Le 13 de la lune de Zilcadé Uzbek à Rhedi,
Les esclaves sont une marchandise dont le prix de vente et d'achat est coté à la bourse du sang. Les simianthropologues de Paris ont posé les fondements d'une psychophysiologie de l'hémoglobine de la servitude. Leur science des piques et des chapeaux de la vassalité progresse à grands pas. Elle a cessé de tracer les contours de cette discipline ; elle en est à consolider son assise. Je t'en communique quelques lois.
Sache qu'il existe plusieurs catégories d'esclaves. Pour découvrir la complexion propre à chaque espèce, il te faudra en immerger les spécimens, même les plus originaux d'apparence, dans le bassin de leur fonction générale et de leur destination universelle, tellement aucun esclave ne présente à titre individuel des caractéristiques utiles à la connaissance anthropologique du grand marché de la servitude qu'on appelle l'Histoire.
M. Tony Blair, par exemple, vient de se trouver expédié en Palestine dans un colis du quartet. Mais le quartet n'est que l'une des casquettes de la Maison Blanche. Aux yeux d'une science simianthropologique du rôle que ce type d'esclaves joue dans l'aventure de l'espèce, dis-toi bien qu'il demeurerait anecdotique, donc sans intérêt méthodologique, de relever que l'ex-Premier Ministre de la Grande Bretagne appartient à l'espèce bondissante et gambadante de l'esclave d'apparat, dont le rôle est seulement de marier le rire avec le cynisme, la gaieté avec la piété tartuffique, le scoutisme anglais avec la pavane des pseudo acteurs du monde. L'Ecole n'est ni mémorialiste, ni chroniqueuse. Certes, ce type d'esclaves présente une valeur paradigmatique en ce qu'il incarne une catégorie bouffonne et prêcheuse de la servitude. Mais sa fonction est seulement de donner le change sur le devant de la scène. Il existe des stars de l'esclavage dont la mission n'est que de multiplier les faux-semblants de la liberté.
Mais tu penses bien que les profondeurs simiohumaines de la politique et de l'histoire que symbolise et qu'incarne l'esclavage en général intéresse la réflexion de l'Ecole de Paris à un tout autre titre; car elle y voit la démonstration éclatante de ce que le réel et le signe se présentent toujours intimement confondus dans le temps des nations. Les acteurs que cette espèce produit sur la scène ne deviennent parlants qu'à l'heure où le symbolique compénétre leurs corps. A ce titre, l'esclave bien harnaché et en tenue de parade devient un document moins paradigmatique, donc moins symbolique sur le théâtre du monde, qu'une institution vassalisée au service d'une forme moderne de l'esclavage politique.
Considère un instant le pseudo sommet de Charm-el-Cheikh, où M. Olmert a répété que " l'âme d'Israël aspire à la paix pour le bien des générations à venir " et que le peuple juif ne veut pas diriger la " Judée et la Samarie ". Où l'esclave se cache-t-il dans ce cas ? N'est-ce pas la problématique biblique que charrie ce langage qui se révèle subrepticement vassalisatrice? N'est-ce pas le masque théologique que le maître arbore en catimini qu'il appartiendra à l'anthropologie historique de mettre en évidence ? Mais l'étude de la signalétique et de la symptomatologie du langage de l'esclave mettra en évidence une catégorie d'acteurs de la souveraineté et de la servitude du monde fort distincte de celle dont un Tony Blair arbore les chamarrures. Ce dernier ne joue pas encore vraiment dans la pièce. Il gesticule avant le lever du rideau, il donne le change, il retarde les trois coups, il ne sait même pas que la représentation va commencer. Son accoutrement et sa livrée détournent l'attention du personnage symbolique dont il porte la souquenille, tandis que M. Olmert rend visible aux yeux de l'Ecole un type d'esclaves dans lequel une société entière et même une civilisation pourront se réfléchir ou se mirer. La vassalité collective ne plante pas le chapeau de Gessler sur les places publiques de la servitude et ses Guillaume Tell demeurent cachés dans la foule. Quand les flèches et les arbalètes paraissent au grand jour, le tyran est déjà nommé, cerné, vaincu.
Observons donc l'esclavage véritable, celui dont l'uniforme demeure invisible et qui se pare seulement des vêtements et de la perruque d'un personnage qui s'appelle l'Occupation ; car cet acteur collectif et pourtant caché aux yeux de tous dicte chaque mot et chaque geste à une multitude d'acteurs de leur propre servitude . L'Occupation est donc un personnage historique et politique soustrait aux yeux du commun des mortels, ce qui explique que son nom ne soit jamais prononcé. La preuve en est qu'à Charm-El-Cheikh, l'Occupation a parlé d'un " allègement des restrictions ", l'Occupation a suscité l'espoir d'une " vie moins terrorisée " au sein d'une " population en détresse ".
L'Ecole observe que l'Occupation est un héros de Molière ou de Rabelais, et que ce personnage promet de rendre aux Palestiniens une partie des taxes douanières qu'il leur a volées. Tu remarqueras que cet acteur invisible déplacera quelques barrages routiers dont les mauvais esprit prétendent qu'il empêche les habitants de se déplacer d'un village à l'autre. A ce titre, il promet de libérer théâtralement deux cent cinquante prisonniers sur les onze mille qu'il détient.
L'Occupation illustre la fusion entre la forme et la figure - donc entre le corps et le symbole - d'un personnage historique à la fois tout cérébral et armé d'une ossature. Pourquoi cet acteur est-il à la fois incarné et insaisissable ? Qu'en est-il de la consubstantialité de Clio et de l'esclave ? Pourquoi personne ne voit-il l'Occupation dans sa dégaine et son pas? M. Olmert tient le rôle d'un dirigeant pétri dans la pâte de l'Occupation. Mais l'Occupation se rencontre dans Swift ou Shakespeare. Elle n'est visible que sur les planches de l'histoire. Pourquoi M. Mahmoud Abbas ne semble-t-il s'apercevoir ni de la nature, ni des atours, fringues, guenilles, hardes et harnais de l'Occupation ? L'identité de l'Occupation pose un problème anthropologique aux opticiens de l'histoire, parce qu'elle se veut tellement privée de lunettes qu'elle en vient à dessiner et à incarner sa propre cécité. Comment M. Olmert en est-il l'acteur ? Faut-il réviser le paradoxe du comédien de Diderot parce que l'Ecole aurait introduit le tragique dans la comédie ?
Tu remarqueras que si l'Occupation est un acteur tout ensemble réel et mental de l'histoire, elle enchaîne l'esclave à son char sans même qu'il s'en doute, sinon il se lèverait, marcherait droit sur M. Olmert, le toiserait de haut et lui demanderait " pour qui il se prend ", tellement la langue française est construite de telle façon qu'elle ne cesse de faire signe aux corps dont elle émane, sans doute afin de leur remettre les pieds sur terre. Car M. Olmert se trompe visiblement de personnage et de domicile quand il se prend littéralement pour un autre. Mais tu remarqueras que l'Ecole a fait débarquer la double question du statut métaphorique et physique de l'esclave et du maître au cœur de la science anthropologique de l'histoire et de la politique, tellement nous voici contraints de nous demander pourquoi le maître se prend pour le maître et l'esclave pour l'esclave, dès lors que tous deux passent à côté de leur identité véritable, à cette différence près, mais de taille, que si aucun des deux ne sait qu'il se trompe à se confondre à son habillage politique, comment se fait-il que, de deux identités aussi déguisées l'une que l'autre, l'une impose aussitôt sa vêture à son ombre d'interlocuteur ? Pourquoi M. Abbas capitule-t-il en un clin d'œil devant le fantôme qui marche sur lui d'un pas décidé et qui s'appelle l'Occupation? Pour le comprendre, observe que la simianthropologie du maître et de l'esclave concerne tout autant l'Europe asservie que la Palestine ; car tu te demandes désormais comment il se fait qu'au sommet du G8, en juin 2007, les chefs d'Etat du Vieux Continent, y compris celui de la France du 14 juillet 1789, aient feint de débattre le plus sérieusement du monde de problèmes politiques pourtant miniaturisés d'avance par l'Occupation et censés les diviser tragiquement ou les rassembler dans un Eden de leurs broutilles. Pourquoi ne semblent-ils pas savoir davantage que M. Abbas qu'ils se trouvent placés sous la surveillance de gigantesques bases militaires ? Tu sais que les garnisons aux cent yeux de l'occupant enserrent leur territoire, tu sais qu'un César les a placés sous tutelle de Londres à Bucarest, de Varsovie à Madrid, de Berlin à Rome. Mais ils ne le voient ni ne le savent, parce qu'ils portent tous au doigt l'anneau de Gygès qui s'appelle l'OTAN. Les historiens futurs se prendront la tête à deux mains au spectacle de la civilisation de la mémoire que l'Occupation aura placée un siècle durant sous un protectorat militaire et politique spectaculaire, alors qu'aucun ennemi ne menaçait ses frontières. Comment la science historique de demain n'aurait-elle pas pour tâche de résoudre une énigme aussi hallucinante que les allées et venues sur le théâtre du monde d'un personnage invisible, mais polymorphe, omniprésent et aveugle - l'Occupation ? Tu sais que le petit écran a permis à toute la population du globe d'assister en direct au jeu des mimiques et des grimaces des acteurs cravatés du G8. Or, ce phénomène gravissime a été observé depuis longtemps chez les chimpanzés : je t'ai raconté les derniers progrès de la simiologie, qui ont permis de démontrer que les spécimens de chaque horde s'inclinent avec respect devant les spécimens aux mines sévérissimes d'une autre horde et lui font allégeance.
Voir : Les origines animales du politique
1 - Politologie et Simianthropologie, 12 février 2007
2 - Les masques angéliques de la politique, 21 février 2007
Pour l'instant, l'école de Paris en conclut qu'une Europe dont l'occupation de son immense territoire par l'OTAN reproduit celle de la minuscule Palestine est le fruit naturel et trompeusement visible de la domestication intérieure d'une civilisation. Il en résulte que l'observation au téléobjectif ou au microscope des Etats-laquais en livrée ne saurait fournir à la simianthropologie de la servitude la vraie clé de la connaissance ultime de la nature de l'esclave et de sa fonction universelle dans la politique et dans l'histoire du monde ; car si l'Ecole est à la fois secrète et illustre et si elle règne dans l'ombre sans jamais paraître en public, c'est qu'elle ne se laisse pas tromper par des démonstrations qui crèvent par trop les yeux, comblent la vue à plaisir et remplissent de bruit les oreilles. Les fausses preuves, dit-elle, sont spectaculaires et tonitruantes, les vraies sont silencieuses comme des félins à l'affût d'une proie imprudente. Qu'est-ce donc qu'un esclave exposé au soleil, qu'est-ce qu'un maître casqué de ténèbres? C'est ce que je serai davantage en mesure de t'exposer à la suite de mon entretien de demain avec un maître de l'Ecole.
Le 13 juillet 2007