« (...) Or, vous vous basez pour cela sur tout ce qui dans la Bible parle de Terre promise. Quand on relit Le Livre de Josué, c'est épouvantable! C'est une série de génocides, groupe par groupe, pour en prendre possession! Alors foutez-nous la paix avec la parole de Terre promise!»
Réponse de L'abbé Pierre à Bernard Kouchner
En Occident après la chute de l'empire soviétique, l'islam est apparu comme le Satan de rechange De ce fait on présente l'islam comme étant intrinsèquement violent, on oublie de rapporter que les religions monothéistes ont connu à des degrés divers des périodes de ce type. L'abbé Pierre parle de Josué, Parlons des Josué des temps modernes, parlons des croisades, parlons de la Saint-Barthélémy; parlons des Cathares, des Templiers...Pourquoi singulariser l'islam.
La disparition brutale des journalistes de Charlie Hebdo a donné lieu à une véritable logorrhée journaliste et du même coup à une anamnèse où tout le «politiquement incorrect» a refait surface transcendant les clivages partisans et a permis du même coup de saisir la réalité du vivre-ensemble en France et plus largement en Europe s'agissant des allogènes constitués par les Arabes et les musulmans. Cette boîte de Pandore que l'on découvre n'est en fait que la traduction brutale d'un lent travail de sape de tout ce qui aurait pu constituer justement le ciment du vivre ensemble à l'ombre des lois de la République.
On croit aussi, à tort, que les instigateurs sont les Finkielkraut, Bruckner, BHL, et autres Zemmour et Houellebecq qui se font une réputation sonnante et trébuchante en calomniant et dressant les Français contre d'autres Français de confession ou de culture musulmane allant même jusqu'à prédire une France islamisée en 2022 à moins que comme le suggère fortement Zemmour dans ses écrits, on procède sans tarder à une «Reconquista» à la française pour prémunir les Français du grand remplacement.
Cela rappelle étrangement le sort des juifs du XIXe siècle qui eurent à faire face à la somme de toutes les peurs que 2000 ans de christianisme avec le credo de juifs déicides a fini par convaincre les Européens qu'il fallait aller à une solution finale qui dont les préludes furent les pogromes russes, polonais et autres vilénies espagnoles et françaises où les juifs n'avaient pas le droit d'enterrer leurs morts intra-muros à Paris. Bref des idéologues, de Renan à Chamberlain en passant par Arthur de Gobineau ont tenté de légitimer scientifiquement le mythe des races supérieures qui fut le fer de lance des conquêtes coloniales.
Comme l'écrit si bien Sophie Bessis à propos d'Hitler: «Le nazisme ne fut pas une rupture mais une continuité d'un état d'esprit qui était dans l'air» d'un racisme structurel ambiant de la fin du XIXe siècle. Mutatis mutandis les Musulmans du XXIe siècle risquent de vivre les mêmes affres que les juifs au XXe siècle. Cet apocalypse annoncé à l'endroit des Arabes musulmans, n'est pas le fruit d'une imagination débordante. Il plonge ses racines dans le choc millénaire qui a commencé avec le grand mensonge de la mort de Roland (lieutenant de Charlemagne) attribué à tort aux Sarrasins, il fut prouvé par la suite que c'était des montagnards basques... La Chanson de Roland fut le prélude à toute une série de textes et pièces contre les Maures. Et plus tard les Ottomans. Dans le Cid de Corneille le roi espagnol ameute ses troupes et annonce que les Maures sont là, ils cherchent à surprendre Séville et débarqueront la nuit...
Les racines de la répulsion des Français dits de souche à l'endroit des Arabes
Plus près de nous et d'une façon tout à fait insidieuse, voire raciste, Uderzo le concepteur d'Astérix s'en donne à coeur joie pour dépeindre sous un jour couleur de soufre les Arabes.
Rosa Llorens nous en parle: «Uderzo vient de publier un dessin en hommage à Charlie Hebdo, où on voit un Astérix plus hargneux que malicieux envoyer dans les airs d'un coup de poing (ça doit en démanger plus d'un) un ennemi dont on ne voit que les babouches. (...) Ainsi donc, les Arabes sont les occupants dont les braves Gaulois doivent se débarrasser: quel nom (ou adjectif) mérite donc ce dessin? Mais ce manque de sympathie pour les Arabes n'est pas, chez Uderzo, nouveau; relisant par hasard, il y a quelques mois, L'Odyssée d'Astérix, je m'étais déjà sentie choquée, et, dans l'ambiance actuelle, on ne peut que voir dans cet album une illustration de la thèse d'Edward Saïd, l'universitaire américano-palestinien, dans L'Orientalisme: la plupart des productions occidentales, littéraires ou cinématographiques, diffusent les mêmes stéréotypes dévalorisants sur les «Orientaux», c'est-à-dire les Arabes, d'autant plus nets qu'ici ils s'opposent à un parti-pris tout aussi systématique, mais valorisant à l'égard des juifs.»(1)
«Rappelons l'histoire: Panoramix attend une livraison d'huile de roche, ingrédient indispensable pour la potion magique. Astérix et Obélix doivent donc aller chercher l'huile de roche à la source, en Mésopotamie (Irak). (...) nous arrivons en Judée «et je vous promets une terre plus hospitalière... Voici la terre promise, Astérix!» Et on nous offre une visite guidée d'une Jérusalem qui a tout d'une ville de Bisounours, où tous les juifs sont gentils et aident spontanément nos deux héros, pour embêter l'occupant romain, (...)Jérusalem est en effet ici intégralement juive(...) Quand les Gaulois quittent Jérusalem, l'ambiance change du tout au tout: fini la paisible ambiance patriarcale: les territoires non-juifs sont assimilés, sans autre nuance, au Désert, et nos héros se trouvent pris au milieu de volées de flèches, lancées par des peuplades archaïques, à l'accoutrement barbare, et en guerres constantes les unes contre les autres; Akkadiens, Sumériens, Hittites, Mèdes et Assyriens se succèdent, ils sont tous aussi primitifs et antipathiques les uns que les autres. (...) Voilà donc la vision de la région qu'Uderzo diffusait auprès de ses jeunes lecteurs, en 1981, alors que les Palestiniens résistaient à l'occupation et à la prédation de leur pays par les Israéliens, et un an avant les massacres israélo-libanais des Palestiniens de Sabra et Chatila.» (1)
Qui étaient ces Arabes musulmans souffre- douleur?
Les Arabes et plus largement ces musulmans- malgré les dénis d'écrivaillons comme Sylvain Guggenheim- ont apporté leur part d'humanité et de culture à la civilisation universelle: «On dit que les Arabes sont un ancien peuple sémitique dont le barycentre fut l'actuelle Arabie saoudite. (...)Quand on se rend compte de toute l'étendue des domaines que les Arabes embrassèrent dans leurs expérimentations scientifiques, leurs pensées et leurs écrits, on voit que sans les Arabes, la science et la philosophie européennes ne se seraient pas développées à l'époque comme elles l'ont fait. Les Arabes ne se contentèrent pas de transmettre simplement la pensée grecque. Ils en furent les authentiques continuateurs. Le Coran énonce que l'encre des savants est plus précieuse que le sang des martyrs. S'agissant de la langue, l'illustre savant Jacques Berque explique dans Les Arabes et nous que la fonction de la langue pour les Arabes est différente, supérieure à celle qu'elle remplit pour les Occidentaux. Il donne un exemple: ainsi, en arabe, les mots se rapportant à l'écrit dérivent tous de la racine k.t.b.: Maktûb, maktab, maktaba, kâtib, kitâb. En français, ces mêmes mots sont: écrit, bureau, bibliothèque, secrétaire, livre. Le mot arabe reste cramponné à ses origines. Il tire substance de ses quartiers de noblesse.» (2)
Le deux poids : deux mesures de la liberté d'expression
L'historien Schlomo Sand explique la dérive du journal qui n'ose pas s'attaquer aux autres mais que le filon musulman est sans danger jusqu'à ce jour fatidique du 7 janvier qui fut la somme de toutes les exaspérations et de toutes les frustrations. Il écrit: «(...) Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales? Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j'avais vues bien antérieurement, m'étaient apparues de mauvais goût (...) Dans la majorité des caricatures sur l'islam publiées par l'hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j'ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction par Charlie des caricatures publiées dans le journal danois m'a semblé abominable. Déjà, en 2006, j'avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d'un turban flanqué d'une grenade. Ce n'était pas tant une caricature contre les islamistes qu'une assimilation stupide de l'islam à la terreur; c'est comme si l'on identifiait le judaïsme avec l'argent! On fait valoir que Charlie s'en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c'est un mensonge. Certes, il s'est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c'est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d'un usurier à l'air roublard, installé au coin d'une rue. (...) Je suis pour la liberté d'expression, tout en étant opposé à l'incitation raciste.» (3)
«En 1886, poursuit l'historien Sclomo Sand fut publiée à Paris La France juive d'Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre: Soumission, «La France musulmane» de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable «best-seller» de la fin du XIXe siècle; avant même sa parution en librairie, Soumission était déjà un bestseller! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d'une large et chaleureuse réception journalistique. Houellebecq sait qu'au début du XXIe siècle, il est interdit d'agiter une menace juive, mais qu'il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. (...) Houellebecq, invité, avec tous les honneurs, à la veille de la sortie de son livre participe à la diffusion de la haine et de la peur. Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l'Europe: (...) Aujourd'hui, et tout particulièrement après ce terrible massacre, ma sympathie va aux musulmans qui vivent dans les ghettos adjacents aux métropoles, qui risquent fort de devenir les secondes victimes des meurtres perpétrés à Charlie Hebdo et dans le supermarché Hyper casher (...)» (3)
La réalité sociologique des beurs
Il est connu qu'une personne appartenant à une minorité a quatre fois plus de risques d'être au chômage qu'un Français dit «de souche». Véronique Anger explique cela par la peur et par le comportement de meute vis-à-vis de celui qui est différent: «Cette expression 'de souche" me fait doucement rigoler car si les Français qui se prétendent 'de souche" avaient la curiosité -ou l'honnêteté- de rechercher leurs origines ethniques dans un test ADN, ils seraient nombreux à tomber des nues en découvrant qu'ils ont du sang coloré dans les veines... (...) La question est: qu'est-ce qui 'bloque"? J'ai le sentiment que la réponse est liée à nos comportements 'de meute". L'humain est un animal social et il a besoin de se situer dans la meute que représente son petit (ou vaste) monde à lui. Nous acceptons plus facilement d'intégrer de nouveaux venus à notre cercle familial, amical ou professionnel, si nous ne nous sentons pas menacés. Or, nous vivons dans des mondes perpétuellement en crise. Le philosophe Michel Serres parle, à juste titre, de ' mise en scène de la peur" dans nos sociétés. Même en temps de paix, les peurs sont légion (peur de la maladie, peur de souffrir, peur de l'avenir, peur de manquer: menace de perte d'emploi chez les seniors, difficultés à trouver un emploi chez les jeunes, compétition exacerbée pour tout le monde, insécurité économique ou physique) ».(4)
« Quand on a peur de manquer, on est moins disposé au partage et on favorise donc son groupe d'appartenance, sa 'meute" (ses enfants et le cercle familial élargi puis le groupe social, ethnique, religieux,... auquel nous appartenons. (...)Et faire France a un sens aussi pour tous ces enfants issus de l'immigration qui en ont assez qu'on leur demande, sous prétexte de la couleur de leur peau ou de leur nom à consonance étrangère: «De quelle origine es-tu?» quand ils sont nés à Lyon ou à Marseille et, parfois, ne parlent même pas la langue de leurs parents et qu'ils se sentent Français à part entière».(4)
Les autres raisons de la malvie
Une belle lettre que celle du prix Nobel Jean Marie Le Clezio à sa fille, dans laquelle il explique, en creux les racines de la mal-vie des Français musulmans: «Tu as choisi de participer à la grande manifestation contre les attentats terroristes. Je suis heureux pour toi que tu aies pu être présente dans les rangs de tous ceux qui marchaient contre le crime et contre la violence aveugle des fanatiques. (...) Maintenant il importe de ne pas oublier. Il importe - et cela revient aux gens de ta génération, car la nôtre n'a pas su, ou n'a pas pu, empêcher les crimes racistes et les dérives sectaires - d'agir pour que le monde dans lequel tu vas continuer à vivre soit meilleur que le nôtre. (..) J'entends dire qu'il s'agit d'une guerre. Sans doute, l'esprit du mal est présent partout, et il suffit d'un peu de vent pour qu'il se propage et consume tout autour de lui. Mais c'est une autre guerre dont il sera question, tu le comprends: une guerre contre l'injustice, contre l'abandon de certains jeunes, contre l'oubli tactique dans lequel on tient une partie de la population en ne partageant pas avec elle les bienfaits de la culture et les chances de la réussite sociale ».(5)
Jean Marie Le Clézio nous convainc que cette situation aboutit naturellement à la situation actuelle « Le premier souffle de vengeance qui passe les a embrasés, et ils ont pris pour de la religion ce qui n'était que de l'aliénation. Trois assassins, nés et grandis en France, ont horrifié le monde par la barbarie de leur crime. Mais ils ne sont pas des barbares. Ils sont tels qu'on peut en croiser tous les jours, à chaque instant, au lycée, dans le métro, dans la vie quotidienne. A un certain point de leur vie, ils ont basculé dans la délinquance, parce qu'ils ont eu de mauvaises fréquentations, parce qu'ils ont été mis en échec à l'école, parce que la vie autour d'eux ne leur offrait rien qu'un monde fermé où ils n'avaient pas leur place, croyaient-ils. A un certain point, ils n'ont plus été maîtres de leur destin. (...)Il faut remédier à la misère des esprits pour guérir la maladie qui ronge les bases de notre société démocratique.»(5)
Un autre beau texte aussi que celui du réalisateur Luc Besson qui résume mieux que mille discours la condition des jeunes et les incite à s'imposer démocratiquement avec la force de l'esprit : «Mon frère, si tu savais combien j'ai mal pour toi aujourd'hui, toi et ta belle religion ainsi souillée, humiliée, montrée du doigt. (...)On est des millions à t'aimer et on va tous t'aider. Commençons par le commencement. Quelle est la société que l'on te propose? Basée sur l'argent, le profit, la ségrégation, le racisme. Dans certaines banlieues, le chômage des moins de 25 ans atteint 50%. On t'écarte pour ta couleur ou ton prénom. On te contrôle dix fois par jour, on t'entasse dans des barres d'immeubles et personne ne te représente. Qui peut vivre et s'épanouir dans de telles conditions? (...) On ne peut pas construire son bonheur sur le malheur des autres. Ce n'est ni chrétien, ni juif, ni musulman. C'est juste égoïste, et ça entraîne notre société et notre planète droit dans le mur. Comment changer cette société qu'on te propose? En bossant, en prenant un crayon plutôt qu'une kalach'. (...) Prends le pouvoir démocratiquement, aide tous tes frères. (6)
Manuel Valls dans son dernier discours parle d'apartheid social pour expliquer le décrochage des Français des banlieues. Cela n'a pas été du goût de la droite qui tente de lui faire un procès d'intention
En définitive, les «beurs» ont une façon à eux de résumer leur situation en deux phrases: «Tu peux gagner des médailles d'or pour la France, pour les flics tu resteras toujours un macaque. Tu peux gagner la Coupe du monde pour la France, pour les flics tu resteras toujours un raton.» Les Français musulmans ont du souci à se faire, leur intégration apaisée dans le contexte actuel, est une vue de l'esprit du fait du travail de sape du vivre-ensemble. Pourtant, ces Français en théorie, à part entière tiennent à vivre dignement à l'ombre des lois de la République.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
(1)R Llorens oulala.info
(2)C.E. Chitour http://www.mondialisation.ca/les-arabes-ces-mal-aimes-voyage-au-coeur-de-lintolerance/5372825 19 mars 2014
(3)Shlomo Sand blogs.mediapart.fr
(4) veroniqueanger.blogspot.com
(5) lemonde.fr
(6)Lettre de Luc Besson à ses frères musulmans! www.partiantisioniste.com/actualites/2208
Article de référence : http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur _chitour/209306-pourquoi-tant-de-haine.html