23/09/2010 lanouvellerepublique.fr  3 min #43136

Elle a accueilli en maternelle les enfants des gitans

Yvette Ferrand, ex-directrice de la maternelle Clérancerie à Blois. '' Qui saura la gaieté et la beauté de ces enfants d'hier si je ne le dis pas ? '' Elle témoigne.

Yvette Ferrand était directrice de l'école maternelle où sont allé Miguel, Luigi, Ringo, Daniel... Fidèle a son attachement à l'histoire, elle apporte un témoignage poignant. - - Photo NR

Voilà, c'était il y a environ 25 ans quand j'ai commencé à accueillir en maternelle les enfants des gitans sédentarisés à '' la Boire '' à Blois. Le premier avait 5 ans il s'appelait Miguel, il était très doux et effarouché, il avait fallu une grande détermination à sa mère pour le mettre à l'école maternelle car les mères gitanes sont farouchement attachées à leurs enfants et les pères l'interdisaient.
Miguel [était l'un des cousins] de Luigi, venu plus tard à l'école, après les frères de Miguel, Ringo et Daniel.
Daniel avait 4 ans, il ressemblait à Mowgli et quand il faisait chaud il se mettait tout nu dans la cour pour aller sous le robinet qui giclait sur lui pendant qu'il riait aux éclats. Son petit corps était couvert des cicatrices que la vie, violente et dangereuse, qu'ils menaient tous lui avait infligées ; leur soeur, c'était Manu, drue et rieuse, portant de sublimes anneaux d'or ciselé aux oreilles. Quand elle était épuisée elle s'endormait là où elle était : une fois ce fût dans le bac à sable de la cour.
Leur vie était difficile, ponctuée de descentes de gendarmes à l'aube dans les caravanes rassemblées sur un terrain inondable, équipé d'un unique robinet d'eau pour une douzaine de familles riches d'enfants ; oui ils volaient pour vivre, du métal, des fringues, de la nourriture. Mais ils n'ont jamais rien pris à l'école.
Je ne voyais guère les pères, mais les mères si, elles sont devenues de plus en plus confiantes, elles me racontaient leur vie de femmes, de mères passionnées toujours en attente de leur homme, jamais certaines de les voir rentrer entiers : la peur des ''schmitts'' (flics) est omniprésente. Elles savaient toutes que le destin de leurs fils passait par la prison.
Nous n'avons pas réussi à les faire entrer dans la lecture (cette génération-là) mais Daniel était venu inscrire ses deux petites filles peu avant ma retraite, il était fier et heureux de me dire qu'il travaillait et qu'il voulait « qu'elles apprennent ».
Ils sont tous pris dans cette terrible affaire. Ils n'avaient aucune chance de s'en sortir. Je ne le savais pas alors... Qui saura la gaîté et la beauté de ces enfants d'hier si je ne le dis pas ?
Quelle connerie la vie, mais quelle merveille aussi... Si j'avais été à Tours, je serais allée mardi à l'église de Saint-Gervais. Je les aimais.
[Yvette Ferrand ancienne directrice de la maternelle Clérancerie à Blois le 21 juillet 2010 à Dinéault en Finistère]

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