L'heure a sonné où la science historique mondiale ne saurait demeurer rationnelle si elle n'apprenait à observer les trois gigantesques personnages cérébraux qui tirent les ficelles d'une espèce transportée dans des mondes imaginaire. Qui peut croire que Jahvé cessera gentiment de s'étendre en Judée et en Samarie? Mais s'il faisait semblant de se trouver des frontières, qui peut croire qu'il abandonnerait ses conquêtes au point de s'amputer des terres nouvelles qu'il s'est adjugées depuis 1967? On avait assigné ce dieu à résidence. On lui avait donné Tel Aviv pour palais. Un seul coup d'aile lui a suffi pour s'abattre sur Jérusalem. Qui peut croire qu'il en laissera la moitié à Allah? Qui peut croire que, de son côté, Allah se retirera de sa capitale la tête basse et la mine contrite?
Alors la méthode historique traditionnelle tombera des nues : comment se fait-il, se demandera-t-elle, que tous les peuples de la terre soient devenus le tronc, les bras, les jambes et la tête de Jahvé, d'Allah et du souverain du Golgotha, dont la démocratie messianique n'est que le dernier rejeton eschatologique? Comment se fait-il que les fuyards de la zoologie sont devenus des incarnations de leurs trois géants du ciel ? Comment se fait-il que les semi évadés de la nuit animale se soient inventés un créateur imaginaire dont trois écrits se partagent ou se disputent la tiare ? Peut-être Clio apprendra-t-elle à filmer l'espèce dont elle raconte le destin. Je l'ai donc accompagnée chez un ophtalmologue afin qu'elle essaie des lunettes et une monture qui lui permettront de ne pas achever sa carrière en aveugle . Mais l'opticien m'a remis les précieuses bésicles avec un sourire moqueur. "Voyez-vous, me dit-il, la muse cacochyme ne verra les trois Titans du ciel que si vous lui apprenez à retirer le bandeau que les oculistes d'hier lui ont mis sur les yeux."
Dans mon compte-rendu de cette longue consultation, je n'ai pu établir le diagnostic qu'en filigrane. Je me suis donc contenté de suivre modestement les indications du spécialiste qui a bien voulu me montrer la marche à suivre pour tenter de retirer son bandeau à la muse de la mémoire.
Essayons de poser quelques modestes jalons d'une science historique dont le discours s'armerait du recul que les éclaireurs du passé du monde attendent des grands distanciateurs dont accouchera le XXIe siècle.
1 - Les échiquiers de Clio
2 - L'homme, cet inconnu
3 - Le pain de la grâce
4 - Les premières récoltes de notre distanciation
5 - Un Jupiter hybride
6 - L'épouvantail de la solitude
7 - Les mésaventures de verbe être
8 - Nos relations avec nos esclaves
9 - Les malheurs de notre voracité
10 - L'étude de notre boîte osseuse
11 - Le vrai danger
12 - Que devient une idole évadée du bois ou de la pierre ?
13 - Le Jahvé d'autrefois et celui d' aujourd'hui
14- Le sacre d'Israël
15 - La guerre des dieux physico-verbaux
16 - Clio en apprentissage
17 - Le nouvel encrier de Clio
18 - L'historicité simiohumaine est en vue
19 - Récompenser et punir
20 - Aux sources anthropologiques du sionisme
21 - L'athéisme des saints
22 - Où Jahvé s'est-il caché ?
1 Les échiquiers de Clio
Pour comprendre le sens et la portée de la mutation des méthodes de la science historique que le XXIe siècle dictera à l'interprétation anthropologique du passé de l'humanité, il faut tenter d'esquisser une théorie générale des échiquiers de la durée, parce que les apprentis de la mémoire regardent nécessairement le monde de leur époque avec les lunettes de la Clio du moment, celles que la configuration passagère des évènements leur impose.
Après la victoire de Salamine, l'échiquier du temps disait que la rivalité entre Sparte et Athènes rendrait de plus en plus menaçante pour l'unité du monde hellénique une Perse un instant terrassée. Après que la Macédoine eut conquis l'hégémonie sur les cités grecques, l'échiquier du savoir disait qu'Alexandre réussirait ou échouerait à remporter sur Darius une victoire qui rendrait mondiale ou ferait avorter la cité politique née avec la démocratie à Salamine. Après les guerres puniques, l'échiquier des Parques disait que Rome succéderait à Athènes pour mille ans. A la suite des invasions des barbares et de l'engloutissement des Lettres, des sciences et des arts dans les ténèbres d'une nouvelle foi religieuse, l'échiquier des civilisations proférait que la lente germination des identités et des langues nationales attendrait treize siècles pour retrouver Aristote et les trésors littéraires de la civilisation antique dans la foulée de l'Islam, mais que la découverte de la sphéricité de la terre, du géocentrisme et de continents inconnus, puis la révélation de nos origines dans la zoologie ébranlerait à ce point le psychisme du genre simiohumain que le flottement de notre espèce dans une immensité déserte se révèlerait une plaie inguérissable.
Plus récemment, l'échiquier de Chronos annonçait que l'utopie chrétienne était décédée dans un dernier et sanglant sursaut de l'évangélisme politique et qu'un capitalisme vorace conduirait la planète au trépas commun du rêve religieux et de l'espérance civique. Mais cet ultime échiquier de l'histoire présente une nouveauté extraordinaire, parce que, déclarait-il, il ne sera plus permis à l'historien de raconter sur le mode catéchétique les nouvelles aventures d'Adam et d'Eve sous le soleil, de sorte qu'il lui faudra apprendre à observer de l'extérieur les évadés de la nuit animale et convertir les mémorialistes et les chroniqueurs à une anthropologie spectatrice. Cette nouvelle table de jeu est embarrassante, parce qu'elle change la science de la durée en une forme de l'astronautique. Comment s'enseigner à soi-même l'art et la science de se regarder du dehors, sinon par l'apprentissage non plus du faux regard que "Dieu" portait sur des créatures aussi bancales que lui-même, mais du regard de la créature sur les maladresses et l'ignorance des idoles sous les traits desquelles elle se représente, se grandit et se transporte dans le royaume de ses rêves?
Mais si notre démiurge mythique se révélait l'otage des mêmes apories qui ont piégé nos millénaires et les siens, peut-être la science historique aurait-elle quelques chances de tremper sa plume dans un nouvel encrier des peuples et des nations. Il y faudrait une écritoire placée sur une autre orbite; il y faudrait une discipline changée en tête chercheuse des sciences humaines de demain, il y faudrait un relais du myope qui s'imaginait nous observer de loin et que nous appelions "Dieu". Quel miroir de nos trébuchements que notre prétendu créateur! Certes, cet ultime échiquier de l'immensité, du silence et du vide n'est pas encore en vue. Mais du moins l'animal auto-distanciateur s'enseignera-t-il à l'école de ses songes évanouis.
2 L'homme, cet inconnu
Il est étrange qu'il existe plusieurs anthropologies et qu'il soit convenu de les classer selon l'objet qu'elles prétendent circonscrire, alors qu'elles coupent notre espèce en tranches
l'anthropologie religieuse, l'anthropologie du droit, l'anthropologie historique il est étrange, dis-je, qu'il n'existe pas d'anthropologie générale de la condition simiohumaine, pas de science de la spécificité de la seule espèce que la nature a rendue onirique et locutrice, pas de science du capital psychogénétique de l'animal dont l'encéphale sécrète des personnages imaginaires et bavards, qu'il appelle des dieux. Comment se fait-il que ces acteurs bardés de leurs rituels se promènent dans toutes les têtes avec leurs liturgies à la bouche? Quels sont les moteurs naturels qui les font changer de discours et de dégaine au gré des millénaires ? Et pourtant, une anthropologie générale disposerait sur l'heure et sans difficulté de deux observatoires gigantesques des promeneurs divins que nous avons vaporisés dans le cosmos, notre politique et notre histoire. Les lanternes de ces disciplines seraient si éclairantes qu'elles donneraient aussitôt un champ d'observation assuré et fécond de la bête cérébralisée et dédoublée entre les phares de ses cinq sens et les royaumes du songe vers lesquels elle se transporte corps et âme.
Mais peut-être une anthropologie universelle serait-elle embarrassée par la forte taille de ses caméras et par la rudesse de leurs prises de vue, peut-être se demanderait-elle comment des appareils de captation des images si obèses sont construits pour nous leurrer, peut-être gagnerait-elle un temps précieux à les démonter pièce par pièce afin de découvrir si tant de rouages et de ressorts ne seraient pas construits en trompe-l'œil. Car pour observer de l'extérieur et dans l'étonnement le bipède riche en simulacres dont on partage le sort et dont les vastes troupeaux ont essaimé sur tout le globe terrestre, il faut s'assurer de la fiabilité des microscopes dont les lentilles multipliées pourraient fort bien égarer les observateurs.
Je propose au lecteur d'essayer trois regards sur les faux-semblants de notre corpulence, l'histoire de nos rois, celle de nos esclaves et celle de nos conquérants; puis de nous demander si ces lentilles encore rudimentaires ne nous éclaireraient pas quelque peu sur ce qu'il faut nous résigner à appeler notre politique et notre histoire et si un élargissement de l'horizon de ces disciplines approximatives ne nous fournirait pas des renseignements nouveaux sur la véritable nature de leur territoire.
3 Le pain de la grâce
Une anthropologie ambitieuse d'observer notre espèce en tant que telle et dans son étrangeté imposerait une première mutation à ces deux instruments d'observation anciens et rouillés de notre complexion notre mémoire et notre pouvoir. Du coup, la première moisson méthodologique d'une vraie science de la condition relativement trans-animale à laquelle nous avons accédé serait non seulement de modifier nos tentacules, mais de métamorphoser la boîte à outils rudimentaire dans laquelle nous rangeons nos connaissances et que nous appelons notre cerveau.
Commençons notre voyage d'exploration de notre conque osseuse par l'examen de nos monarques, dont nous avions branché les dynasties sur nos ciels et qui nous racontaient les aventures conjointes de leur sang, de leur couronne et de leurs autels.
En ce temps-là, notre science politique reposait principalement sur les négociations serrées que nous menions avec un maître du cosmos terriblement fantasque et qui nous demandait sans relâche le paiement d'un tribut de sang un cadavre que nous qualifiions d'offrande. Au début, nous étions nous-mêmes l'animal condamné à perpétuer son propre égorgement sur ses offertoires. Aussi nos autels dégoulinaient-ils de l'hémoglobine de notre piété. Aujourd'hui encore, nous perpétrons chaque dimanche un assassinat qui nous vaut la vie éternelle. Mais en ces temps reculés, nos rois se voulaient les intermédiaires et les garants agréés de nos rémunérations posthumes. Leur tiare avait été cautionnée par un ciel voué à sanctifier nos tueries rédemptrices. Nos prêtres se présentaient devant nos autels en exécuteurs des hautes œuvres de notre créateur. Souvenons-nous de ce que nos tractations avec le souverain de notre trépas et de notre immortalité étaient réglées par des rituels liturgiques et de ce que la récitation littérale de nos formulaires sacrés assurait leur efficacité à nos yeux. C'est que toute notre politique demeurait fondée sur l'axe vertical qui ligotait nos monarques d'ici-bas à notre véritable souverain le démiurge qui nous surplombait de la double majesté de sa foudre et de sa législation. Mais sa tyrannie n'était pas entièrement désenchaînée : nous la régissions en sous-main pour le bien commun du royaume du ciel et de celui de la terre. Si la terreur demeurait le fourrage naturel de notre foi, c'était un sage despotisme que celui dont se nourrissaient notre obéissance et notre discipline.
4 - Les premières récoltes de notre distanciation
On voit à ce simple récit qu'une anthropologie générale s'inspire nécessairement d'un regard nouveau sur l' animalité originelle de notre pain du ciel. Qu'en était-il d'une grâce fondée sur nos tractations suivies avec le tueur suprême que nous chargions de nous dompter dans notre propre intérêt, disait-il ? Mais on voit également que, dès ses premiers pas, une anthropologie critique bouleversera nécessairement la méthode historique traditionnelle, parce que la caméra de Clio aura été placée à une tout autre distance de la scène : alors que les meilleurs d'entre nous portaient le regard sur notre espèce en tant que telle, croyaient-ils, l'anthropologie générale reçoit sur sa rétine la pellicule des films que tournent les Célestes sur le théâtre des agenouillements du simianthrope.
Du coup, cette discipline est condamnée à bouleverser toute la méthodologie qui dictait autrefois ses routes et ses sentiers à la muse, parce que la narration héritée de la tradition va se trouver pilotée par un gouvernail nouveau. Comment ne hisserions-nous pas une autre voilure dès lors que la succession des évènements prendra une signification fort différente? L'histoire de nos relations ficelées au tandem que nos rois faisaient avec notre créateur mythique racontera l'évolution parallèle de notre boîte osseuse et de celle du dirigeant mythique du cosmos ; et nous suivrons à la trace nos mutations cérébrales telles qu'elles auront été consignées dans les écrits de nos greffiers des nues. Bien plus, nous suivrons pas à pas les étapes du dégrossissement cérébral de notre prétendu créateur; et notre intelligence marchera à si vive allure aux côtés de nos sciences que les relations multiséculaires que notre ciel entretenait avec nos monarchies en seront anéanties.
5 - Un Jupiter hybride
Mais nous n'avons pas encore résolu les difficultés nouvelles dans lesquelles notre connaissance du tangage, puis de la dissolution du duo de "Dieu" avec nos rois nous ont précipités. Dans un premier temps, nous avons jugé que l'aura de sacralité dont jouissaient nos monarques demeurait utile à conserver en bon état de fonctionnement, parce qu'il nous fallait maintenir en service l'éclat conjoint du ciel et de la terre afin de fasciner nos peuples par un si beau théâtre : des décors éblouissants permettaient de leur cacher le vrai scénario, lequel échapperait par nature à leur regard et à leur jugement.
Nous avons donc inventé une monarchie hybride, que nous avons qualifiée de constitutionnelle. Mais comment les mises en scène du pacte que notre politique et notre histoire avaient conclu avec Jupiter auraient-elles encore fait la trame et le tissu de notre aventure incertaine sous le soleil si nos rois ne portaient plus que les insignes et chamarrures de leurs ancêtres ? Déjà notre espèce avait propagé plusieurs types de cervelles. Et pourtant elles demeuraient si peu diversifiées que la majorité d'entre nous refusait avec la dernière énergie de métamorphoser le cosmos en un orphelinat de désespérés, d'y raser les murs d'un édifice privé de sonnette et de traîner jusqu'à la mort une vie endeuillée par les funérailles de notre père céleste.
6 - L'épouvantail de la solitude
Mais puisque nos Etats allaient se trouver gouvernés par une masse d'ignorants des hâbleurs professionnels ne tarderaient pas à les mettre au service de leurs ambitions étriquées comment ne pas soupçonner de promesses fallacieuses notre divinité à son tour? Après tout, la monnaie de singe des utopies politiques paraissait à beaucoup de nos pairs plus fiable que les écus d'or de l'éternité. Si le ciel d'autrefois se révélait plus trompeur encore que les discours des démagogues qui grisaient maintenant un clergé nouveau, comment allions-nous mettre un peu d'ordre dans notre tête scindée entre des donateurs aussi généreux d'apparence les uns que les autres et qui rivalisaient à jeter l'argent par les fenêtres tantôt de la terre et tantôt du ciel? Car si un grand nombre de nos congénères paraissaient épouvantés de se trouver esseulés dans le vide de l'immensité, les autres en devenaient plus légers encore que précédemment et se précipitaient tête baissée dans le néant.
De toutes façons, nous étions devenus incapables de nous installer dans l'incommensurable, de nous y localiser et de nous y redonner un nom. Amputé de ses augustes prérogatives d'autrefois, notre Jupiter ne nous disait rien qui vaille; mais, dans le même temps, nous ne savions comment faire confiance aux nouveaux manchots du ciel, tellement nous n'avions nullement conquis des biens inestimables à nous priver de prodiges et de miracles à la pelle.
7 - Les mésaventures de verbe être
Décidément l'anthropologie critique n'est pas une discipline de tout repos. Allons jusqu'à la soupçonner de dissimulation méthodologique ; car si elle raconte bel et bien les évènements tels qu'ils se sont effectivement déroulés sur cette terre, elle observe d'un œil méfiant ce qu'il est advenu de notre matière grise tout au long du chemin. Il en résulte un embarras, une ambigüité, une gêne et même une angoisse torturantes, comme si le combat entre nos guetteurs avertis du temps d'ici bas d'un côté et notre anthropologie de l'autre faisaient débarquer sans tricher le moins du monde, mais en catimini, des décors et un théâtre nouveaux sur les planches de notre politique et de notre histoire.
Quel spectacle que celui des déambulations de notre cerveau "en personne", si je puis dire! Nos chroniqueurs et nos mémorialistes d'autrefois n'étaient encore que des huissiers et des notaires de nos cervelles. Et maintenant cet organe devenait l'acteur principal de notre destin. Soudainement, et aux yeux de tout le monde, un déplacement décisif du champ de notre regard faisait d'une connaissance nouvelle de nous-mêmes, non seulement le cœur de notre histoire et de notre politique, mais le centre de tous nos vrais savoirs.
Sans doute, nous étions-nous trop longtemps raconté les péripéties fatiguées de notre politique à partir de présupposés schématiques et qui nous avaient paru aller tellement de soi que nous n'avions nul besoin d'examiner leur infirmité native à la loupe. Aussi croyions-nous sincèrement appartenir à une espèce dont des personnages fantastiques avaient fait leur proie, de sorte que notre vie cérébrale se trouvait livrée de naissance aux héros titanesques qui peuplaient notre imagination et d'où il nous était impossible de les déloger. Poser aux historiens d'autrefois de nos guerres de religion et aux décrypteurs anciens de notre vie politique la question de la nature des hôtes célestes dont nous étions devenus les otages était une audace dont notre anthropologie critique nous enseignait d'ores et déjà les principales apories qu'elle allait rencontrer. En tout premier lieu, nous ne pouvions comprendre un traître mot de ce que nos ancêtres se racontaient entre eux et avec force détails si nous persévérions à appartenir à une espèce condamnée à sécréter des Olympes comme le pommier des pommes. Car il était extraordinaire que nos ancêtres eussent cru sincèrement et la main sur le cœur à l'existence de ce qu'ils avaient grand besoin de croire existant.
Plus extraordinaire encore : nous ne savions plus quel sens il nous fallait accorder à notre verbe le plus proliférant, le verbe être. Car nos dieux avaient commencé par exister sur leurs Olympes ; puis ils s'étaient progressivement émaciés jusqu'à se dissoudre dans l'éther. Et pourtant, ils étaient demeurés une manière de substance localisée, puisqu'ils étaient censés se trouver dans le même espace où nos pères se trouvaient immergés à leurs côtés. C'est ainsi que le temps charriait d'un siècle au suivant les charretées de leurs têtes et celles de leurs idoles.
On voit que l'anthropologie critique pose la question de savoir à quel niveau de profondeur nous prétendons désormais capturer le monde extérieur et nous rendre relativement intelligibles à nous-mêmes.
8 - Nos relations avec nos esclaves
Parvenus à ce point de notre évolution cérébrale, nous sommes en mesure de passer au second volet de l'anthropologie critique, celui de l'histoire et de la politique de nos relations avec nos esclaves. Car nous en avons possédé de tels et en grand nombre sitôt que nous avons pu nous en procurer gratuitement ils figuraient dans l'abondant butin de nos victoires à la guerre puis, plus coûteusement, il est vrai, sur le marché où leur prix d'achat et de vente variait grandement selon leurs aptitudes et où leur valeur atteignait quelquefois des sommes exorbitantes. C'est l'exploitation de cette main-d'œuvre abondante qui nous a permis de fonder nos premières monarchies guerrières, nos oligarchies bien rentées et nos démocraties dispendieuses Comme nous entretenions ce cheptel bon marché dans nos demeures, leur progéniture augmentait leur troupeau d'une génération à l'autre. Puis notre christianisme nous a aidés à les débaptiser, au point que nous les avons progressivement laissés se loger et se nourrir loin de nous, ce qui, dans un premier temps, a fortement réduit la masse des serfs dont nous disposions, jusqu'au jour où nous avons réussi à les remettre tous au travail à la faveur d'une mutation mécanique de nos sociétés et du mode de production de nos biens, que nous avons appelée notre révolution industrielle.
Mal nous en a pris : quand nos esclaves se sont trouvés rassemblés et comprimés dans des enceintes de fer, ils ont enfantés des prophètes qui leur ont enseigné un catéchisme du salut du monde tout illuminé d'une démence inconnue, selon laquelle il leur appartiendrait à eux seuls de prendre en charge notre espérance à tous et de faire débarquer à jamais le paradis d'une prospérité éternelle sur la terre. Mais aussitôt, leur indiscipline et leur paresse ont précipité leur économie dans la ruine ; et il a fallu aller jusqu'à les enfermer derrière un mur infranchissable et garni de guetteurs armés jusqu'aux dents afin de les empêcher de s'évader à toutes jambes de leur Eden. Mais rien n'y a fait
les plus méritants ont défié les miradors et se sont rués sous les balles hors du paradis dans lequel leurs nouveaux maîtres avaient espéré les contenir; et toute la société de leur grâce et de leur rédemption par le travail des évangélisés à nouveaux frais s'est soudainement effondrée.
9 - Les malheurs de notre voracité
Alors, mais à notre manière, nous nous sommes crus miraculés à notre tour; et nous nous sommes si bien laissé griser par notre faux triomphe que nous nous sommes attachés à nous enrichir sans mesure. Quand nous eûmes réussi à remplacer la masse de nos esclaves par des machines, nos produits ont manqué d'acheteurs. Alors, nous sommes devenus la proie de notre voracité naturelle et nous nous sommes précipités dans le même abîme que le précédent. Mais, cette fois, c'était à nous de courir à fond de train vers la pauvreté, non plus à l'écoute des prophètes de notre salut, mais à trôner sur nos tas d'or devenus inutiles. Alors nous avons tendu des mains suppliantes vers nos derniers substituts de "Dieu" nos Etats. Mais comment sacraliser ces machines-là au seul profit de nos marchands? Depuis lors, nous cherchons désespérément une mécanique et des ressorts qui nous permettaient de gouverner nos peuples et nos nations; et nous échouons à les sanctifier au profit de nos escarcelles, parce que nos Etats se peuplent à leur tour de goussets pleins à déborder.
Ainsi tirés à tue et à dia entre nos riches et nos pauvres, nous nous attelons sérieusement à la tâche de construire la balance à peser notre tête. Comment avions-nous pu tomber dans la folie de nous imaginer que nous rendrions compréhensibles notre histoire et notre politique, alors que nous ne disposions encore d'aucune anthropologie générale et critique qui nous aurait permis de disposer d'une exposition mondiale de nos cerveaux sur tous les arpents du globe ? Quand nous attacherons-nous à la tâche de tracer les routes et les chemins qui nous conduiraient à nous poser enfin une question pourtant aisément localisable au cœur de notre espèce, celle de savoir pourquoi, depuis les origines, nous échouons aussi bien à nous accommoder de notre capital psychogénétique qu'à en changer.
Ici encore, c'est notre misérable embryon de cervelle qui détient les clés de toutes les difficultés que rencontrent nos chromosomes: car si nous parvenions à radiographier les vices de nos riches et ceux de nos pauvres, nous saurions du moins pourquoi nous appartenons à une espèce à la fois ratée et prometteuse. Quels sont donc les dysfonctionnements inévitables dans lesquels s'empêtrent nos lobes cérébraux? Pour tenter de l'apprendre pourquoi ne tenterions-nous pas d'éduquer des interprètes de notre triste nature? Pourquoi tous nos efforts ne se concentreraient-ils pas à nous forger une classe dirigeante mieux informée de ce que nous sommes que celle dont l'ignorance nous gouverne depuis tant de millénaires?
10 - L'étude de notre boîte osseuse
Le troisième volet d'un éclairement prospectif de notre histoire et de notre politique est donc celui de l'étude scientifique de notre boîte osseuse. Mais, sur ce terrain, nous nous heurtons d'ores et déjà aux frontières dont nos Etats apeurés entourent notre science encore embryonnaire de nous-mêmes. Pourquoi tiennent-ils si fort à limiter notre pauvre liberté de pensée et d'expérimentation ? C'est que nous craignons avant tout et autant qu'eux-mêmes d'apprendre réellement à nous connaître; et si nous y mettons mille précautions, c'est que nous flairons tous le danger.
Et pourtant, si nous nous privions de toute connaissance psychobiologique des infirmités dont souffre notre cervelle, nous n'aurions aucune chance de jamais résoudre les apories qui ont rendu notre espèce bancale dès son basculement hors de la zoologie, tellement notre future anthropologie générale s'appliquera en tout premier lieu et nécessairement à placer notre matière grise sous la lentille de feu Jupiter; et comme l'autopsie de l'idole dont nous sommes demeurés, in petto, les timides décalques nous révèlerait que nos lobes cérébraux sont copiés sur les siens, mais un peu miniaturisés par notre piété, nos radiographies encore partielles de notre capital mental actuel se révèleront de plus en plus iconoclastes, sacrilèges et blasphématoires, tellement notre crainte d'apprendre à nous connaître, nous la masquions depuis des millénaires sous les parures de nos Olympes. Qu'en est-il de nos défaussements immunitaires ? Nous les appelons des théologies. Leur inconscient décrypté nous apprendra que nous nous vaccinons de moins en moins efficacement contre la connaissance catastrophique de nous-mêmes à laquelle nos sciences à la tête brûlée nous conduiraient inexorablement si nous acquérions l'audace mortelle d'expérimenter nos déficiences et nos carences.
11 - Le vrai danger
Et pourtant nous savons déjà pourquoi il nous demeure interdit de faire connaître à nos congénères les premiers secrets de notre code génétique: le vrai danger n'est pas dans notre découverte fort récente des traces de l'ADN des Arabes dans le capital génétique des populations du sud de la France. Au contraire, nous sommes fiers de la haute civilisation dont Cordoue fut longtemps le joyau. Mais le risque est dans le désastre de la généralisation de nos dernières découvertes: car il serait logique d'isoler également l'ADN des Tsiganes, par exemple, qui, depuis des millénaires, refusent de se sédentariser, ou des Aborigènes d'Australie, ou des peuples encore livrés à leurs sorciers.
Qu'avons-nous à craindre d'une telle extension de notre savoir? Le voici: nous avons détecté une autre espèce encore, sans laquelle non seulement toute notre anthropologie générale, mais la civilisation mondiale tout entière demeureraient privées d'une science des derniers fondements de notre espèce, à savoir le scannage du Dieu aussi schizoïde que nous-mêmes que nous avons enfanté il y a quelque trois millénaires. C'est dans le Livre de Daniel le visionnaire et dans les analyses pré-anthropologiques d'Isaïe et d'Ezéchiel que nous avons commencé d'apprendre à radiographier l'encéphale de notre dernier Jupiter. Puis, les descendants de nos premiers visionnaires des idoles nous ont fait découvrir les secrets de l'endogamie de l'espace et du temps simiohumains, ainsi que les empires de l'inconscient qui sous-tendent et pilotent toute l'histoire et toute la politique de nos songes sacrés. Or, le peuple d'Isaïe et d'Einstein diffère grandement de celui des Tziganes en ce qu'il paraît se mêler aisément à tous les autres peuples de la terre et pourtant, il revendique ardemment et de génération en génération des chromosomes aussi hautement séparés que résolument distincts des nôtres.
S'il était permis à nos généticiens d'isoler des types simiohumains et de les distinguer les uns des autres, notre anthropologie générale ferait aussitôt des pas de géant, parce que nous accomplirions sur l'heure l'exploit d'isoler et de séparer à l'aide de critères identitaires affinés les divers types d'encéphales dont dispose actuellement l'espèce livrée à une panne du grossissement de sa matière grise. Mais le peuple juif a aussitôt compris, lui, que nos idéalités évangélico-vaporeuses ne sont jamais que les dernières arrivées sur le marché de nos idoles et qu'elles se sont tout de suite appliquées à angéliser nos identités politiques dans le vide de l'air, comme disait notre Renatus Cartesius. C'est pourquoi les prophètes juifs n'ont pas seulement vomi les idoles de bois, de fer ou de pierre, mais également les idéalités séraphiques des philosophes faussement apitoyés autour de Job; car, les premiers, ils ont observé les dérobades auxquelles les agenouillés de leur temps se livrait tantôt devant des matières sculptées à leur propre image, tantôt devant leurs concepts tartuffiques.
12 - Que devient une idole évadée du bois ou de la pierre ?
Si les idoles du simianthrope sont des portraits en miroir de leurs adorateurs, le décryptage du capital psychogénétique de l'idole actuelle d'Israël elle qui n'est plus taillée dans le bois du bûcheron d'Isaïe, mais dans les vocables du salut du monde ce décryptage, dis-je, nous fournira un document précieux en ce que notre anthropologie critique se trouvera en mesure d'observer ce gigantesque personnage cérébral en pleine activité sur le territoire que l'histoire lui a redonné depuis 1947 et qui s'écrie à nouveau: "... ne laissez en vie rien de ce qui respire. Détruisez-les jusqu'au dernier... comme le Seigneur votre Dieu vous l'a ordonné... " (Deutéronome 20:16).
Si nous parvenions à filmer notre espèce tout entière telle qu'elle s'agite sur le théâtre où son Dieu unique la met en représentations d'elle-même, nous décoderions notre histoire et notre politique à l'aide d'une science véritable de l'encéphale de nos ancêtres; car non seulement nous vérifierions le degré d'intelligence dont fait preuve de nos jours l'animal schizoïde , mais nous porterions notre regard sur la dichotomie cérébrale dont il se trouve affecté, tellement une boîte osseuse bipolarisée ou biphasée ab origine enfante nécessairement des combinaisons et des alliages des matières avec les mots qui la scindent car le monde de la nature inanimée et celui des sons que nous émettons nous renvoient à l'insaisissable qui nous suffoque. Quelle est l'identité d'Israël dans le vide où son refus des idoles de bois ou de pierre le grandit et quelle est l'idole nouvelle qu'enfante le rejet des idoles de fer ou d'airain si notre espèce passe nécessairement des idoles du premier type au second?
13 - Le Jahvé d'autrefois et celui d'aujourd'hui
Pour décrypter les secrets de l'asphyxie du simianthrope qu'étouffent ses idoles, observons le théâtre de l'auto-strangulation de l'histoire que présente le Moyen Orient, ce lieu de rencontre entre le récit historique banalisé de nos ancêtres et le récit anthropologique à venir celui qui commence d'observer des cerveaux résolument en marche sur la terre les deux narrations, la physique et l'abstraite offrant un entrecroisement de leurs apories hautement propice à un examen critique du passage d'une idole en chair et en os à une idole du langage.
Mais pour cela, il importe en tout premier lieu de garder en mémoire l'évidence que tout simianthrope, quel que soit son capital psychocérébral et celui des dieux qui le dédoublent dans le vide, conquerra, le glaive à la main le territoire nouveau sur lequel il se sera transporté et en massacrera les premiers habitants au nom de son décalque céleste son idole. L'histoire des grandes invasions a cent fois démontré ce premier théorème de l'anthropologie générale. Jahvé s'en est expliqué clairement et à plusieurs reprises. Mais pour observer le capital psychogénétique du type de divinité mentalisée et logophore qui s'est incarnée en Samarie et en Judée depuis 1947, il faudra apprendre à radiographier les globes cérébraux qui lui appartiennent en propre et en tant que cette idole n'est plus ni de bois, ni de pierre, ni d'airain
donc précisément en tant qu'elle a pris en horreur les substances matérielles auxquelles se complaisaient les divinités d'autrefois, qui se montraient encore béatement ambitieuses de se promener en chair et en os sur la terre.
Que disait le Jahvé encore doté de bras et de jambes? "Quand le Seigneur votre Dieu vous amènera dans le pays où vous pénétrerez afin d'en prendre possession et qu'il chassera devant vous de nombreuses nations... alors, vous devrez les détruire, jusqu'au dernier. Ne concluez pas de traité avec eux, et n'ayez aucune pitié! " (Deutéronome 7:1-2).
Dans le Lévitique, quelle musculature: "Vous pourchasserez vos ennemis, et ils tomberont sous votre glaive, devant vous. Cinq des vôtres en pourchasseront cent des leurs, et cent des vôtres en mettront dix mille en déroute ; vos ennemis tomberont sous votre glaive, à vos pieds." (Lévitique, |26, versets 7-9).
Quant au Deutéronome, qui peut douter de la détermination de son ossature? "Lors donc, Jahvé, ton Dieu te fera entrer dans le pays qu'il a juré à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob de te donner: villes grandes et belles villes que tu n'as pas bâties, maisons pleines de toutes sortes de biens que tu n'as pas remplies, citernes creusées que tu n'as pas creusées, vignes et oliviers que tu n'as pas plantées, et tu mangeras et te ressassieras." (Deutéronome, VI:10, trad. Osty)
14 - Le sacre d'Israël
Précisons la méthode qui permettra à l'anthropologie générale d'observer un peuple, une nation, un régime politique, une ethnie ou quelque collectivité que ce soit non point à l'école d'un relevé minutieux de leurs faits et gestes physiques, mais par l'examen des circonstances particulières et inattendues dans lesquelles l'histoire aura placé leur double vocal, et cela justement afin, dirait-on, qu'ils apparaissent en traits frappants dans le miroir de leur langage. Car l'idole verbale que le simianthrope est devenu à lui-même plusieurs millénaires après son basculement hors de la zoologie afin de la projeter vocalement dans l'étendue, ce ne sera pas le compte-rendu myope des huissiers des peuples et des nations qui permettra à l'anthropologie générale d'en filmer la grammaire et la syntaxe: il y faudra une discipline décidée à cerner l'acteur cérébral que tout peuple en chair et en os est à lui-même dans le ciel du vocabulaire qui le dédouble et qui en souligne la stylistique.
Telle est la situation dans laquelle le peuple juif se trouve placé pour s'être tout subitement trouvé grammaticalement reconstitué et pour se voir doté du rang mental et sonore d'un Etat souverain mille huit cent soixante dix-sept ans après la prise du temple de Jérusalem par les légions de Titus. Israël est né du verbe de la démocratie mondiale. Celle-ci était symbolisée par un rassemblement de représentants physiques de ce type abstrait de gouvernement, qui s'étaient réunis en une manière de Parlement du concept international de Liberté. J'ai déjà dit que l'anthropologie générale a pour vocation d'observer des idoles phonétiques. Celles-là parlent à haute et intelligible voix dans les miroirs que le simianthrope se fabrique afin d'y admirer son effigie proprement cérébrale, celles-là le renvoient à ses dictionnaires, donc à son dédoublement vocal à la fois glorieux et souffrant, sacré et précaire, majestueux et attaché à la charrue des jours et des mots étroitement confondus.
Mais ce n'est pas le lieu d'observer la dégaine de la démocratie en tant que divinité mondiale réfléchir dans le miroir de ses phonèmes, donc en tant qu'idole musicalisée et sacralisée par le langage qui l'habite : il s'agit maintenant d'observer son vis-à-vis, l'Etat cérébralisé d'Israël en tant qu'effigie à son tour donc la sonorité de son oratorio spécifique sur une terre phonétisée depuis longtemps afin de décrire et de tenter de comprendre la collusion ou la complicité avertie de ce personnage de chair avec la cantate flatteuse qui constitue son double mental. C'est cela, essayer de donner au récit historique un observatoire de l'encens naturel qui grise le simianthrope, afin que le nez de Clio apprenne à flairer le parfum des peuples. Car Israël ne marche dans son histoire schizoïde qu'accompagné du sacre orphique qu'il est devenu à ses propres yeux, Israël se trouve dichotomisé entre la nation physique et l'idole odoriférante qu'il est à lui-même.
15 - La guerre des dieux physico-verbaux
Mais cela n'est pas encore le plus singulier : tous les peuples se font accompagner en catimini ou en fanfare par l'idole sonorisée qu'ils sont devenus à eux-mêmes. Ce qu'il importe de connaître, c'est la spécificité du dieu biface d'Israël ; et cette spécificité chorale ne peut apparaître, comme il est dit plus haut, qu'à la faveur des circonstances historiques qui en accuseront et en burineront les traits corporels et mentaux. Car le peuple d'Israël avait été "mis à part" par sa propre effigie sublimée, un Jahvé encore tout corporel; et voici que le monde entier met à son tour ce peuple physiquement à part; mais dans le même temps, il l' "élit" cérébralement au titre de paradigme saisissant d'une anthropologie générale des personnages verbaux discipline encore en gésine, mais appelée à radiographier la psychophysiologie du simianthrope glorifié par ses idoles phonétisées. Cherchons donc le regard dont cette science devra accoucher et qu'elle portera sur une espèce cérébralement dichotomisée par ses dieux bipolaires.
En 1945, l'empire américain s'est attelé à la tâche titanesque de dépouiller physiquement l'Angleterre et la France de leur empire colonial et d'y imposer le règne de sa divinité propre
le prophétisme démocratique anglophone, dont le messager physique et symphonique était l'industrie et le commerce mondiaux, ce Mercure des modernes et cet apôtre principal du mythe d'une Liberté sonorisée. En 1948, Harry Truman avait lancé la construction de la flotte de guerre la plus titanesque et la plus apostolique de tous les temps. Il s'agissait d'enserrer la planète d'un réseau de garnisons de type sotériologique, ce qui exigeait que la nouvelle domination du monde fût sanctifiée par les liturgies d'une démocratie verbifique. Dans un contexte aussi résolument rédempteur, il était contraire à toute la nouvelle mythologie de la planète elle se fondait sur l'annonciation et l'avènement du dieu anglo-saxon sur tout le globe terrestre de bâtir un colonialisme aussi cultuel et salvifique que le précédent, mais au profit solitaire du peuple juif, lequel se trouverait seul auto-légitimé à accourir de la terre entière afin de prendre possession du territoire d'une autre nation et de la chasser à jamais de ses lopins .
Une nouvelle guerre des dieux, donc de l'alliage des corps et des mots, commençait; mais elle obéissait à un modèle théologique entièrement nouveau en ce que non seulement les effigies des deux idoles se piégeaient l'une l'autre, mais en ce qu'elles se prenaient réciproquement en otage: d'un côté, la pythonisse de 1789 se rendait complice des pillages et des meurtres de Jahvé, puisqu'elle lui remettrait solennellement, définitivement et en mains propres un peuple à vassaliser au nom de la Liberté, tandis que, de son côté, Jahvé se posait à la fois en exécuteur masqué de la démocratie mondiale et en apôtre de la déesse de la Liberté et de la Justice; car il était désormais en son pouvoir d'apostropher les démocraties en ces termes: "N'est-ce pas à vous que je dois mes retrouvailles physiques et mentales avec mon immémoriale sainteté? Ne m'avez-vous pas délivré du sépulcre dans lequel je reposais en silence aux côtés de mon peuple muet et dispersé sur toute la terre depuis près de vingt siècles?"
16 - Clio en apprentissage
L'anthropologie générale dispose donc d'une effigie en partie double du Jahvé physique des origines et de son incarnation en sa réplique corporelle actuelle, le peuple juif, parce que le corps et la voix de l'idole vétéro-testamentaire retrouvée se trouve mise en pleine lumière par la bâtardise même dont sa chair et sa parole se trouvent désormais frappées. Car, de son côté, la vocation évangélico-christique de la démocratie mondiale l'appelle à accorder au peuple palestinien le droit de se constituer à son tour en un Etat souverain, ce qui met la démocratie et sa prêtresse en porte-à-faux avec le Caïn qui les habite, tellement il est contraire aux principes fondateurs et à la définition même de toute démocratie de daigner "concéder" à un peuple occupé par une armée étrangère une indépendance seulement verbale et serve ab ovo d'un séraphisme vertueux; car, en échange d'une pseudo souveraineté trompeusement messianisée, il faudra que toutes les Mecque et les Jérusalem de la démocratie idéale feignent de légitimer le glaive du conquérant de ses potagers et paraître sanctifier en retour et à la face du monde le péché originel retrouvé d' une violation sans remède du droit international, ce qui revient à ruiner toute Justice, donc toute intelligence psychophysiologique de l'histoire et de la politique.
Puisque le mythe biblique de la chute dans le péché se retrouve et se répète au cœur de la démocratie narcissique et jusque sur les parvis du temple mondial de la Liberté, il appartient à la science du sacré de découvrir ce que les religions incarnées et vocalisées enseignent à la Clio des simianthropologues. Car voici que le peuple d'Israël tient la déesse Liberté par la barbichette. Mais la Pythie phonétisée des modernes n'est pas en reste: elle ne cesse de distiller à Jahvé et à son peuple de prédateurs et de profanateurs le venin de la justice et du droit qu'elle bafoue pourtant à plaisir et à la face du monde; et cette sacrilège éhontée joue à l'apothicaire de la sainteté de la démocratie planétaire.
N'est-il pas saisissant, le spectacle que présentent des dieux du langage se piégeant l'un l'autre à la fois physiquement et sur la scène de leurs gosiers, le spectacle des idoles se frappant réciproquement d'une paralysie tour à tour musculaire et morale, le spectacle de l'Histoire théologique et corporelle confondues dont l'anthropologie générale observe la mise en scène matérielle et la psychobiologie! Car ni le Jahvé vocalisé et son sceptre terrestre requinqué, ni la Pythie de la Liberté et son flambeau semi éteint ne sont visibles au narrateur traditionnel: il y faut le regard dédoublé de la prêtresse future de Delphes sur les peuples démocratiques et sur leurs effigies branlantes. Comment des concepts sacrés se tiennent-ils debout derrière des acteurs réputés les incarner? Observer le temps simiohumain dans le miroir des idoles verbales qui servent de réflecteurs géants à notre espèce, c'est se placer au cœur du fabuleux mental de tous les temps, c'est tenter d'élever au rang de sceptre de l'objectivité historique de demain un regard plus transanimal que celui d'hier sur la psychophysiologie des peuples.
17 - Le nouvel encrier de Clio
Puisque l'anthropologie générale ne saurait faire changer de stylo et d'encrier à Clio si elle ne lui mettait en mains une forme du récit historique appelée à engranger d'autres moissons de la mémoire et de l'écriture que celles du passé, l'une des récoltes de l'histoire de demain sera de mettre en lumière la logique interne qui commande les apories psycho-verbales de la condition simiohumaine. En l'espèce, le double spectacle de Jahvé et de son ombre ahanant côte à côte et de la Démocratie haranguant en vain sa propre effigie profanée mettent en scène des jumeaux et des rivaux du sacré simiohumain condamnés non seulement à se heurter de front, mais à s'entre-dévorer. Voyez combien la question de la légitimation de deux Etats celui d'Israël et celui du peuple palestinien met en évidence une aporie psychogénétique par définition: à savoir qu'un Etat palestinien ne sera jamais validable en droit international public, puisqu'il aura nécessairement été imposé par la force seulement à la démocratie aux mains jointes et qu'il se fonderait sur le renoncement définitif et inique de ce peuple à la possession de la terre de ses ancêtres.
L'anthropologie générale observera que la guerre entre l'ossature et la voix des dieux modernes est sans issue par nature, puisque seule une idole faussement partagée entre Israël et la Démocratie mondiale imposera à un droit international falsifié la pseudo légitimation d'un Etat privé d'avance des cordes vocales de la légalité, ce que M. Netanyahou vient, du reste, de souligner le plus théologiquement, donc le plus irréfutablement du monde en interdisant d'avance à un Etat palestinien physique de jamais posséder une armée, un territoire et une capitale tout en l'autorisant à exister grammaticalement.
18 - L'historicité simiohumaine est en vue
La science historique traditionnelle demeurait dans l'incapacité d'éclairer une aporie anthropologique inscrite dans la guerre des corps et des mots. Comment la Clio des ancêtres aurait-elle reçu la double effigie de deux idoles condamnées à raser les murs? Voyez comme le peuple juif en chair et en os et sa réplique dans le ciel de son langage se révèlent des guerriers et des conquérants intimement reliés entre eux, voyez comme Israël occupe pied à pied la Judée et la Samarie. Mais le fait même que les empires coloniaux du monde d'autrefois se sont effondrés sous le sceptre et la foudre du dieu américain, remet Jahvé et son peuple dans la situation déjà évoquée ci-dessus: "Quand le Seigneur votre Dieu vous amènera dans le pays où vous pénétrerez afin d'en prendre possession et qu'il chassera devant vous de nombreuses nations... alors, vous devrez les détruire, jusqu'au dernier. Ne concluez pas de traité avec eux, et n'ayez aucune pitié!" (Deutéronome 7:1-2).
Du coup, la cure de jouvence d'une idole biblique remise à la double école de ses armes et de son verbe éclaire l'anthropologie générale sur la dimension la plus fondamentale du tragique simiohumain, à savoir que la psychogénétique qui commande notre espèce scindée entre le concret et le diaphane et que nous avons vue s'illustrer dans la guerre sans issue entre nous-mêmes et les vastes troupeaux de nos esclaves se révèle la clé de toutes nos idoles physiques et verbales d'hier, d'aujourd'hui et de demain, de sorte qu'à bien nous observer dans les miroirs de nos dieux biseautés, nous découvrons les apories politiques qu'il appartiendra à l'anthropologie générale de demain d'éclairer et de placer au cœur de l'histoire. Comment le calame nouveau de Clio va-t-il maintenant tenter de décrypter les impasses originelles qui commandent les chromosomes de notre politique dans le temporel? Dans quel encrier la muse va-t-elle tremper sa plume afin de nous initier aux deux faces du simianthrope la face corporelle et la face onirique si les alliances et les tractations entre ces deux effigies doivent, comme il est dit plus haut, nous servir de plaques de forage de l'historicité proprement simiohumaine?
19 - Récompenser et punir
Qu'est-ce donc qu'une idole considérée à sa fonction politique fondamentale ? Peut-être est-ce choisir le mauvais chemin de tenter de la comprendre à l'écoute des siècles de ses moralistes, de ses poètes, de ses musiciens, de ses sculpteurs et modeleurs. Car à passer entre tant de mains expertes, mais trop attachées à la façonner à leur propre école, elle y perd l'essentiel de sa vocation psychobiologique. Ne la laissons pas égarer l'anthropologie générale sur des chemins de traverse. Certes, tous ses chantres et ses législateurs s'entendent sur la nécessité de lui conserver la capacité première de récompenser et de punir ses fidèles, parce qu'il n'est pas d'histoire et de politique qui puissent se passer d'un appareil des châtiments : seuls le transport du sujet dans un royaume des félicités éternelles ou sa chute dans les empires non moins éternels de la torture présentent une image fiable de l'idole faussement polyphonique, tellement l'affinement de ses mœurs et l'aiguisage de sa cervelle ne nous fourniront pas la balance à peser sa finalité politique la plus viscéralement répressive.
Quels sont donc les plateaux appropriés à la pesée de l'animal que sa divinité est appelée à dédoubler? Cette interrogation-là ne nous ramènera-t-elle pas tout droit à l'analyse précédente de nos relations physiques et vocalisées d'autrefois avec nos esclaves? Car enfin nous avons relevé que les relations de domination et de soumission que nous avons entretenues de tous temps avec la masse de nos serviteurs en chair et en os ont écrit l'histoire et la politique véritables de notre espèce depuis les origines. Nos tractations grammaticales et corporelles avec nos idoles obéiraient-elles au modèle de nos relations avec nos serfs? S'agit-il jamais d'autre chose que de préciser le degré de puissance physique et verbale que leur souverain du cosmos exerçait sur les esprits et sur les charpentes de nos ancêtres?
On n'a jamais vu un théologien d'autrefois ou d'aujourd'hui dont les cogitations ne seraient pas centrées sur le point focal de négocier les règles de notre obéissance, donc de préciser le degré d'indépendance que nous pouvons nous permettre à l'égard des prescriptions sonores et physiques de l'autorité divine. Toute l'histoire de nos orthodoxies et de nos hérésies n'est-elle pas jalonnée des débats et des disputes du simianthrope concernant sa liberté et sa servitude à la double école de sa foi et de son épouvante? "La crainte des dieux est le commencement de la sagesse" est un adage des Grecs. C'est donc que notre idole reproduisait fidèlement l'engramme de la puissance et de la faiblesse de notre langage d'autrefois face à nos subordonnés, c'est donc que l'omnipotence ou la faiblesse de son trône sont calquées sur nos soucis de maîtres aux sceptres incertains. Aujourd'hui encore, et à l'instar de notre idole, nous sommes sans cesse menacés de perdre quelques privilèges et apanages dont nos prédécesseurs se vantaient de faire un plus libre usage que nous.
20 - Aux sources anthropologiques du sionisme
Mais si l'anthropologie générale nous permet de nous observer et de nous connaître à l'école des sources psychobiologiques de notre messianisme de prédateurs et si nos idoles exercent donc la fonction centrale du politique celle de nous dédoubler entre le verbe illuminant qui sert d'Eden à notre encéphale biphasé et les tortures infernales dont nous sommes menacés
nous bénéficierons de quelques chances non seulement d'unifier ces quelques prolégomènes de toute anthropologie historico-critique, mais d'en étendre les applications à la connaissance généalogique de nos Etats, qui sont scindés, eux aussi, sur le modèle du souverain éternel de nos félicités et de nos châtiments dont nous avions construit l'ossature et la cervelle et dont nos ancêtres avaient installé le sceptre dans le vide du cosmos.
Mais si nous scannons le sionisme à la profondeur simianthropologique où Jahvé retrouve aujourd'hui sa vocation originelle, nous comprendrons son expansion territoriale à la profondeur où son double, à la fois musculaire et vocalisé, à savoir le peuple juif, obéira à la vocation meurtrière liée au squelette et à la parole de son idole ressuscitée ; et nous radiographierons le sionisme à la profondeur psychogénétique où Jahvé le conquérant entend réduire les disciples de Mahomet en esclavage; et si nous radiographions le sionisme à la profondeur simianthropologique où Allah armera, lui aussi, ses croyants de son glaive et de son verbe conjugués; et si nous radiographions les chromosomes du sionisme dans l'abîme où le Talmud et la Charia se disputent une créature qu'ils dédoublent glorieusement à l'école du sceptre et du glaive de leurs écrits respectifs, ne placerons-nous pas l'ascension du mont Carmel de saint Jean de la Croix, par exemple, dans la postérité anthropologique de Darwin et psychanalytique de Freud? Ne réconcilierons-nous pas les grands mystiques avec l'esprit critique en germe dans leur guerre à mort aux idoles de leur temps?
21 - L'athéisme des saints
Mais comment se fait-il que, pour apercevoir une idole en sa chair et en son esprit, il faille découvrir la sainteté de l'athéisme? L'Eglise fait silence sur l'athéisme des Me Eckhardt, des Nicolas de Cuses, de saint Thomas d'Aquin, de Jean de la Croix, qui se sont accomplis dans une poétique sommitale du "divin" qu'ils étaient devenus à eux-mêmes . Pourquoi l'un des plus purs orfèvres de l'athéisme sacré commence-t-il son Cantique spirituel par ce vers abyssal :"Adonde te abscondiste?" "Où t'es-tu caché?" Isaïe lui avait répondu vingt siècles plus tôt par le cri de fureur qu'il avait fait pousser au dieu de sa propre incandescence dont il était habité: "Je vomis vos sacrifices. Vos mains dégoulinantes de sang sur mes parvis, je les ai en horreur". Où se cachait-il, ce Jahvé-là ?
Peut-être les futurs simianthropologues du "Dieu" des singes conduiront-ils Jahvé dans la "nuit obscure" de Jean de la Croix où l'humanisme occidental demandera à Israël : "Etais-tu à Gaza en "ce jour vengeance où ton épée s'enivrait de sang" (Jé. 46,10), étais-tu à Gaza en ce jour de vengeance où "tu aiguisais l'éclair de ton épée" (Dt 32,40), étais-tu à Gaza en ce jour de vengeance où tu as mis "tous les habitants de la ville sous des herses et des haches? " (Samuel, 2), afin que "toute la terre sût qu'Israël a un dieu"?
Et si la méthode historique des modernes se mettait en mesure d'observer "Dieu" en tant qu'acteur de la pièce? Comment ce personnage se comporte-t-il sur le théâtre du monde? Car enfin, nous nous racontons la mise en scène de nos guerres de religion en aveugles si nous n'avons pas d'yeux pour la divinité en déplacement sur les planches et à laquelle nous offrons un cadavre en sacrifice, nous écrivons notre histoire en aveugles si les narrateurs de nos exploits sur les champs de bataille de nos songes sacrés n'ont de regard ni sur la victime sanglante censée se trouver étalée en chair et en os sur l'autel des chrétiens, ni sur le personnage céleste réputé tirer les ficelles de sa créature et qui la livre à des carnages aussi pieux dans un camp de ses théologiens que dans l'autre. Les Grecs se trouvaient bien empêchés de mettre Zeus ou Athéna en représentation sur le mode théologique, parce qu'ils ne se divisaient pas encore entre tel ou tel tableau de la sainteté des carnages qu'ils offraient à leurs idoles.
Le dieu unique nous a enseigné à nous diviser entre telle ou telle philosophie de notre encéphale, entre tels ou tels rituels de nos immolations; puis l'idée nous est venue d'incarner notre créateur et de lui faire endosser les diverses complexions de ses créatures. L'anthropologie critique prend acte de nos emprunts à notre ciel. Elle dit désormais à Clio: "Si ton globe oculaire ne réfléchissait l'Olympe des chrétiens sur sa rétine, tu ne disposerais d'aucun regard de l'extérieur sur l'aventure des évadés de la zoologie."
22 - Où Jahvé s'est-il caché ?
Il est grand temps que la radiographie de "Dieu" ouvre à la méthode historique et à la politologie modernes une fenêtre que Darwin et Freud avaient à peine entrebâillée; car un animal dont la cervelle se trouve dédoublée par sa divinité fournit au XXIe siècle un instrument de la connaissance de son histoire armée d'un tout autre recul que celui des Thucydide et des Tacite. Non seulement le champ de vision sur le passé et le présent de notre espèce se trouve élargi à l'école d'une problématique infiniment plus vertigineuse que celle dont disposaient les historiens anciens, mais la notion même d'impasse psychobiologique se trouve fécondée par la radiographie de l'aporétique générale qui nous enchaîne à nos idoles. Car "Dieu" non plus ne sait comment se faire obéir sans se faire craindre et comment se faire respecter sans s'armer jusqu'aux dents. Non seulement nos idoles sont taillées à notre image, mais elles sont coulées dans le moule de nos Etats, auxquels elles servent encore de nos jours de guides, de chefs et de boussoles.
Comment nos ancêtres ont-ils pu se piloter dans le temps de l'histoire sans avoir pris possession du moteur psychogénétique qui les propulsait sur leurs offertoires et qui les mettait à l'école de leurs meurtres sacrés? Comment se sont-ils passés du miroir que leurs idoles leur tendaient? Les futurs simianthropologues demanderont à Israël : "Où Jahvé s'est-il caché ?"
Le 29 juin 2009