France-Soir
N. TUCAT AFP
Après le Pfizergate, le ReArmGate ? La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a défendu la semaine dernière sa décision de se passer du vote du Parlement européen pour accélérer l'adoption de son outil SAFE (Security Action for Europe), un programme de prêts communs de 150 milliards d'euros pour son initiative ReArm, proposée en mars dernier. La situation "est pleinement justifiée" compte tenu des défis géopolitiques "existentiels", a-t-elle affirmé dans une lettre adressée à la présidente du Parlement.
Le programme ReArm Europe, également appelé Readiness 2030, est une initiative majeure de l'Union européenne visant à renforcer les capacités de défense du continent en réponse à l'évolution du contexte sécuritaire international. Lancé officiellement en mars 2025 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ce plan stratégique totalement fou, a pour objectif de mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros sur plusieurs années afin de réarmer l'Europe, réduire sa dépendance à l'égard des alliés extérieurs, notamment après la suspension de l'aide militaire américaine à l'Ukraine, et de faire face aux menaces géopolitiques, en particulier la guerre en Ukraine et les incertitudes autour du soutien américain à l'OTAN.
Le Parlement menace
Le plan ReArm Europe repose sur de nombreux piliers. Une flexibilité budgétaire comme la mise en place ‘une clause dérogatoire du Pacte de stabilité et de croissance, celui-là même qui vaut actuellement à la France une procédure européenne pour son déficit excessif, et surtout la création d'un instrument de prêt européen, le SAFE (Security Action for Europe), qui propose jusqu'à 150 milliards d'euros de prêts pour financer des achats communs d'équipements de défense.
Afin d'accélérer l'adoption de cet outil, la Commission avait invoqué l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE). Un "49.3" européen, qui a temporairement écarté le Parlement du processus décisionnel. "C'est la seule possibilité d'aide financière d'urgence, et c'est ce dont nous avons besoin maintenant", avait justifié von der Leyen auprès des députés européens.
La décision avait suscité des réactions mitigées parmi les députés européens. Manfred Weber, qui dirige au Parlement le groupe du parti de la présidente de la CE, le Parti populaire européen (PPE), a déclaré qu'une plus grande légitimité démocratique était nécessaire dans le processus. "Contourner le Parlement avec l'article 122 est une erreur. La démocratie européenne repose sur deux piliers : ses citoyens et ses États membres, et nous avons besoin des deux pour notre sécurité", avait-il déclaré.
La semaine dernière, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a estimé que cette manœuvre favorise "le vote à droite". "Travailler avec le Parlement européen, en particulier sur des décisions de cette ampleur, est un moyen de renforcer la confiance dans notre Union européenne", a-t-elle déclaré... "Oui, nous avons besoin d'une action rapide, mais agir ensemble est le seul moyen de garantir un soutien public large et profond", a ajouté Roberta Metsola, qui a écrit une lettre à Ursula von der Leyen pour lui faire remarquer que sa méthode "met en danger la légitimité démocratique" et "mine la fonction législative et de contrôle du Parlement".
Le Parlement avait d'ailleurs exprimé son point de vue sur le plan par le biais d'une résolution non législative, approuvée par 419 voix pour, 204 contre et 46 abstentions. Roberta Metsola a même menacé en mai d'intenter une action en justice contre la Commission européenne.
Von der Leyen se justifie
Le 12 juin dernier, la présidente de la CE a défendu sa décision. Dans une lettre adressée à la présidente du parlement, elle a affirmé que l'urgence "est pleinement justifiée" eu égard aux défis géopolitiques "existentiels" qui pèsent sur l'Europe. Ursula von der Leyen évoque une "détérioration grave du contexte sécuritaire qui exige une augmentation massive des dépenses industrielles dans le domaine de la défense".
L'instrument SAFE est "une réponse exceptionnelle et temporaire à un défi urgent et existentiel", a-t-elle aussi écrit, affirmant que l'exécutif n'avait pas l'intention de contourner les pouvoirs du Parlement, qui a été sollicité sur certaines questions de défense "même dans un contexte où les circonstances justifiaient l'adoption rapide de mesures".
Le recours à l'article 122, introduit en 2007 et très rarement mobilisé jusque-là. La dernière fois remonte à l'épidémie de COVID-19, et ceci a vite mené au scandale du "Pfizergate". Pendant la pandémie, les négociations entre la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et le PDG de Pfizer, via des SMS non archivés, et donc inaccessibles, autour de contrats d'achat massifs de vaccins anti-Covid pour l'UE, pour un montant de plus de 30 milliards d'euros et jusqu'à 1,8 milliard de doses de vaccins, avaient déjà mis en lumière le manque de transparence de la Commission.
L'affaire a conduit à une condamnation en mai dernier par le Tribunal de l'UE, qui a estimé que la Commission n'avait pas fourni d'explication crédible pour justifier la non-communication de ces messages, violant ainsi les règles d'accès aux documents et les principes de bonne administration. La présidence, évidemment, semble ne pas se préoccuper de cela...