France-Soir
Qui est responsable du déficit budgétaire de la France ? Tandis que le précédent gouvernement et l'actuel exécutif s'accusent mutuellement, la commission sénatoriale des finances sait en tout cas qui a été "irresponsable". Dans son rapport d'enquête, le groupe mené par le rapporteur Jean-François Husson (LR) et le président de la commission, Claude Raynal (PS), dresse un constat sans appel : Bruno Le Maire, Gabriel Attal, Elisabeth Borne et Emmanuel Macron ont fait preuve de "double discours", "d'irresponsabilité budgétaire", d'un "déni collectif" et surtout, d'un "attentisme dommageable". Les conclusions déplorent une "irresponsabilité assumée" et surtout, "un Parlement ignoré".
Selon le projet de loi de finances de fin de gestion présenté mercredi en Conseil des ministres, le déficit public va déraper à 6,1% du PIB en 2024. Or, il était prévu à 4,4% dans le projet de loi de finances initiale présenté à l'automne 2023, puis relevé à 5,1% au printemps par le gouvernement précédent, dans lequel Bruno Le Maire a dirigé Bercy durant plus de sept ans. Cela signifie que le déficit s'est creusé d'environ 50 milliards en quelques mois.
Les cachotteries du gouvernement Borne au Parlement
L'ex-ministre de l'Économie s'était d'ailleurs vite défendu, estimant que ce chiffre n'était que "le choix du gouvernement actuel". "Et j'apporterai toutes les preuves que nous pourrions avoir en 2024, avec des mesures de redressement plus rigoureuses, un déficit autour de 5,5%. Je conteste donc formellement ce chiffre de 6,1%", a-t-il ajouté, rejetant toutes les accusations de "faute", de "dissimulation" ou de "volonté de tromperie".
La commission des Finances de l'Assemblée nationale, que préside Eric Coquerel de LFI, avait fait la demande d'obtention des pouvoirs d'une commission d'enquête pour une durée de six mois mais les sénateurs, qui avaient déjà mené des auditions entre mars et juin 2024, ont vite relancé leur mission d'information sur la dégradation des comptes publics.
Selon leurs conclusions, les responsables du dérapage budgétaire de la France sont bien connus. Il ne s'agit de personne d'autre que l'ex-ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, l'ancien ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, l'ancien Premier ministre, Gabriel Attal, sa prédécesseure, Elisabeth Borne et, cerise sur le gâteau, le président de la République, Emmanuel Macron.
Le rapport de la commission sénatoriale liste ses griefs pour chacun de ces dirigeants, n'hésitant pas à employer des termes forts. "Le gouvernement connaissait l'état critique des finances publiques dès décembre 2023, il aurait dû réagir vigoureusement et il ne l'a pas fait", lit-on d'emblée. Le rapport évoque "des notes produites à partir du 30 octobre 2023 par la direction générale des Finances publiques concernant les prévisions de recettes des grands impôts qui vont toutes dans le même sens : celui d'un fort risque de dégradation par rapport à la prévision". Malgré les alertes, "aucune mesure d'ajustement n'a été prise en décembre 2023". Pourtant, il était encore temps de modifier le PLF 2024. Pire encore, le Parlement n'a pas été informé du risque de dérapage. Le texte, rappelons-le, avait été adopté avec un énième recours d'Elisabeth Borne à l'article 49.3.
Le "double discours" de Le Maire et Cazenave
Le principal concerné, porte-étendard des objectifs de déficit jugés "hors sol" comme le fameux pourcentage de 3% du PIB d'ici 2027, Bruno Le Maire, est le premier à passer sur le grill. Destinataires d'une note de la direction générale du Trésor et de la direction du budget, lui et Cazenave ont justifié leur inaction en décembre 2023 par la recommandation de ces deux institutions de ne pas communiquer sur la situation budgétaire. Or, fait remarquer le rapport, quelques jours plus tard, ils proposent à Borne de "partager largement le caractère critique de notre situation budgétaire, à la fois au sein du gouvernement, que dans l'opinion publique".
Leurs propositions, une "série d'actions" qui n'aurait pas permis de "contenir significativement le dérapage inédit du déficit public" mais qui "aurait au moins permis d'engager un mouvement en ce sens", étaient en "totale contradiction" avec leurs déclarations lors des dernières auditions. Les sénateurs dénoncent alors le "double discours de Bruno Le Maire et Thomas Cazenave".
Celui-ci s'est poursuivi tout au long de 2024 et les sénateurs critiquent la position ferme de Bruno Le Maire et de Thomas Cazenave par rapport à leurs objectifs de déficit et ce, malgré la dégradation de la situation. "Selon Thomas Cazenave, trois quarts de l'écart par rapport à la prévision s'expliquent par des recettes moins élevées que prévu, et un quart par des dépenses des collectivités plus dynamiques qu'anticipé". Le rapport en déduit qu'il ne s'agit là que de "la mystification ou de l'espoir de convaincre le président de la République et le premier ministre, fermés à cette idée".
Leur supérieure, à savoir Elisabeth Borne, est tout aussi responsable, en excluant la note de Le Maire et de Cazenave. "À cette époque, sa priorité était de trouver un compromis dans le cadre de l'examen du projet de loi immigration". Cette absence de communication, aussi bien à l'égard du gouvernement, qu'au Parlement et l'opinion publique, "ne résulte pas de la seule responsabilité de Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, mais tout autant de celle d'Élisabeth Borne". Le rapport dénonce là "un attentisme et une inaction dommageables".
Macron plante le dernier clou dans le cercueil
Quid du président Macron ? Le rapport lui impute comme à Gabriel Attal la décision de "refuser de présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR), pourtant seul à même de redresser la situation, d'après le ministre des finances". Le refus d'une PLFR s'expliquerait aussi par des "calculs à courte vue", à savoir "éviter de prendre des mesures difficiles à l'approche des élections européennes et, d'autre part, la menace d'une éventuelle motion de censure". Pour la commission, cette décision porte une responsabilité essentielle dans la dégradation du déficit public".
La décision qui vient sonner le glas n'est autre que"la dissolution de l'Assemblée nationale", qui montre que le président de la République a choisi de repousser à plus tard les difficultés budgétaires auxquelles l'État était confronté, alors que la situation catastrophique des finances publiques imposait une action rapide". La nomination tardive d'un gouvernement a empiré la situation.
La commission conclut que "le sentiment général d'irresponsabilité et de déni collectif sur la situation des finances publiques, déjà constaté par la mission d'information au printemps dernier, est ressorti avec encore plus de netteté".
Les "principaux accusés" ont vite réagi. "Ce n'est pas un rapport, c'est un réquisitoire d'opposants politiques truffé de mensonges, d'approximations et d'affirmations spécieuses", selon l'ancien chef de Bercy. "Une attaque indigne qui repose sur des allégations qui sont irréalistes ou mensongères", enchaîne Élisabeth Borne. Pour Gabriel Attal, "pas un seul élément tangible atteste que la situation des finances publiques n'aurait pas été prise au sérieux. Pour une raison simple, il n'y en a pas".