20/01/2019 reseauinternational.net  7 min #150983

En Inde, une grève d'ampleur nationale

5,5 millions de femmes construisent leur mur pour l'égalité

Par Vijay Prashad pour Counterpunch

Le 1er janvier, 5,5 millions de femmes dans l’État indien du Kerala (35 millions d’habitants) ont construit un mur de 621 kilomètres avec leurs corps, d’un bout à l’autre de ce long État du Sud-ouest de l’Inde. Les femmes se sont rassemblées à 16h. Elles ont fait vœu de défendre les traditions de leur État et de travailler à l’émancipation des femmes. Il n’est pas exagéré de dire que ce fut l’une des plus grandes mobilisations de femmes au monde en faveur des droits des femmes. Certainement plus importante que la marche historique des femmes à Washington DC en 2017.

Le gouvernement du Kerala est dirigé par les communistes. Il n’est pas facile pour un gouvernement de gauche d’agir dans un État appartenant à l’Union indienne. Le gouvernement central à New Delhi ne veut pas apporter son aide au Kerala, qui a subi une inondation cataclysmique l’année dernière. Aucune assistance pour les coûts budgétaires liés aux secours et à la reconstruction, ni aucune aide pour le financement des infrastructures et des services sociaux. Le gouvernement communiste a un large programme qui va de la mission appelée «Green Kerala» – un projet destiné à préserver le magnifique environnement de l’État – à la lutte pour l’émancipation des femmes. Le gouvernement du Front démocratique de gauche estime que la dignité est un objectif aussi essentiel que les droits économiques et qu’il est primordial de lutter contre l’humiliation quotidienne afin de construire une société véritablement juste.

Depuis que la gauche est au pouvoir au Kerala, le gouvernement a développé un programme de lutte contre les humiliations quotidiennes. Par exemple, en 2017, le gouvernement a fourni des serviettes hygiéniques gratuites aux jeunes filles scolarisées. Jusque là, pendant leurs règles, les jeunes femmes qui ne pouvaient pas se payer des serviettes hygiéniques évitaient l’école. Les préjugés contre la menstruation étaient devenus un obstacle à l’égalité en matière d’éducation. Le gouvernement a appelé ce projet «She Pad», et il a bénéficié aux étudiantes et aux enseignantes. Pinarayi Vijayan, ministre en chef du Kerala, a déclaré à ce propos : «L’hygiène menstruelle est un droit pour toutes les filles. Le gouvernement espère que de telles initiatives aideront nos filles à mener leur vie avec confiance. »

A une centaine de kilomètres au nord de la capitale du Kerala, Thiruvanthapuram, il y a un temple dédié à Ayyappan, un dieu célibataire. Les femmes entre 10 et 50 ans n’étaient pas autorisées à pénétrer dans le temple car on pensait que le dieu célibataire ne pourrait pas tolérer les femmes qui ont leurs règles. La Cour suprême indienne en étant informé a déclaré, en septembre 2018, que le temple devait autoriser toutes les femmes à entrer. Le gouvernement du Front démocratique gauche était d’accord avec la Cour. Mais les autorités du temple et les groupes d’extrême-droite de l’État ne furent pas d’accord. Quand les femmes essayèrent d’entrer dans le temple, les prêtres, avec l’aide de l’extrême-droite, les ont arrêtées. La situation était bloquée.

Le Premier ministre Pinarayi Vijayan a donc appelé toutes les organisations progressistes de l’État à mobiliser les citoyens en vue de la construction d’un mur des femmes (Vanitha Mathil) le 1er janvier. L’ambiance dans l’État était électrique. Les femmes se rassemblèrent lors de centaines de réunions de masse à travers l’État. Elles avaient immédiatement compris qu’il ne s’agissait pas uniquement de lutter pour entrer dans un temple, mais bien pour l’émancipation des femmes, pour le droit des femmes, comme l’avait dit Vijayan, de «mener une vie indépendante».

Les réunions publiques de novembre et de décembre affirmant que les femmes avaient pleinement le droit de pénétrer dans les espaces publics, y compris les bâtiments religieux, ont galvanisé l’opposition d’extrême droite. Janvier fut bien organisé. Les femmes avaient été organisées par districts et savaient où aller. Des femmes de tous âges et de tous horizons, des institutrices aux membres de la communauté des pêcheurs, ont commencé à se mettre en ligne vers 15 heures. Après avoir prêté serment, elles ont défilé dans leurs villes et villages. Elles irradiaient la joie et la confiance, une liberté qui devrait réchauffer le cœur de toute personne sensible.

Il est frappant de constater que les médias hors de l’Inde n’ont accordé que peu d’attention à cet événement historique et mondial. La couverture de presse aux États-Unis fut presque inexistante. A notre époque l’internationalisme n’est qu’une façade, qui ne s’occupe pas de magnifier la bravoure des hommes à travers le monde. Lorsque la marche des femmes a eu lieu à Washington DC, les journaux du Kerala l’ont relatée en détail. L’inverse n’a pas eu lieu. Le silence a été la réponse.

Deux jours après le Mur des femmes, la droite du Kerala s’est déchaînée. Leurs membres ont attaqué les dirigeants de gauche et lancé des bombes sur des bâtiments gouvernementaux. Plus de 700 personnes – principalement des hommes d’extrême- droite – ont été arrêtées ce jour-là.

En marchant dans une grande rue commerçante de Thiruvanthapuram, je vois des signes visibles de l’attaque de l’extrême droite. D’un côté de la rue il y a des affiches et des panneaux des organisations de gauche déchirés et mis en pièces le jour du saccage par l’extrême-droite. De l’autre côté de la rue, des partisans de l’extrême-droite font une grève de la faim.

Même les libéraux ont pris le parti de l’extrême-droite. Un homme politique libéral a déclaré que tout en soutenant les droits des femmes, il soutenait également les droits du temple. Mais le temple n’a aucun droit, pas plus que la tradition. Comme Gandhi l’écrivait il y a presque cent ans: «Si je ne peux pas nager dans la tradition, j’y sombrerai». Ni le temple ni la tradition ne peuvent remettre en cause le droit des femmes de vivre en confiance. Si une tradition est discriminatoire, elle mérite d’être écartée.

Il n’y a pas de demi-mesure dans ce débat au Kerala. L’opinion générale est qu’il ne faut pas faillir à ses principes.

Au Kerala, 5,5 millions de femmes – une femme sur trois dans l’État – sont descendues dans la rue pour défendre l’émancipation des femmes. Ce qui les a amenées à rejoindre le Mur des femmes est que le gouvernement du Front démocratique de gauche a pris une position claire, une position de principe : la menstruation ne doit pas être utilisée comme un empêchement à la pleine participation des femmes à la société. Le combat est clair. C’est une leçon qui devrait être apprise dans le monde entier.

Lien de l’article en VO:

 counterpunch.org

Photo: Le mur des femmes pour l’égalité (Crédit photo: PTI Photo)

source: lagazetteducitoyen.over-blog.com

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