02/05/2019 mondialisation.ca  15min #155730

 Le président algérien Abdelaziz Bouteflika démissionne

Algérie - Belalloufi, le Raj et l'importation de la démocratie

Les révoltes qui ont ébranlé les rues lors du mal nommé « printemps » arabe ont érigé le dégagisme en principe essentiel de la révolte. En Algérie, il a atteint le stade ultime du dogme absolu avec le « yetnahaw gaa » (ils dégagent tous), scandé à gorge déployée ou inscrit en grandes lettres sur des banderoles.

Cet appel à déguerpir a surtout été adressé aux symboles du pouvoir honni, c'est-à-dire à des politiciens véreux et à leurs affidés fortunés, dont la richesse ne se mesure qu'à l'aune de la corruption et de la dépravation.

Cependant, pour une question de salubrité publique, une autre catégorie devrait décamper presque aussi vite que les deux précédentes : celle des pseudo-analystes politiques.

Il existe plusieurs espèces taxonomiques qui composent la faune de ces faussaires de l'information. Il y a ceux qui ont allègrement collaboré avec le pouvoir et qui se découvrent, tardivement, une virginité depuis longtemps consommée. Il y a ceux qui, imprégnés d'un néocolonialisme « génétique », aimeraient bien voir les Américains débarquer à Arzew ou les Français à Sidi-Fredj. Il y a ceux qui ont trépigné de plaisir aux prémices d'un « printemps » mortifère et applaudi aux attaques « otanesques » contre la Libye et qui, maintenant, versent des larmes de crocodile sur les blessures sanglantes des pays arabes meurtris. Il y a ceux qui usent et abusent du mensonge par omission et qui discréditent d'emblée toute argumentation qui mettrait en doute leurs assertions fallacieuses et intéressées.

Cette liste est certes non exhaustive tant le bestiaire des pseudo-analystes est hétéroclite, mais elle permet néanmoins d'avoir un portrait honnête d'une catégorie malhonnête.

« Yetnahaw gaa » (ils dégagent tous)

Comme exemple concret et pédagogique, citons le cas de Hocine Belalloufi. Dans un entretien au journal L'Expression [1], il a balayé du revers de la main mon analyse sur la printanisation de l'Algérie. En effet, au lieu de critiquer de manière sérieuse mon récent article [2] conformément à l'éthique journalistique, il l'a unilatéralement exclu du débat national actuel en déclarant de manière grandiloquente : « Ces textes s'avèrent finalement d'une navrante pauvreté ».

Cette sentence ronflante était-elle accompagnée d'une quelconque argumentation?

Que nenni! Sa seule parole de « gourou » de la gauche algérienne qu'il pense être est suffisante!

« Allez, circulez, il n'y a plus rien à dire : Belalloufi a parlé! »

Mais comment prétendre ne pas être au courant des nouvelles méthodes de déstabilisation des pays alors que foisonnent les exemples récents ?

Serait-ce juste pour discréditer tout ce qui ne convient pas à ses intérêts ou qui met en cause ses « amis » et « protégés »?

Si tel est le cas, nous pouvons lui suggérer d'en discuter avec ses amis, partenaires et collaborateurs du RAJ (Rassemblement Actions Jeunesse). Comme indiqué dans mon article, ces derniers ont reçu des subsides de la NED (National Endowment for Democracy), la vitrine publique de la CIA [3].

Logo de la Radio du RAJ

(Notez le vigoureux poing qui serre les ondes : ne l'a-t-on pas vu ailleurs?)

Peut-être pourra-t-il aussi poser certaines questions au président du RAJ, Fersaoui Abdelouahab, qu'il rencontre souvent, au gré de conférences conjointes ?

Hocine Belalloufi et Abdelouahab Fersaoui à Radio RAJ

Tenez, une question comme une autre : « Que faisait-il à Dakar, en mai 2018? ».

Pour les lecteurs, voici la réponse.

Du 6 au 9 mai 2018, s'est tenu à l'hôtel King Fahd Palace de Dakar (Sénégal) la Neuvième Assemblée mondiale du Mouvement mondial pour la démocratie (World Movement for Democracy, WMD). Le thème retenu à cette occasion était intitulé « Construire des partenariats stratégiques pour un renouveau démocratique ».

Dans le communiqué de presse publié sur le site du WMD, on peut lire : « Le Mouvement mondial a été fondé en 1999 dans le but de « renforcer la démocratie là où elle est faible, de la réformer et de la revigorer même si elle existe depuis longtemps, et de renforcer les groupes pro-démocratie dans les pays qui ne sont pas encore entrés dans un processus de transition démocratique«. [...] Le mouvement mondial est dirigé par un comité directeur international distingué; Le National Endowment for Democracy (NED), basé à Washington, en est le secrétariat. » [4]

Le comité compte parmi ses membres (très) distingués nuls autres que Carl Gershman et Basma Kodmani. Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas encore, le premier est le président de la NED tandis que la seconde est la cofondatrice du Conseil national syrien (CNS), organisation qui est à l'origine de la destruction de la Syrie.

En plus de Carl Gershman, on pouvait compter parmi les participants à cette grand-messe sénégalaise de la démocratie étasunienne les noms d'illustres personnages: Stephen McInerney, directeur exécutif du Project on Middle East Democracy (POMED), Kenneth Wollack [5], président du National Democratic Institute (NDI), Scott Mastic, vice-président pour les programmes de l'International Republican Institute (IRI), Andrew Wilson, directeur exécutif du Center for International Private Enterprise (CIPE) et Shawna Bader-Blau, directrice exécutive du Solidarity Center.

Rappelons que le NDI, l'IRI, le CIPE et le Solidarity Center sont les quatre organismes satellites de la NED [6].

Tel que mentionné sur son site Internet, POMED est « un organisme non partisan et sans but lucratif voué à examiner comment les véritables démocraties peuvent se développer au Moyen-Orient et la façon dont les États-Unis peuvent mieux appuyer ce processus » [7]. En réalité, il est facile de vérifier que le POMED travaille de concert avec Freedom House [8] et est soutenu financièrement par l'Open Society Institute (OSI) de George Soros [9] et la NED [10]. Pour essayer de « clarifier » le rôle de POMED dans le « printemps » arabe, son directeur exécutif, Stephen McInerney, a déclaré au New York Times : « Nous ne les finançons pas pour qu'ils commencent les protestations, mais nous les avons aidés à soutenir le développement de leurs compétences et leur réseautage ». Et d'ajouter : « Cette formation a joué un rôle dans ce qui est finalement arrivé, mais c'était leur révolution. Nous ne l'avons pas démarrée » [11]. M. McInerney est une des rares personnes impliquées dans l'« exportation » de la démocratie et à en parler avec autant de clarté.

Carl Gershman lors de la « soirée à Dakar » en marge de la 9e assemblée mondiale du WMD

(Dakar, mai 2018)

À noter que ces hauts responsables américains ne sont pas venus seuls à Dakar, mais étaient accompagnés d'une imposante délégation.

En plus de ce prestigieux panel de « big boss » pesant des millions de dollars en financement de l'« exportation de la démocratie » à travers le monde et en particulier dans la région MENA (Middle East and North Africa - littéralement Moyen-Orient et Afrique du Nord), les noms de célèbres activistes retiennent l'attention.

Ainsi, parmi les participants, figurent les noms de Radwan Ziadeh, membre influent du Conseil National Syrien (CNS), de l'activiste jordanien Oraib Al-Rantawi, directeur général de l'ONG Al Quds Center for Political Studies (Centre Al Quds pour les études politiques) et de Amine Ghali, directeur du Kawakibi Democracy Transition Center (Centre Kawakibi pour la transition démocratique - KADEM).

Radwan Ziadeh est un activiste syrien très prolifique dont le CV montre ses nombreuses accointances avec l'administration américaine [12 mondialisation.ca. Il est apparu sur la scène médiatique en qualité de membre influent du Conseil national syrien (CNS). En 2005, il avait fondé le « Damascus Center for Human Rights Studies » (DCHRS), un centre qui, selon Jeffrey Blankfort, est en étroite relation avec la NED et qui lui servait « de couverture pour ses activités » en Syrie [13]. Parmi ses innombrables activités, Ziadeh a été membre émérite de l' « US Institute of Peace », un think tank financé par le gouvernement américain [14].

Hillary Clinton et Radwan Ziadeh

Oraib Al-Rantawi, dont le centre est financé par le NDI [15], avait déclaré - lors du « printemps » arabe -, qu'il avait voyagé à deux reprises au Yémen pour aider les dissidents yéménites. Pour lui, « tous ces efforts, fournis par des organisations locales et internationales, ont ouvert la voie à ce qui se passe aujourd'hui. Ces jeunes ne viennent pas de nulle part pour faire une révolution ».

Anna Kompanek (Directrice des programmes au CIPE) et Oraib Al-Rantaw

Amine Ghali est un activiste tunisien de la première heure qui œuvre au KADEM depuis 2008. Notons, au passage, que KADEM est un centre financé par le programme POMED. Comme indiqué précédemment, POMED reçoit ses subventions de l'OSI de G. Soros ainsi que de la NED et travaille de concert avec Freedom House. C'est d'ailleurs avec Freedom House que Amine Ghali avait travaillé auparavant [16].

Amine Ghali invité à une conférence co-organisée par POMED et New America Fondation

(Washington, 29 juin 2012)

Et au milieu de tout ce beau monde, entre petits fours et discours solennels, on trouve le seul représentant algérien : Abdelouahab Fersaoui.

Il est certain que sa présence n'est pas uniquement due au fait que la Radio du RAJ soit membre du Mouvement mondial pour la démocratie [17], tout comme l'ONG de l'activiste yéménite Tawakkol Karman « Women Journalists Without Chains » [18], elle aussi financée par la NED [19].

Tawakkol Karman et Hillary Clinton

Mais pour ce détail, et d'autres probablement plus croustillants, attendons la réponse de M. Belalloufi. Peut-être lors d'une émission conjointe sur les ondes de Radio RAJ?

Ahmed Bensaada

Notes

[1] Kamel Lakhdar-Chaouche, « L'Occident préfère un régime soumis à ses intérêts», L'Expression, le 17 avril 2019,  lexpressiondz.com

[2] Ahmed Bensaada, « Huit ans après : la « printanisation » de l'Algérie », ahmedbensaada.com, 4 avril 2019,  ahmedbensaada.com

[3] Voir référence 2

[4] World Movement for Democracy, « Press Release: Ninth Global Assembly », 23 mars 2018, movedemocracy.org (section « Media »)

[5] Kenneth Wollack a pris sa retraite du NDI en juin 2018

[6] Pour plus de détails, voir référence 2

[7] POMED,  pomed.org

[8] Atlantic Council, « Negotiating Libya's Constitution », 22 janvier 2014,  atlanticcouncil.org

[9] Carnegie Endowment for International Peace, « Egypt's Upcoming Elections : Boycotts, Campaigns, and Monitors », 19 octobre 2010,  carnegieendowment.org

[10] NED, « 2009 Annual report : Egypt »,  ned.org.

[11] Ron Nixon, « U.S. Groups Helped Nurture Arab Uprisings », New York Times, 14 avril 2011,  nytimes.com

[12] Arbeitsgemeinschaft Israel an der Johannes Gutenberg-Universität Main, « Dr. Radwan Ziadeh », israel-ag.de

[13] Jeffrey Blankfort, Enregistrement audio (à partir de 3 min), « Takes on the World », Radio4all, 12 février 2012

[14] Charlie Skelton, « The Syrian opposition: who's doing the talking? », The Guardian, 12 juillet 2012,  theguardian.com

[15] Charles J. Hanley, « US training quietly nurtured young Arab democrats », Washington Post, 13 mars 2011,  washingtonpost.com

[16] MENA Regional Facilitators Forum, « Amine Ghali »,  menaff.org

[17] World Movement for Democracy, « Radio RAJ »,  movedemocracy.org

[18] World Movement for Democracy, « Women Journalists Without Chains »,  movedemocracy.org

[19] Ahmed Bensaada, « « Mais qui est donc Tawakkol Karman, la première femme arabe nobélisée? », Le Quotidien d'Oran, 13 octobre 2011,  ahmedbensaada.com

La source originale de cet article est  ahmedbensaada.com
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