05/02/2025 mrmondialisation.org  6min #268021

Europe : la chaleur tuera bientôt plus que le froid

D'ici la fin du siècle, la chaleur devrait tuer bien plus que le froid en Europe, selon  une nouvelle étude britannique publiée le lundi 27 janvier dans la revue Nature Medicine. En l'absence de mesures d'adaptation sérieuses, l'élévation des températures accentuera la vulnérabilité des villes méditerranéennes et d'Europe de l'Est en particulier. Les scientifiques prévoient des taux de mortalité saisissants, loin d'être compensés par la diminution des décès liés aux vagues de froid hivernales à travers le Vieux Continent.

L'élévation des températures pourrait entraîner plus de 2,3 millions de morts supplémentaires dans 854 villes européennes d'ici 2099. Cependant, 70% de ces décès pourraient être évités par la mise en œuvre rapide de mesures d'adaptation. La  nouvelle étude publiée dans Nature Medicine fournit pour la première fois une évaluation complète de l'effet net du changement climatique sur la mortalité liée à la température, dans plusieurs scénarios de réchauffement au-dessus des niveaux préindustriels.

Effets de (dés)équilibres

Si la chaleur et le froid sont des facteurs de risque sanitaire reconnus ayant un impact notable sur les taux de mortalité européens, la balance a toutefois tendance à pencher d'un côté : on décompte environ dix décès liés au froid pour chaque décès dû à la chaleur.

Le stress dû à la chaleur et au froid est un facteur de risque majeur pour la santé, en particulier chez les personnes âgées ou souffrant de problèmes de santé préexistants comme les maladies cardiovasculaires, le diabète et l'obésité. - Crédits photo : Pixabay

En se basant sur ces chiffres, certaines études ont suggéré que la mortalité liée à la température en Europe pourrait globalement diminuer avec le changement climatique, et le réchauffement du thermomètre qui en découle.  Un raisonnement repris avec empressement par de nombreux climatosceptiques, toujours en quête d'arguments en faveur de l'inaction climatique.

C'est en espérant amener des éléments constructifs et factuels au débat que l'équipe de recherche du London School of Hygiene and Tropical Medicine s'est mise au travail. Se basant sur de précédents travaux sur le lien entre la température et le taux de mortalité de différentes tranches d'âge de la population de 854 villes d'Europe, les chercheurs ont combiné ces données à trois scénarios climatiques.

Quel futur pour l'Europe ?

Classés selon l'importance des mesures d'atténuation et d'adaptation mises en œuvre dans les prochaines décennies, comme  la végétalisation des villes ou la réduction de la pollution, ces réalités parallèles dessinent le futur probable de l'Europe :

  • Le premier scénario entrevoit une Europe plus équitable engagée dans la durabilité et  les modes de vie à faible consommation, entraînant une action substantielle en faveur de l'atténuation et de l'adaptation ;
  • Le deuxième scénario présente une Europe dans laquelle  les inégalités actuelles se maintiennent, avec une privatisation accrue des ressources et des progrès lents vers l'atténuation et l'adaptation face au dérèglement climatique ;
  • Le pire scénario est celui d'une Europe aux prises avec « une instabilité croissante, des conflits régionaux et des inégalités entraînant peu ou pas d'efforts vers l'atténuation et l'adaptation ».

« Dans le scénario d'atténuation et d'adaptation le plus bas [le troisième, ndlr.], nous estimons que la charge nette de mortalité due au changement climatique augmenterait de 49,9 % », annonce Pierre Masselot, professeur assistant en épidémiologie environnementale et statistique et premier auteur de l'étude, cumulant jusqu'à 2 345 410 décès liés au changement climatique entre 2015 et 2099.

Des différences régionales marquées

Malheureusement, « cet effet net demeurerait positif même dans le cadre de scénarios d'adaptation élevés, où une atténuation du risque de 50 % est encore insuffisante pour inverser la tendance ». Il faudrait atteindre une atténuation de 90% du risque de mortalité liée à la chaleur pour obtenir une inversion complète de l'effet net du changement climatique. Un scénario peu probable au vu des tendances actuelles.

Graphique issu de l'étude : Masselot, P., Mistry, M.N., Rao, S. et al. Estimating future heat-related and cold-related mortality under climate change, demographic and adaptation scenarios in 854 European cities. Nat Med (2025).

Outre ce constat global, les disparités géographiques s'accentuent également à mesure du réchauffement climatique.  Les villes du pourtour méditerranéen, comme Marseille, Rome, Naples ou Barcelone, enregistrent des taux de mortalité particulièrement importants, allant jusqu'à 124 décès annuels pour 100 000 habitants. « Le pays le plus touché a été la petite île de Malte, avec un effet net de 268,6 décès pour 100 000 personnes-années en 2095 », souligne l'étude.

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En plus de la région méditerranéenne, « nous avons observé des points chauds d'augmentation nette des décès liés à la température dans les pays d'Europe de l'Est comme la Roumanie et la Bulgarie, et en Europe centrale, notamment en Autriche et dans le sud de l'Allemagne », détaillent les auteurs du rapport.

Seuls les pays situés plus au nord du continent, en particulier les pays baltes et l'Irlande, voient théoriquement la hausse des morts liées à la chaleur être compensée par la réduction des morts liées au froid. Des chiffres toutefois largement contrebalancés par les fortes augmentations de la mortalité observées dans le reste de l'Europe. En outre, « cette légère réduction de la mortalité liée à la température a néanmoins montré un renversement vers la fin du siècle dans des scénarios de réchauffement plus extrêmes », préviennent les chercheurs.

« Le changement climatique est clairement  une crise de santé publique »

Finalement, l'étude souligne qu'à moins que de fortes mesures d'atténuation et d'adaptation ne soient mises en œuvre, la plupart des villes européennes devraient connaître une augmentation de leur charge de mortalité liée au changement climatique.

Bien que stratégique dans l'exploration des futurs possibles en fonction des efforts d'adaptation à la chaleur, cette étude « s'intéresse à une petite partie seulement de l'effet du changement climatique sur la santé »,  confie Pierre Masselot à Vert. « On ne prend pas en compte les décès liés aux sécheresses, inondations ou feux de forêt ». Plus largement, il est évident que « le changement climatique est clairement une crise de santé publique », prévient le chercheur.

- L. A.

Photo de couverture de  SHVETS production

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