Par Anthony Torres et Alexandre Lantier
6 décembre 2019
Hier 1,5 millions de personnes ont fait grève et ont manifesté pour dénoncer la réforme des retraites de Macron, et le diktat des banques imposé par le «président des riches». C'était la plus grande grève en France depuis de nombreuses années. Elle est massivement soutenue dans l'opinion, 7 Français sur 10 étant favorables à une lutte contre la politique austéritaire et ultra-répressive menée par Macron.
Cette mobilisation fait partie d'une résurgence mondiale de la lutte des classes contre les inégalités économiques et à la répression militaro-policière. Les travailleurs en lutte en France rejoignent des mouvements de masse en Irak, au Liban, au Chili, en Colombie, à Hong Kong, en Algérie et les enseignants et les travailleurs de l'automobile américains comme les cheminots britanniques qui ont fait grève. En France cheminots, enseignants, et travailleurs des transports parisiens, des hôpitaux, des aéroports, de l'énergie, et des ports, ainsi que des étudiants et des avocats se sont mobilisés.
La grève a de nouveau illustré l'énorme puissance de la classe ouvrière en lutte, alors même que la mobilisation était surtout cantonnée dans des secteurs du service public.
Le trafic ferroviaire était à l'arrêt dans toute la France, avec un TGV et un Transilien sur 10 et de 3 à 5 pour cent des TER en circulation. Selon la direction de la SNCF, 85,7 pour cent des conducteurs et 73,3 pour cent des contrôleurs se sont déclarés grévistes. Dans certains cas, les quelques trains qui circulaient étaient vides, car les voyageurs n'avaient même pas essayé d'acheter des billets.
En région parisienne, les transports en commun étaient eux aussi quasiment à l'arrêt. La RATP a annoncé un trafic interrompu sur 11 des 16 lignes de métro et un trafic partiel sur les autres à part sur les deux lignes autopilotées, et un trafic très limité sur les RER et les bus.
Les dépôts pétroliers étaient bloqués et les travailleurs des raffineries étaient en grève, menaçant une pénurie de carburant à travers le pays. Ceci a donné lieu à des scène de panique dans les stations essence en particulier en Bretagne et en région parisienne.
Selon les chiffres communiqués par le secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique Olivier Dussopt lors d'un point presse, 32,5 pour cent d'agents de la fonction publique de l'Etat sont en grève (y compris l'éducation, la Poste et les ex-agents de France Télécom). La mobilisation dans l'éducation contre la réforme des retraites se traduit par un taux de grévistes de 51,15 pour cent dans le primaire et de 42,32 pour cent dans le secondaire (collèges et lycées). Beaucoup d'enfants sont restés chez eux ou ont dû se faire accueillir par les communes.
Le trafic était perturbé dans de nombreux aéroports dont Paris, Nice, Marseille, Lyon, Toulouse et Bordeaux en raison de grèves de multiples catégories de personnel y compris les aiguilleurs du ciel dans le Midi.
La grève continuera dans plusieurs secteurs dans les journées à suivre. Selon les syndicats, le trafic ferroviaire serait perturbé jusqu'à lundi et les compagnies aériennes ont affirmé qu'elles réduisaient pour vendredi 20 pour cent de leur vols. De nombreux enseignants seront en grève aujourd'hui. Une organisation professionnelle de transport routier, lOTRE, a annoncé ce hier soir, qu'elle veut mener 15 opérations de blocage demain pour protester contre la hausse de la fiscalité du gazole décidée par le gouvernement.
De larges cortèges de manifestants ont défilé lors de centaines de rassemblements à travers la France. Les syndicats ont annoncé 250 000 manifestants sur Paris, 150 000 sur Marseille, 100 000 sur Toulouse ou encore 40 000 à Lille, ainsi que des dizaines de milliers à Montpellier, Bordeaux, et Nantes et quelque 285.000 personnes dans une quarantaine d'autres villes. Dans certaines villes, les autorités ont refusé de communiquer le moindre chiffre.
Tout en gardant leurs distances des appareils syndicaux, des figures connues du mouvement des «gilets jaunes», dont Eric Drouet, Priscilla Ludosky et Maxime Nicolle, avaient appelé à rejoindre les manifestations.
Des échauffourées ont éclaté entre les forces de l'ordre et les manifestants à Lyon, Nantes, Rennes et à Paris, où les forces de l'ordre ont empêché de larges sections du cortège de s'avancer avant d'attaquer les manifestants place de la République et place de la Nation. En dehors de ces villes, les manifestations étaient plutôt calmes.
Le gouvernement Macron avait pourtant prévu un dispositif répressif massif, comparable à ceux déployés contre les «gilets jaunes» pendant les plus grandes manifestations de décembre 2018 - un fait sans précédent pour des manifestations sociales organisées par les syndicats.
Selon L'Express, «au total, 108 unités de forces mobiles seront déployées à travers la France: 60,5 EGM et 47,5 CRS. Elles seront massivement affectées, outre la région parisienne, aux zones sud, sud-est et est, laissant le nord, l'ouest et le sud-ouest plutôt dégarnis. 180 équipages motorisés des BRAV, ou brigades de répression de l'action violente, seront déployés. Du côté des moyens techniques, six canons à eau seront susceptibles d'entrer en action et trois drones survoleront Paris.»
Un haut gradé des forces de l'ordre s'est dit «très inquiet» de la manifestation parisienne et a carrément déclaré que «nous sommes dans une phase pré-insurrectionnelle».
Sur Paris les forces de l'ordre ont mobilisé des blindés, des lances à eau, ainsi que des soldats et des policiers armés de fusils d'assaut pour barricader l'Elysée et d'autres locaux de l'État. Entre 6 000 et 8500 policiers étaient mobilisés, et à 20h on comptait 90 interpellations dont 71 gardes à vue, ainsi que 11.490 personnes contrôlées.
La grève le 5 décembre marque une nouvelle étape dans la lutte des classes, avec la radicalisation de couches de plus en plus larges de la classe ouvrière internationale. L'appel pour la grève était parti du rail, où les syndicats craignaient d'être débordés suite à deux grandes grèves sauvages des cheminots contre la privatisation partielle de la SNCF et la casse du statut des cheminots. Une fois l'appel lancé, des couches bien plus larges de travailleurs se sont engouffrées dans la brèche ainsi ouverte.
Cette mobilisation témoigne du large rejet parmi les travailleurs de la politique de l'Union européenne, avec le gel des salaires et l'attaque drastique sur les retraites, alors que Macron élimine les régimes spéciaux et veut passer à une retraite «par points» sans valeur monétaire stable. La colère sociale continue à monter après l'éruption du mouvement des «gilets jaunes». L'État n'a réagi à leurs revendications d'égalité sociale et de meilleurs conditions de vie des travailleurs que par du mépris, en planifiant le sabordage des retraites et du système de santé.
Une large opposition des travailleurs se profile contre l'ordre social, ainsi qu'une nette défiance envers les syndicats qui négocient avec Macron et qui n'ont organisé aucune grève majeure contre lui depuis son élection en 2017.
Plus largement, aucun des problèmes visés par la mobilisation aujourd'hui n'est un problème national. Tous - les bas salaires et l'austérité sociale, l'exploitation de travailleurs surmenés au travail, les inégalités, la répression militaro-policière de opposition au diktat des banques - sont des problèmes internationaux, qui ont mobilisé des dizaines même des centaines de millions d'ouvriers en lutte en 2019. Leur solution nécessitent l'expropriation de cette aristocratie finanancière de milliardaires qui dominent la vie économique via les marchés financiers internationaux.
Cette situation appelle à une rupture des travailleurs avec les appareils syndicaux et la construction de comités d'action indépendants des syndicats, afin de pour prendre leurs propres luttes en main et de les relier aux luttes qui émergent à travers le monde.
Le «dialogue social» des syndicats avec l'État et le patronat depuis des décennies ne sert qu'à imposer divers reculs sociaux aux travailleurs. Les hauts responsables du gouvernement Macron se sont d'ailleurs empressés de saluer les syndicats, et de signaler leur certitude que les syndicats accepteraient la réforme des retraites et veilleraient à étouffer tout mouvement contre Macron.
Les syndicats négocient depuis deux ans la réforme avec le gouvernement, a déclaré le chef de file de la République en Marche (LRM) à l'Assemblée, Gilles LeGendre, et donc «aucun syndicat ne pense sérieusement» qu'il y «renoncera». C'est-à-dire que les appareils syndicaux cherchent un compromis pourri avec l'État et le patronat à faire avaler aux travailleurs, qui consistera à imposer la quasi-totalité de la réforme de Macron.
Dans la cellule de crise du ministère des Transports, le Premier ministre Édouard Philippe a d'ailleurs déclaré: «Dans l'ensemble les grèves et manifestations se passent comme c'était prévu. De nombreuses manifestations sont organisées aujourd'hui en France, la plupart se passent bien. (...) Je veux rentre hommage aux organisations syndicales pour l'organisation.»
Ces commentaires donnent raison à l'appel du Parti de l'égalité socialiste à la formation de comités d'action indépendants des syndicaux afin de mener la lutte. Les travailleurs n'obtiendront rien d'une lutte dans un cadre purement national, menée par de vieilles bureaucraties étroitement liées à l'État. La voie pour aller de l'avant pour les travailleurs est de s'organiser eux-mêmes, en se tournant vers une perspective internationaliste et révolutionnaire pour une action commune avec leurs frères et leurs sœurs de classe à l'international.