12/05/2025 francesoir.fr  14min #277666

Euthanasie sans limites : une loi controversée qui soulève des questions éthiques et sociétales

Xavier Azalbert, France-Soir

Euthanasie sans limites : une loi controversée qui soulève des questions éthiques et sociétales

Article

Le  projet de loi sur l' « aide à mourir », actuellement discuté à l'Assemblée nationale française, suscite une vive polémique. Voté  en commission des affaires sociales le 2 mai 2025 avec 28 voix pour, 15 contre et une abstention, ce texte, qui sera débattu en séance publique à partir du 12 mai 2025, est dénoncé par certains comme une porte ouverte à une « euthanasie sans limites ». Rémy, de la chaîne Juste Milieu, a publié une vidéo percutante pour alerter sur les dérives potentielles de ce projet de loi . Parallèlement, une pétition intitulée «  Contre l'euthanasie sans limite» a été lancée par Juste Milieu et a déjà recueilli plus de 8 000 signatures. Cet article revient sur les critiques formulées par Rémy, examine le contexte historique des lois sur la fin de vie en France, notamment la loi Léonetti, et rappelle les controverses liées aux protocoles Rivotril pendant la crise du COVID-19, qui « pourraient avoir préparé le terrain à ce projet de loi » selon un médecin retraité. Nous évoquons aussi les nombreuses réactions, ainsi que les oppositions au texte actuel, notamment celle de figures comme Philippe Juvin.

Un retour en arrière - la loi Léonetti, une première tentative d'encadrement

Avant d'aborder le projet de loi actuel, il est essentiel de revenir sur la loi Léonetti de 2005, qui a marqué une étape importante dans la gestion de la fin de vie en France. À l'époque, l'euthanasie active et le suicide assisté étaient déjà interdits, contrairement à des pays comme la Belgique ou les Pays-Bas. La  loi Léonetti, renforcée par la loi Claeys-Leonetti de 2016, visait à éviter l'acharnement thérapeutique en permettant aux médecins, en accord avec le patient ou ses proches, d'arrêter des traitements médicaux jugés « inutiles ou disproportionnés ».

« Cette loi offrait une garantie supplémentaire aux médecins, qui pratiquaient déjà de facto l'arrêt de traitements dans certaines situations de fin de vie, en leur donnant un cadre légal clarifié » déclare un médecin à la retraite. Avant d'ajouter : « Elle autorisait également une sédation profonde et continue jusqu'au décès dans des cas extrêmes, à condition que la décision soit plus ou moins collégiale ». « Cependant, l'euthanasie active, c'est-à-dire l'administration intentionnelle d'une substance létale pour mettre fin à la vie, restait strictement interdite et assimilée à un homicide volontaire par le Code pénal. »

Jean Leonetti, co-auteur de la loi, a récemment  exprimé ses craintes concernant le projet de loi actuel. Il redoute que « tous les verrous sautent tôt ou tard », citant l'exemple de pays comme la Belgique, où l'euthanasie, initialement strictement encadrée, a été élargie aux mineurs et aux personnes souffrant de troubles psychiques. Leonetti met en garde contre une « pente glissante » : « On commence par des cas extrêmes, puis on élargit progressivement, jusqu'à ce que la mort devienne une solution banale. » Il critique également l'abandon de la notion d' « intention » dans le texte actuel, qui, selon lui, brouille la frontière entre « laisser mourir » et « faire mourir », un principe clé de sa loi de 2016.

Alain Claeys, l'autre co-auteur de la loi de 2016, plus nuancé, reconnaît que la loi Claeys-Leonetti «  n'a pas totalement répondu aux attentes » et se montre favorable à une évolution vers une « aide active à mourir » dans des cas précis, comme pour les patients en phase terminale avec des souffrances insupportables. Cependant, il insiste sur la nécessité de garde-fous stricts, une position qui contraste avec celle de Leonetti, qui craint que ces garde-fous ne soient qu'illusoires à long terme.

Ce désaccord entre les deux « pères » de la loi de 2016 illustre la complexité et la sensibilité du débat.

Les protocoles Rivotril pendant le COVID-19, une pratique très controversée

Le contexte de la crise du COVID-19 a également mis en lumière des pratiques limites en matière de fin de vie, notamment avec l'utilisation du Rivotril (clonazépam), un médicament sédatif. En mars 2020, un décret (n°2020-360) a autorisé la prescription de Rivotril en dehors de son autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les patients en fin de vie atteints du COVID-19, notamment dans les EHPAD, afin de pallier les souffrances respiratoires. Cependant, cette mesure a suscité une controverse majeure, qualifiée de « scandale » par certains observateurs.

Le Rivotril, administré à fortes doses, pouvait entraîner une dépression respiratoire fatale, accélérant ainsi le décès des patients révèle une tribune de Pierre Lecot dans France-Soir. L'auteur,  lanceur d'alerte, affirme que ce protocole a été utilisé de manière excessive, parfois sans justification médicale claire, notamment pour des patients âgés qui n'étaient pas nécessairement en fin de vie. Il cite des cas où des familles ont été informées après coup de la sédation de leurs proches, sans leur consentement préalable, dans un contexte de saturation des hôpitaux et de manque de moyens pour les soins palliatifs.

Ce « scandale du Rivotril » a alimenté les soupçons d'une forme d'euthanasie déguisée, pratiquée sous la pression de la crise sanitaire pour libérer des lits. Ces pratiques, bien que destinées à soulager les souffrances, ont révélé un flou éthique et juridique dans la gestion de la fin de vie. Elles posent une question cruciale : le projet de loi actuel ne viendrait-il pas légitimer et encadrer des pratiques qui, comme lors de la COVID-19, existent déjà de manière informelle et parfois abusive ?

En d'autres termes, cette loi pourrait-elle être une tentative de « cadrer » des dérives déjà en cours, tout en les élargissant sous couvert de "liberté individuelle" ?

Les dérives potentielles du projet de loi

Dans sa vidéo, Rémy de Juste Milieu alerte sur les risques d'une « euthanasie sans limites », dénonçant plusieurs aspects problématiques du texte. Tout d'abord, il critique la manipulation des termes : le projet de loi parle d'« aide à mourir » plutôt que d' « euthanasie », un choix sémantique qui, selon lui, vise à rendre la mesure plus acceptable. Le  rapporteur général, Olivier Falorni, a explicitement refusé les termes « euthanasie » et « suicide assisté » en raison de leurs « connotations historiques graves ».

Ensuite, il souligne le flou des critères d'éligibilité. Initialement, le texte mentionnait un « pronostic vital à court ou moyen terme », mais ce critère a été remplacé par « phase avancée ou terminale », une formulation vague qui ouvre la porte à des interprétations extensives. La Haute Autorité de Santé (HAS) a souligné  l'absence de consensus médical sur ces notions. Philippe Juvin, député LR et professeur de médecine, a alerté sur le fait que des patients atteints de diabète ou d'insuffisance cardiaque à un stade avancé  pourraient être éligibles à l'euthanasie, une dérive qu'il juge inacceptable.

Jean Leonetti  partage cette inquiétude et met en garde contre une « banalisation » de la mort, notant que dans les pays où l'euthanasie a été légalisée, comme la Belgique ou les Pays-Bas, « les garde-fous sont tombés les uns après les autres ». Il évoque des cas où des personnes souffrant de dépression ou de troubles psychiatriques ont été euthanasiées, une évolution qu'il juge contraire à l'esprit de la loi Claeys-Leonetti, qui se voulait un « équilibre » entre dignité et protection de la vie.

Enfin, Rémy met en garde contre l'élargissement aux mineurs et aux souffrances psychiques. Des amendements visant à exiger un avis psychologique pour les demandes liées à des souffrances psychiques, ou à protéger contre les abus de faiblesse, ont été rejetés en commission. Par ailleurs, des  pressions pour inclure les mineurs dans le cadre de cette loi ont été relayées, notamment par des figures liées à la franc-maçonnerie, comme Guillaume Trichard, grand maître du Grand Orient de France.

Le délit d'entrave, une menace pour la liberté d'expression

Un des points les plus controversés du projet de loi est l'introduction d'un « délit d'entrave à l'aide à mourir »,  prévu par l'article 17. Ce délit punit d'un an de prison et de 15 000 € d'amende toute tentative « d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur l'aide à mourir », y compris par des moyens électroniques. Rémy donne un exemple concret : un proche qui tenterait de dissuader une personne en dépression de recourir à l'euthanasie pourrait être condamné. Pire encore, le travail d'alerte qu'il effectue dans sa vidéo pourrait lui-même être considéré comme un délit d'entrave une fois la loi votée.

Cette mesure rappelle, selon Rémy, les restrictions imposées pendant la crise du COVID-19, où critiquer les vaccins était également sanctionné. Il y voit une censure et un « délit d'opinion » qui menace la liberté d'expression et le droit à informer. Des internautes partagent cette inquiétude et imaginent un futur où « après 3 refus d'euthanasie, vous perdez 30% de votre retraite ».

Conflits d'intérêts, le rôle controversé de la franc-maçonnerie

Rémy pointe également des conflits d'intérêts au cœur du processus législatif. Olivier Falorni, rapporteur général de la loi, est membre d'honneur de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), une organisation historiquement liée à la franc-maçonnerie.  L'ADMD a été fondée en 1980 par  Pierre Simon, ancien grand maître de la Grande Loge de France, également connu pour son rôle dans la création du planning familial.

Rémy qualifie cette situation de « scandaleuse », comparant la nomination de Falorni à celle d'un actionnaire majoritaire de Total pour une loi sur les hydrocarbures. Le JDD confirme  dans un article les liens historiques entre l'ADMD et la franc-maçonnerie dans leur militantisme pour la légalisation de l'euthanasie.

Cette implication soulève des questions sur l'impartialité du processus législatif et sur les influences idéologiques qui pourraient guider ce projet de loi.

Les motivations économiques. Une logique utilitariste ?

Un autre argument avancé par les défenseurs de la loi concerne les économies potentielles. Selon une étude mentionnée par Rémy, l'élargissement de l'euthanasie permettrait d'économiser 1,4 milliard d'euros par an en réduisant les coûts des soins palliatifs et des traitements onéreux. Rémy cite l'exemple de la Belgique, où un couple d'octogénaires a eu recours à l'euthanasie faute de pouvoir payer leur maison de retraite, illustrant une dérive où la mort devient une "solution économique" pour les plus vulnérables.

Cette logique utilitariste est dénoncée comme une atteinte à la dignité humaine. Sur X, @Franois52959711 s'interroge : « Et dans quelles poches finiront ces ‘économies' ? ». Rémy va plus loin, imaginant une société où des pressions économiques pourraient s'exercer sur les personnes âgées ou malades, notamment en temps de crise comme lors d'un hypothétique « COVID-25 », où libérer des lits pourrait devenir une priorité.

Jean Leonetti note que «  la pression économique peut transformer un droit en une injonction implicite à mourir».
Les réactions sur X sont nombreuses, reflètent l'inquiétude du public et traduisent une peur généralisée des abus potentiels, amplifiée par le souvenir des dérives du Rivotril pendant la crise COVID-19.

Les oppositions - Philippe Juvin, Jean Leonetti et d'autres voix critiques

Le projet de loi n'est pas sans opposants au sein même de l'Assemblée. Philippe Juvin, député LR et professeur de médecine, fait partie des 15 députés ayant voté contre le texte en commission. Il  met en garde contre les risques majeurs de ce projet. Juvin critique notamment le flou des critères et l'absence d'évaluation des risques d'abus de faiblesse, des points également soulignés par Rémy. Lors d'une interview sur Europe 1, il a déclaré : «  L'euthanasie et le suicide assisté, je pense qu'il y avait d'autres priorités ».

Jean Leonetti, va plus loin en prédisant une «  rupture éthique majeure ». Il argue que la loi actuelle « ouvre la porte à une société où la mort devient un choix banalisé, voire encouragé », et appelle à une réflexion plus approfondie sur les implications à long terme. Alain Claeys, bien que plus ouvert à une évolution, insiste sur des garde-fous stricts, une précaution que le texte actuel semble ignorer.

Rémy, bien qu'ayant été en désaccord avec Juvin sur les mesures sanitaires pendant la COVID-19, salue son engagement sur ce sujet : « Il ne faut pas mélanger les combats. Opposons-nous à l'urgence numéro un, on fera les comptes après. » Cette position illustre une volonté de dépasser les clivages pour s'unir contre une loi perçue comme dangereuse. D'autres voix, comme celle de la Haute Autorité de Santé, se sont également élevées pour critiquer l'imprécision des termes du texte, montrant que l'opposition transcende les lignes idéologiques.

Une société mortifère - les risques pour l'avenir

Juste Milieu alerte sur les implications sociétales. Il évoque l' « éco-anxiété » des jeunes, qui pourrait les pousser à demander l'euthanasie en cas de souffrances psychiques, ou encore la pression sur les personnes âgées ou vulnérables dans des contextes de crise. Il imagine un scénario où, lors d'une crise sanitaire comme un « COVID-25 », des patients pourraient être incités à recourir à l'euthanasie pour libérer des lits, un risque déjà perceptible avec les protocoles Rivotril. Jean Leonetti renforce cette crainte en notant que « les expériences étrangères montrent que les pressions sociales et économiques finissent toujours par l'emporter sur les intentions humanistes initiales ».

Le corps médical est également menacé. Bien que les médecins disposent d'une clause de conscience, le délit d'entrave pourrait les empêcher de conseiller leurs patients, même lorsqu'ils estiment que l'euthanasie n'est pas justifiée. Rémy donne l'exemple d'un médecin de famille qui, face à un patient en dépression après une rupture, ne pourrait pas lui suggérer de « prendre un café et réfléchir », sous peine d'être accusé d'entrave.

Juvin partageant cette inquiétude, souligne que « les médecins risquent de devenir des exécutants d'une politique de mort, au détriment de leur rôle de soignants ».

Un appel à la mobilisation

Le projet de loi sur l' « aide à mourir » soulève des questions éthiques, juridiques et sociétales majeures. Entre le flou des critères, la menace du délit d'entrave, les conflits d'intérêts et les motivations économiques, il ouvre la voie à des dérives graves, comme l'ont montré les précédents du Rivotril pendant le COVID-19. Les analyses de Jean Leonetti et Alain Claeys révèlent des divergences profondes sur l'avenir de la fin de vie en France, mais tous deux s'accordent sur la nécessité de garde-fous solides, un point que le texte actuel semble ignorer. Les voix critiques, comme celles de Philippe Juvin et de la Haute Autorité de Santé, appellent à un sursaut pour éviter une banalisation de la mort.

Comme le dit Rémy, « au moins, on se sera battus ». Face à une loi qui menace les libertés fondamentales et la dignité humaine, l'inaction n'est pas une option.

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