Corine Moriou pour France-Soir
Lino (Kad Merad), un personnage singulier, dans le film « Finalement » de Claude Lelouch sur les écrans le 13 novembre 2024
Le jour de son 87ème anniversaire, l'infatigable Claude Lelouch a présenté son dernier film en avant-première au Grand Rex. Son 51ème opus « Finalement » sortira sur les écrans le 13 novembre prochain. Cette fable contemporaine est l'occasion de s'interroger sur la crise de la cinquantaine même quand tout semble aller bien.
« Le Grand Rex est le premier cinéma où je suis venu, j'avais trois ans », confie Claude Lelouch alors que son nouveau film est présenté au public et à ses proches dans une salle comble et enthousiaste de 2 800 places, le 30 octobre dernier. Le film sortira le 13 novembre, car le chiffre 13 est le chiffre porte-bonheur (comme Les Films 13) du réalisateur.
« Finalement » pourrait-il être le point final après soixante ans de travail acharné et de passion dédiés au cinéma ? Ce 51ème long métrage serait-il un « Au Revoir » de Claude Lelouch? Bien sûr que non ! « Une suite de l'histoire est en préparation. Il ne faut surtout pas que je m'arrête. A l'âge que j'ai, je ne coupe pas le contact sinon je ne redémarre pas. Comme les voitures de collection », a-t-il confié à son public.
Pour cette soirée d'exception, il y a eu une avant-avant-première !
A partir d'une scène légendaire du film « Les uns et les autres » et sur la musique du Boléro de Ravel, Claude Lelouch a réalisé un patchwork des meilleurs extraits de ses films. Les rencontres, le hasard, l'amour, le karma, le drame… On a retrouvé les thèmes fétiches du réalisateur. Nous voilà plongés dans l'ambiance.
Une fable musicale écrite et mise en vie par Claude Lelouch
Au générique, le cinéaste présente « Une fable musicale écrite et mise en vie par Claude Lelouch ». C'est joliment dit.
« Notre inconscient dirige nos vies et la musique est la part d'irrationnel qu'il y a en nous. La musique a toujours tenu une place très importante dans mes films », souligne-t-il en introduction de la soirée.
Il est vrai que le réalisateur du film culte « Un Homme et une Femme » fait composer la musique d'un film avant de le tourner afin de pouvoir s'en inspirer.
Rappelons que pour ses 85 ans, Claude Lelouch avait tenu à rendre un vibrant hommage aux compositeurs de musique qui ont accompagné sa filmographie – dont Francis Lai et Michel Legrand – lors d'un grand spectacle symphonique au Palais des Congrès.
« Finalement », n'est-ce pas le début d'une histoire d'amour entre une trompette et un piano ? Dans ce nouveau long métrage le duo Ibrahim Maalouf et Didier Barbelivien sont aux manettes pour la composition musicale et les chansons.
Un road movie » sur les routes de France totalement dans l'ambiance Lelouchienne
Dès les premières images, nous sommes embarqués dans une ambiance à nulle autre semblable qui signe les films de Lelouch. Un vagabond d'une cinquantaine d'années erre sur la route. C'est le personnage central du film joué par le charismatique Kad Merad (il s'appelle Lino en hommage à Lino Ventura).
Lino est déprimé, il balance son téléphone dans l'eau et fait du stop. A chaque conducteur, il raconte une histoire sordide. Tantôt il est un criminel recherché, tantôt un ancien prêtre violeur puis défroqué, tantôt un réalisateur de films porno. Ses interlocuteurs sont peu sympathiques. Ils ont plutôt un profil de collabo, prompts à le dénoncer à la police.
Notre anti-héros dort dans une grange. A Manon, une charmante fermière jouée par Françoise Gillard, il recommande « Sur la route de Madison » et, avec sa trompette, l'accompagne au piano. Avant de s'éclipser, il glisse dans sa boîte aux lettres un chèque de 5 000 euros pour acheter un nouveau tracteur. Un coup de foudre sans lendemain ?
On suit le périple aléatoire de Lino de la Normandie au Mont-Saint-Michel en passant par les environs de Béziers, la Bourgogne, les 24 heures du Mans, le Festival d'Avignon... et bien-sûr Paris. Tant de beaux paysages de notre « Douce France »… encore douce pour combien de temps ?
Ce kaléidoscope nous rappelle que Lelouch aime la campagne normande, les comédiens, les voitures... Le cinéaste rend hommage aux évènements sportifs et culturels, mais aussi aux traditions de notre pays. Il n'y pas une once de wokisme dans son long métrage. Il nous épargne les idéologies minoritaires de notre époque. Merci Monsieur Lelouch.
« Finalement » a été tourné dans des lieux emblématiques de notre pays.
« C'est un film sur la France, mais aussi sur les Français, à la fois merveilleux et râleurs par moments. Qu'ils soient agriculteur, antiquaire, chasseur, musicien, acteur… », résume le réalisateur qui n'a pas résisté à offrir un « petit rôle » à Dieu. Dieu apparaît à une terrasse de café, mais aussi Jésus et ses disciples (y compris Judas très jovial), des pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques-de Compostelle et une guérisseuse qui fait des miracles.
Lelouch glisse comme à l'accoutumée quelques considérations philosophiques. « Ce qui est le plus important, c'est la santé, l'amour, l'amitié (l'amour sans les emmerd), le pognon qui permet de s'offrir tout cela. » « Tout ce qui nous arrive, c'est pour notre bien ! » est la leçon suprême qui figure sur l'affiche du film.
Pas de filtre : Lino ne sait plus mentir à son entourage… et à lui-même
Mais qui est donc ce Lino, cet homme singulier qui se balade sans but à travers la France à l'heure où chacun est hyper occupé, connecté au reste du monde ?
Il n'y a jamais d'autoroute dans les films de Lelouch, mais beaucoup de chemins de traverse. Le cinéaste excelle à briser la chronologie d'un récit. Les flash-backs placés au bon moment nous éclairent sur le nœud de l'intrigue.
En fait, Lino Massaro est un ténor du barreau (une ressemblance avec Dupont-Moretti ?, il fallait y penser…) qui a un problème de santé. Il est atteint d'un début de démence fronto-temporale. Quésaco ? Lino n'a plus de filtre, ne sait plus mentir à son entourage… et encore moins à lui-même. C'est la folie des sentiments qui l'envahit !
Marié à une actrice de cinéma (Léa jouée par Elsa Zylberstein), il annonce, lors d'un repas familial avec sa mère (Françoise Fabian), ses deux enfants, son meilleur ami avocat (Michel Boujenah), ne plus avoir de désir pour elle. Boum badaboum… En pleine plaidoirie, il ôte sa robe d'avocat. Bref, il démissionne sur tous les plans et s'enfuie de cette vie qui semble si parfaite, si réussie.
Mal du siècle ? 10 000 personnes disparaîtraient chaque année en France.
La maladie ne semble qu'un prétexte à la narration du cinéaste.
On pense à « Itinéraire d'un enfant gâté », l'un des grands films de Lelouch que l'on a adoré, vu et revu avec émotion au moment du décès de Jean-Paul Belmondo. Il y a bien des similitudes. Mais « Finalement » ne nous propulse pas au Zimbabwe voir les chutes de Victoria, il nous fait voyager en France et dans le passé.
Le rythme, l'ambiance nous chopent au passage pour nous embarquer dans la folie des sentiments.
Claude Lelouch a réalisé cinquante et un films qui constituent ensemble une grande famille. Ses films s'imbriquent les uns dans les autres, se répondent les uns aux autres. Il les aime, ne les lâche pas et use volontiers de la digression scénaristique, l'une de ses vieilles ficelles.
Sur l'écran, on retrouve un Lino Ventura courtisant Françoise Fabian (des extraits de « La Bonne Année » réalisée en 1973).
Françoise Fabian (aujourd'hui 91 ans !) joue le rôle de la mère de Lino dont le père était un escroc … d'où la vocation du fils à aider les causes désespérées. Sandrine (la demi-sœur de Lino interprétée par Sandrine Bonnaire) sort tout droit du précédent film « L'amour c'est mieux que la vie ». Accusée de proxénétisme, elle compte sur le talent de Lino pour la défendre.
Kad Merad, nouveau venu dans le clan, peut remercier Lelouch d'avoir un vrai grand beau rôle (au-delà du bad boy romantique) qui donne une dimension supplémentaire à son jeu d'acteur. Il ose l'improvisation, la spontanéité, l'humour au-delà du texte du scénario très écrit. Et cela sonne juste.
Télescopage de l'histoire principale avec les heures les plus sombres de la Gestapo. C'est un enchevêtrement de puzzles cher à Lelouch (avec un mélange des époques, des genres et des tons) qui fait valser les émotions. Cela semble un peu brouillon, tarabiscoté, chaotique, comme d'ailleurs le cerveau à l'envers de l'avocat quinqua suicidaire. Mais on suit le fil de l'intrigue sans difficulté.
Le rythme, l'ambiance nous chopent au passage pour nous embarquer dans la folie des sentiments.
Ce long métrage nous renvoie à notre propre histoire, à nos interrogations existentielles. Lelouch tourne avec ses meilleurs amis et l'on a l'impression de participer un peu à ces retrouvailles familiales.
« Finalement » est un film à la fois tendre et cash qui interroge sur la longévité du couple. « C'est un film sur la solitude, qui d'une certaine manière accompagne forcément la liberté», commente Lelouch. Le film a été produit par Les Films 13, France 2 Cinéma et Laurent Dassault Rond-Point (Laurent Dassault joue le rôle du directeur de banque escorté par une grande perche brune).
Vive le cinéma français ! Le troubadour du septième art boudé par la Nouvelle Vague détrônera-t-il Truffaut auprès des cinéphiles dans quelques années ?
Pour l'heure, une grosse charge de responsabilités professionnelles, financières, personnelles pèse sur le bonhomme. Avec « Finalement », on peut se demander si le cinéaste ne s'est pas adressé un message à lui-même.
Ce père de sept enfants (et de nombreux petits enfants), marié quatre fois (dont la dernière épouse est Valérie Perrin, romancière, 57 ans) n'aimerait-il pas répondre aux abonnés absents, échapper à cette vie trop remplie ? A cela, il répond : «Je préfère les ennuis à l'ennui ».
A l'issue de la projection, la joyeuse troupe du film a ovationné Claude Lelouch devant un superbe gâteau d'anniversaire accompagné d'une pluie de cotillons dorés. « Je ne sais plus quoi dire, si ce n'est qu'on va essayer de se partager ce gâteau », a-t-il lâché. Et Kad Merad a repris sa trompette pour entraîner le public dans la fête.