
par Raphaël Besliu
Au beau milieu des ors républicains, un scandale fait grincer des dents : Ghislain M., surveillant au Louvre et passionné de porcelaines, avoue avec son complice Thomas M., intendant de table à l'Élysée, avoir dérobé et dissimulé plus d'une centaine de pièces de Sèvres, ces trésors manufacturés issus de l'excellence française. La quasi-totalité a depuis réapparu sur les étagères de l'Élysée.
Mais l'ironie est cinglante. Le 20 octobre, juste après le vol de huit bijoux de la Couronne au Louvre, Ghislain se lève lors d'une réunion interne et lance, furieux :
«Il faudrait un moment donné descendre de vos bureaux, vous n'êtes pas au contact des salles, il ne faut pas nous prendre pour des imbéciles !»
Lui, le justicier des couloirs, critiquant la direction pour sa déconnexion des réalités du terrain. Et voilà que sa propre ferveur pour ces objets impériaux vire à l'obsession criminelle, glissant sous le vernis mondain jusqu'aux failles béantes de la surveillance.
Des gardiens de nos palais qui se muent en pilleurs internes : la grandeur passée de la France en prend un coup sévère.
Ghislain M., le gardien du Louvre qui exposait son butin sous couvert de passion
Embauché comme surveillant au Louvre depuis novembre 2023, Ghislain menait un double jeu. Il se présentait en collectionneur éclairé, presque en héritier autoproclamé de la gloire française. Sa collection privée, portée à près de 500 objets centrés sur les porcelaines royales et impériales de Sèvres, était exposée au pavillon Henri II de Villers-Cotterêts jusqu'au 18 janvier.
Lui parle d'hommage :
«Ma passion est un hommage à ceux qui dans les ateliers de la manufacture de Sèvres ont fait rayonner l'excellence française».
Passion affichée, vol organisé : cette ferveur dévoyée suinte l'hypocrisie. Celui qui pointait du doigt la direction du Louvre exhibait déjà son emballement criminel en public. Triste ironie pour un système où les gardiens des palais se muent en fossoyeurs du patrimoine.
Thomas et Ghislain : un duo qui pille les trésors impériaux
Au cœur de cette affaire, Thomas M., intendant de table à l'Élysée chargé de veiller sur la vaisselle d'apparat, servait de pourvoyeur à Ghislain Les deux hommes avaient noué une complicité sordide : Thomas dérobait plus d'une centaine d'objets manufacturés à Sèvres, en dépôt au palais présidentiel, et les remettait à Ghislain, qui les entreposait chez lui.
Parmi ces rapines figure notamment une assiette du service Capraire, datant de Napoléon Ier, peut-être utilisée jadis dans ces mêmes salons de l'Élysée.
Ghislain affichait sans gêne sa ferveur pour ces reliques sur Instagram, posant fièrement devant la galerie d'Apollon au Louvre - ironie cruelle, à l'endroit même où des bijoux de la Couronne venaient d'être volés.
Son avocat, Thomas Malvolti, tente de minimiser les faits :
«Mon client n'est pas à l'origine de cette affaire. Au départ, on lui a proposé des pièces qui n'étaient pas d'une grande valeur, et il ne s'est pas posé de questions. Puis, la qualité montant en gamme, il a fini par se douter de quelque chose».
Preuve, selon lui, que Ghislain «n'est pas un trafiquant, mais a été emporté par sa passion».
Il s'agit plutôt d'une obsession servant à masquer un emballement criminel. Comment un employé de l'Élysée a-t-il pu écouler ainsi des trésors nationaux ? Ces failles béantes au cœur des palais du pouvoir traduisent une négligence élitiste, où le patrimoine français fond comme neige au soleil.
Le vol qui s'éternise et les aveux qui tombent
La vaisselle précieuse de Sèvres disparaissait des réserves de l'Élysée depuis au moins deux ans. C'est l'intendant général du palais qui a fini par porter plainte, alerté par l'accumulation des disparitions.
Thomas avait d'ailleurs démissionné en novembre, comme pour tenter de couper court à l'affaire. Mais les gendarmes de la SR de Paris n'ont pas lâché le dossier : mardi 16 décembre, ils ont interpellé Thomas dans le Loiret et Ghislain à Versailles.
En garde à vue, les deux hommes ont tout avoué. «Mon client s'est alors dit soulagé que cet engrenage dans lequel il était s'achève», témoigne Thomas Malvolti.
Ghislain écope d'une accusation plus lourde : recel de biens culturels classés. Interdit de rempiler au Louvre, il est absent de son poste de surveillant.
Du côté du musée, la prudence est de mise :
«Nous n'avons pas été saisis par la justice, et le musée ne dispose à ce stade d'aucune information sur les faits révélés par la presse. Si ces faits devaient être confirmés, l'établissement en tirerait naturellement toutes les conséquences».
Le jugement est renvoyé à février 2026, laissant le temps aux failles sécuritaires des palais républicains de s'exposer au grand jour.
Les trésors sauvés et les institutions sous le choc
Heureusement, le pire a été évité : une source proche du dossier l'assure, la quasi-totalité des pièces de porcelaine de la présidence avait été récupérée dès samedi, auprès du voleur lui-même, du receleur ou de tiers de bonne foi. Un soulagement dans ce naufrage du patrimoine républicain.
Du côté des Manufactures nationales de Sèvres et du Mobilier national, la vigilance reste de mise. «Une enquête est en cours à laquelle les équipes apportent leur concours», précise-t-on sobrement.
Quant à l'Association des amis du Pavillon Henri II, qui avait accueilli l'exposition de Ghislain M., le ton est au regret sincère. «Nous n'avions bien sûr pas connaissance de tout cela lorsque nous avons accepté de montrer sa collection», explique sa représentante.
L'association s'est d'ailleurs «rapprochée des autorités compétentes et s'est mise à leur disposition pour l'enquête».
source : Géopolitique Profonde