé. Il a pignon sur rue du seul fait qu'il dispose d'un monopole d'émission gagé par la candeur de l'esprit civique des peuples du monde entier, de sorte qu'en mars 2006 le montant de la dette américaine a pu devenir légalement un secret d'Etat. On calcule que cet arriéré s'élève désormais à cinquante trois mille milliards de dollars, ce qui réduit Madoff à un Pygmée de l'abus de confiance. C'est ce montage de dix mille Madoff qui permet à l'empire américain d'entretenir une flotte de guerre qui symbolise l'omniprésence et angélise l'omnipotence d'une Liberté flottante dans les airs. La foi est le ciment de la politique.
Si vous observez maintenant la structure théologique de cette duperie internationale, vous remarquerez qu'elle n'apparaîtra dans sa nudité que si l'escroquerie fondatrice, celle de la croyance en l'existence physique d'une menace effroyable contre laquelle l'empire est censé protéger la planète s'effondre dans les têtes. C'est ici qu'il faut passer à l'autopsie de la troisième poupée russe, celle dont l'Eglise fournit un modèle sanctifié. En effet, au XVIè siècle, la vente des indulgences ne connaissait pas davantage de bornes que l'impression du dollar-papier d'aujourd'hui, et cela pour la bonne raison que, par définition, la frappe d'une monnaie fiduciaire censée acheter la vie éternelle ne saurait se trouver contingentée. C'est ainsi que la dette de l'Eglise pouvait augmenter hier à l'infini et sur le même modèle que celle de Washington aujourd'hui; et seul l'effondrement de la croyance en la réalité des tortures de l'enfer et des félicités du paradis pouvait conduire cette duperie théologique à la ruine. Aujourd'hui, le trésor de l'épouvante immortalisée s'appelle le Terrorisme. L'Amérique et l'Eglise obéissent au même paradigme: seule l'évolution du cerveau simiohumain pourra conduire les deux royaumes de la duperie à un trépas commun.
Dans mon texte de la semaine prochaine, j'essaierai d'approfondir la connaissance anthropologique des fondements des duperies vassalisatrices de la politique et de l'histoire simiohumaines.
le 2 mars 2009
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