Par Christoph Dreier
Photo : Le leader du mouvement islamophobe allemand Pegida pose en Hitler La photo a été exhumée, mardi, par le tabloïd allemand "Bild".
Une campagne concertée pour légitimer les forces les plus réactionnaires est menée partout en Europe, alors que les classe dirigeante cherche à promouvoir le racisme antimusulman afin de justifier les guerres à l'extérieur et des attaques contre les droits démocratiques à l'intérieur. En Allemagne, ceci a pris la forme d'encouragement en faveur du mouvement droitier et chauvin, Pegida (les « Européens patriotiques contre l'islamisation de l'Occident »).
Dans le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) de lundi on pouvait lire, sous le titre « Nous sommes Dresde », un article de Reinhard Veser. L'article a abordé la décision de la police d'annuler une manifestation de Pegida prévue pour le même jour dans la capitale de Saxe, un Land allemand.
« Doit-on remplacer le slogan 'Je suis Charlie' par 'Nous sommes Pegida'? » demande Veser. Répondant à sa propre question, il dit, « La même chose vaut pour les initiateurs de Pegida et les manifestants de Dresde que pour les caricaturistes de Charlie Hebdo : l'attaque contre leur droit à la liberté d'expression est une attaque contre nous tous ».
Le collègue de Veser, Jasper von Altenbockum, a déclaré le lendemain dans le même journal que la démocratie avait déjà subi une défaite avant l'interdiction de la manifestation, car de « respectables partisans de Pegida avaient été traités de cibles de la 'culture' démocratique. »
Cette campagne du FAZ représente une nouvelle étape dans l'encouragement et le soutien du mouvement Pegida. Grâce à la phrase « Je suis Charlie », on exploite les attentats terroristes contre Charlie Hebdo dans le but de défendre la campagne antimusulmane de l'hebdomadaire au nom de la « liberté d'expression ». Actuellement, une supposée menace terroriste est utilisée pour donner à Pegida, un mouvement raciste et droitier, une allure présentable.
Ceci éveille plus que quelques soupçons face à la menace terroriste même. Dimanche, la police de Dresde a annoncé que toutes les manifestations seraient interdites le lendemain. L'existence supposée de menaces concrètes contre Pegida faites par des terroristes islamiques a justifié cette décision. La police n'a fourni aucun détail supplémentaire.
L'on apprenait plus tard que des organisations associées à Pegida avaient conclu un accord avec la police pour annuler les manifestations. Selon la Süddeutsche Zeitung, cette décision reposait sur un seul message Twitter qui menaçait vaguement l'organisateur de Pegida, Lutz Bachmann, ainsi que sur une information fournie par une agence de renseignement étrangère, dont le contenu est inconnu. Le journal fonde son article sur les affirmations d'un haut responsable de la sécurité qui avait participé à une conférence téléphonique avec le ministère de l'Intérieur de Saxe.
Selon la même source, ni le Centre commun de lutte antiterroriste (GTAZ), au sein duquel collaborent des représentants de quarante autorités de sécurité, ni l'Office fédéral de la police criminelle allemande (Bundeskriminalamt), n'avaient recommandé l'interdiction des manifestations. « Finalement, Dresde décida », a dit le responsable de la sécurité. « La manifestation fut annulée sur cette base ».
La police de Dresde, qui a interdit toutes les manifestations avec l'accord de Pegida, est connue pour ses liens avec l'extrême-droite. Récemment, elle avait atermoyé sur l'enquête à propos d'un meurtre d'un réfugié après une manifestation de Pegida.
La police n'a pas expliqué pourquoi l'ensemble de la manifestation a été annulé, et pourquoi la police a interdit toutes les manifestations - y compris les contre-manifestations - au lieu de fournir à Bachmann une protection personnelle. Même si l'on avait pris le message Twitter au sérieux, l'interdiction de la manifestation en général peut difficilement être justifiée au motif de protéger les manifestants.
Cette décision crée un dangereux précédent pour l'interdiction à l'avenir de manifestations et constitue une attaque flagrante contre les droits démocratiques.
L'accord d'annuler la manifestation Pegida est à la fois une tentative de faire des assaillants des victimes en pointant les projecteurs une fois de plus sur eux. Comme le montre clairement le compte rendu du FAZ, l'objectif est de minimiser l'hostilité de Pegida à l'égard des étrangers et la campagne que le mouvement mène contre l'islam pour le rendre présentable.
Les manifestations de Pegida ont été des mises en scène produites par les médias et les politiciens. Toutes petites au début, elles ont bénéficié d'une attention disproportionnée dans la presse. Les politiciens, du parti La Gauche (Die Linke) jusqu'à l'Union chrétienne sociale (CSU) ont dit comprendre les « préoccupations justifiées » des manifestants en leur proposant d'engager un dialogue.
La taille des manifestations a été systématiquement exagérée par la police et les médias. Un groupe de recherche dirigé par le sociologue Dieter Rucht est parvenu à la conclusion que près de 17.000 manifestants avaient participé lundi, non pas 25.000 comme l'avait signalé la police. Le nombre de manifestants à Leipzig aurait été doublée par la police pour en compter 4.000, alors que seuls 2.000 y avaient participé.
Il y a une large opposition populaire contre Pegida. Lundi, des dizaines de milliers de personnes aux quatre coins de l'Allemagne ont participé à des contre-manifestations. A Munich, il y avait 12.000 manifestants, 10.000 à Wiesbaden et autant à Bielefeld. Des milliers étaient également descendus dans la rue à Magdebourg, à Brunswick (Braunschweig, dans le Nord de l'Allemagne) et dans de nombreuses autres villes. Les différentes protestations organisées par des branches locales de Pegida n'avaient par contre attiré que quelques centaines de personnes.
Rucht a aussi conclu que la taille des manifestations de Pegida avait déjà atteint leur point culminant. « Pegida s'amoindrit progressivement et s'effiloche, » a dit Rucht. C'est à ce moment précis que les extrémistes de droite jouissent d'une nouvelle plateforme médiatique.
Dimanche soir, l'organisatrice de Pegida, Kathrin Oertel, a fait pour la première fois son apparition dans un talk-show télévisé. Le présentateur de l'émission, Günther Jauch, lui donna tout le temps de présenter ses points de vue fascisants. Elle profita de l'interview pour proclamer l'échec d'un comportement « multiculturel » irréfléchi, critiquer les prêcheurs de la haine dans les écoles islamiques et exiger le resserrement des restrictions au droit d'asile.
Les autres participants à la discussion étaient soigneusement sélectionnés. Personne ne l'a contrariée. Assis à ses côtés, il y avait Alexander Gauland, le vice-président du parti d'extrême-droite Alternative pour l'Allemagne (AfD). Il a dit que Pegida était un allié naturel de son parti, déclarant que la menace présumée de terrorisme contre Pegida représentait « le début de l'islamisation. » Il identifia ainsi l'islam au terrorisme sans autre forme de procès.
L'ancien président du parlement allemand, Wolfgang Thierse, (Parti social-démocrate, SPD) et le député du parlement, Jens Spahn, âgé de 34 ans, ont à tour de rôle courtisé Oertel en lui proposant d'amorcer des discussions. « L'on peut parler de tous les 19 points qui forment la base de vos manifestations, mais il faudrait d'abord s'asseoir autour d'une table, » a dit Spahn.
Frank Richter, qui dirige le Centre fédéral pour l'éducation politique (Bundeszentrale für politische Bildung), était également invité. Alors que les manifestations étaient encore toutes petites, Richter leur attribuait déjà de solides arguments, traitant les extrémistes de droite de « citoyens inquiets, qui se préoccupent de leur culture et de leur ville ».
Richter a reproché aux autres participants à l'entretien de n'avoir pas soutenu Pegida plus fortement. Il a dit que ceci témoignait « d'un nouveau scandale de la culture politique, » car des politiciens ne cherchaient pas le dialogue avec des « citoyens inquiets. »
Le lendemain du débat télévisé, Richter ouvrit les portes du ministère de la Culture de Saxe à Pegida pour une conférence de presse. Bachmann et Oertel ont pris l'occasion de répandre leur propagande dans un espace financé par les pouvoirs publics. Ce faisant, ils ont annoncé ne pas vouloir manifester indéfiniment, mais vouloir engager des discussions avec les politiciens et ainsi consolider leur mouvement.
Cet encouragement de l'extrême droite et de racistes antimusulmans est un sérieux avertissement. Tout comme le président français François Hollande, qui fait la cour au Front national, les éléments les plus réactionnaires en Allemagne sont mobilisés pour appliquer une politique extrêmement impopulaire d'attaques contre les programmes sociaux et de guerre à l'étranger.
Christoph Dreier
Article original, WSWS, paru le 21 janvier 2015
Voir aussi :
La légitimation de Marine Le Pen
[21 janvier 2015]