21/01/2025 reseauinternational.net  7min #266652

La Suisse gagne du temps face aux pressions d'Ursula von der Leyen

par François Meylan

Vendredi 20 décembre 2024, à Berne, nous avons assisté à la signature d'un accord institutionnel entre la Suisse et l'Union européenne (UE). La stabilisation de la voie bilatérale entre les deux partenaires. Toutefois, seule Ursula von der Leyen qui a déclaré l'événement comme jour historique affichait l'enthousiasme des grands jours. Alors que la seconde signataire, la présidence de la Confédération helvétique sortante, Viola Amherd, vient d'annoncer sa démission.

On se souvient qu'en mars 2021, le Conseil fédéral (Cf) s'était retiré de la table des négociations avec l'UE. Refusant ainsi un accord cadre trop rigide et surtout à la défaveur du pays des montres et du chocolats. La Suisse a alors eu droit à des mesures de rétorsion comme l'exclusion de ses entreprises sur le marché de l'électricité européen ou encore la fin de l'équivalence boursière. Le contact ne fut pour autant jamais rompu. Comme le rappelle «Le portail du Gouvernement», depuis près de 25 ans, la voie bilatérale a largement contribué à la prospérité helvétique. Le marché commun absorbe 40% des exportations suisses. Soit 151 milliards de francs sur un total de 378 milliards de francs en produits et services. On trouve en deuxième position les États-Unis avec 60 milliards. La Chine quant à elle n'absorbe «que» 20 milliards des exportations de la patrie d'Heidi.

Aussi, le soulagement fut grand pour les partis politiques que se disent de l'économie tels que le PLR et le Centre (ex PDC), quand le Conseil fédéral adopta le 8 mars 2024 un nouveau mandat de négociation. Les partis bourgeois le clament : mieux vaut un mauvais accord que pas d'accord du tout.

Pour sa part, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s'était fixée comme défi de parvenir à un nouvel accord avec la Suisse avant la fin de 2024. Mission réussie.

Et c'est au terme de 197 séances de négociation qu'émergea la conclusion des discussions matérielles. Un pas décisif certes mais cela ne reste qu'une première étape.

Les grandes lignes de cet accord institutionnel

Commençons par ce qui ne devrait pas poser de problème. La Confédération suisse renonce à augmenter les taxes universitaires pour les étudiants européens et les chercheurs helvétiques peuvent rejoindre déjà ce premier janvier les programmes de recherches de l'UE «Horizon Europe», «EURATOM» et «Digital Europe».

Le reste va sacrément fâcher. Premièrement sur le plan de la contribution financière. La Suisse a déjà participé à hauteur de deux fois un milliards de francs, depuis l'année 2020. À présent, elle verse 130 millions de francs par an à titre de contributeur volontaire. Le nouvel accord prévoit que de 2030 à 2036 elle devra s'acquitter de 350 millions de francs l'an. Cet argent ne servira normalement pas au financement du budget ordinaire de l'UE mais sera destiné à certains de ses membres les plus fragiles et à des programmes en particulier auxquels elle pourra part notre. Le parti politique agrarien UDC a déjà réagi : «pourquoi nous seuls devrions payer ?» «N'est-ce pas un partenariat ?» De plus, la fameuse clause de sauvegarde, en matière d'immigration, donne déjà de l'urticaire. Premièrement, Suisse, avec une population de neuf millions d'habitants, accueille chaque année 140 000 nouveaux étrangers. La clause de sauvegarde dont l'UDC et le Centre s'attribuent la paternité permettrait d'interrompre de décision unilatérale ce flux et sous certaines conditions. Mais le cas échéant la commission européenne examinera le bienfondé de l'activation de cette clause de sauvegarde et pourrait assigner la Suisse devant un tribunal arbitral de l'Union européenne et l'exposer à des mesures de compensation voire de rétorsion. Rien que ça.

Pour leur part, les syndicats, le Parti socialiste et les Verts éternuent sur le dossier des travailleurs détachés qui ouvre la voie au dumping salarial. Le Cf le reconnaît lui-même que la protection des salaires n'est plus assurée. En Suisse, l'usage veut qu'un travailleur détaché - par exemple : une entreprise genevoise qui assure un travail dans un autre canton suffisamment distant - perçoive 150 francs par jour pour le logement et les trois repas quotidiens. C'est là que le bât blesse. Dans l'Union européenne, l'entreprise est libre de défrayer aux conditions du marché de son pays d'origine. De plus, des pays comme la Pologne ne connaissent pas même de réglementation en la matière. En considérant vingt jours ouvrables à 150 francs cela donne une marge de manœuvre de 3000 francs par mois à la défaveur des employeurs helvétiques. Et là où la chatte a vraiment mal aux pattes... c'est l'obligation de reprendre de manière «dynamique» toutes les nouvelles lois édictées par l'UE. Le «dynamique» édulcore les adverbes que sont automatiquement où systématiquement. En échange de cet abandon de souveraineté, l'UE offre de participer à l'élaboration des nouvelles lois. Le peuple qui est encore souverain en Suisse ne l'acceptera probablement pas.

Les prochaines étapes

Six départements fédéraux sur sept sont concernés par la matérialisation de cet accord institutionnel que les médias helvétiques nomment, à tort, les bilatérales III. Les fonctionnaires concernés, la chancellerie et les négociateurs ont jusqu'à l'été prochain pour traduire et rendre les textes digestes au regard du droit helvétique. Le Parlement devrait pouvoir reprendre le tout lors des sessions de 2026 et le souverain sera probablement appelé aux urnes, au rythme des référendums, dès 2028.

Trois accords additionnels

Par la même occasion, le Cf a tenu à ajouter trois accords bilatéraux additionnels qui ne manqueront pas eux aussi pas de faire débat. Le premier concerne la protection alimentaire. Par exemple, la Suisse connaît un moratoire sur les OGM jusqu'à la fin de l'année. L'UE des lobbyistes qui ne connaît pas de telle mesure devra pour autant la respecter. Quant à l'accord sur la libéralisation du marché de l'électricité il ne laisse pas dormir les syndicats qui rappellent que tous les pays qui ont connu la libéralisation du marché de l'électricité souffrent de sous investissements en matière d'infrastructures et que la classe moyenne a trinqué. Pour finir, l'accord bilatéral sur la gestion sanitaire qui la souhaite conjointe avec l'UE pour faire face à une pandémie par exemple fera également, à n'en pas douter, couler beaucoup d'encre. Lors de la crise de la Covid-19, l'UE et la Confédération se sont retrouvées sur plusieurs mesures. Mais en termes d'achats de produits ARM messager et de confinement les bons points semblent plus revenir à la seconde qu'à l'UE. La Suisse comptait sur la responsabilisation de ses habitants avec le confinement volontaire et a fait preuve de plus de prudence face au sensationnalisme.

Comment va s'y prendre le Conseil fédéral pour faire avaler la pilule ?

Le moindre que l'on puisse dire est que l'enthousiasme n'était pas au rendez-vous lors de la traditionnelle conférence de presse de 15:00, vendredi 20 décembre 2024. Les ministres suisses, sans conviction, donnaient l'impression d'avoir voulu gagner du temps. Il est déjà prévu qu'en cas de consultation du peuple les thématiques seront votées selon le principe du saucisson soit par tranches. Histoire de rendre le contenu plus digeste. Comment réagira alors l'UE, si les helvètes choisissent à la carte ce qui leurs convient ?

Quid de l'Union européenne en 2028 ?

Si la tendance actuelle se poursuit, elle sera toujours plus faible. Cette institution vit sur l'autel du dictat des technocrates et des lobbyistes de la Commission européenne. Elle vit une crise structurelle et politique profonde. L'Allemagne est en récession. La France est sous tutelle et l'Italie est devenue pour la première fois le principal contributeur économique de la zone (poids du PIB x taux de croissance).

Que penser de cette institution belliciste qui en plus d'être promotrice du wokisme a entraîné le vieux continent dans la guerre contre la Fédération de Russie ? Que penser de cette Union européenne qui n'est leader d'aucune des nouvelles technologies clés, contrairement aux États-Unis et à la Chine ? Et que penser de ses 720 eurodéputés qui n'ont strictement aucune prérogative législative si ce n'est que de se donner en spectacle pour la coquette rémunération mensuelle de 9975.42 euros + enveloppe mensuelle de 28 696 euros pour d'éventuels assistants et le bureau ? En plus, être eurodéputé n'est pas un travail à plein temps. Est-ce que ces élus sont-ils au fait des réalités des classes défavorisées du vieux continent ? Rien n'est moins sûr. Laisser peu à peu le système suisse de démocratie directe qui a fait ses preuves pour un «machin» technocratique qui fait de plus en plus d'insatisfaits et de retraités pauvres est un pas que les Suisses ne feront probablement pas facilement. Et la très récente démission de la ministre suisse Viola Amherd n'est que le prélude à d'autres démissions au sein du gouvernement. Ils sont rares ceux qui voudront descendre dans l'arène pour défendre cet accord institutionnel face au souverain. Le Conseil fédéral le sait. Ce n'est vraisemblablement pas le cas de la blonde Ursula qui s'en est retournée triomphante de Berne à Bruxelles ce fameux vendredi 20 décembre 2024.

 reseauinternational.net