28/10/2019 dedefensa.org  13min #163590

 Al-Baghdadi, un vieil épouvantail modifiant à point nommé la narration du retrait Us de Syrie

Baghdadi m'a dit...

28 octobre 2019 - Cela fait un certain temps, - je parle en termes d'années, voire de décennies, - que je ne suis pas du tout sinon n'ai jamais été impressionné, ni même seulement intéressé par le caractère "moral" et "civilisateur" des exploits anti-terroristes et en général anti-méchants de notre  contre-civilisation. Le "Mission Accomplished" de Bush, en avril 2001 après la désintégration barbare de l'Irak par les hordes civilisées de la Grande République, à bord du USS Abraham Lincoln (ou bien était-ce le USS Ronald Reagan ? C'est du même tonneau), a été un moment tragique-bouffe et symbolique à cet égard ; de la sorte où l'on se dit, "C'est donc qu'Audiard avait tout compris, 'Les cons ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît'".

Alors, la mort de Baghdadi ("la nième mort", disent les Russes, méchants garçons qui ne veulent pas jouer le jeu), - vous comprenez, moi... Mais bon, on va en parler tout de même, car cela "fait sens" comme on dit dans les talk-shows, et dans plusieurs domaines du simulacre. (Nous avons réussi à créer une catégorie spéciale du simulacre : le simulacre-labyrinthe, ou simulacre-Kafka, où se perdent les personnages d'Audiard "qui osent tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît".)

Le premier mot, ou les trois premiers si vous voulez, qui viennent à ma plume pour qualifier cette affaire, c'est dans l'ordre-désordre selon l'air du temps et le sens du vent : confusion, désordre, chaos. On avait déjà eu le cas avec la "mort" (?) de ben Laden, cette fois c'est un remake multiplié par dix. Pour caractériser cette situation, il y cette étrange contradiction : au milieu de la foule de précisions, de révélations, de détails d'ailleurs souvent divergents et venus de tous les côtés, tout cela dominé par les déclarations sonores de Trump remerciant un certain nombre de pays de leur aide pour la réussite de cette attaque, et notamment ô combien la Russie (" TTG", du site STT du colonel Lang : « Je pense que la Russie a fourni des informations cruciales à l'USI[renseignement US] dans la préparation de ce raid. La coordination entre les États-Unis et la Russie ne se limitait probablement pas à "informer[les Russes] de notre action", comme l'a dit Trump dans son discours de ce matin. »)

Bien, je reprends en reprenant mon souffle, et pour mettre en évidence la singularité de la chose : "au milieu de la foule de précisions, de révélations, de détails d'ailleurs souvent divergents et venus de tous les côtés... et notamment ô combien la Russie", il y a le scepticisme complet, affiché officiellement par les Russes dans tous les cas jusqu'à maintenant, et scepticisme détaillé venu du ministère de la défense. La chose a été largement diffusée et répercutée sur les réseaux officiels et autres, sous la forme d'un communiqué très circonstancié du porte-parole officiel de la défense, le général Igor Konachenkov, de cette façon  sur RT-France :

« "Le ministère russe de la Défense n'a pas d'informations fiables sur la conduite par les militaires américains d'une opération, dans la partie sous contrôle turc de la zone de désescalade d'Idleb, visant à une nouvelle[nième] 'élimination' de l'ancien chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi", a commenté le porte-parole.
» Estimant que les détails donnés par les différents participants à l'opération étaient "contradictoires" et soulevaient "des doutes raisonnables quant à la réalité de cette mission et, surtout, quant à son succès", le porte-parole a estimé que la simple affirmation de la présence du chef de Daesh dans une zone contrôlée par "le groupe al-Qaïda syrien" méritait des "preuves directes et précises" de la part de Washington.
» La mort d'Abou Bakr al-Baghdadi avait, par le passé, déjà été annoncée à plusieurs reprises  puis démentiepar des messages audio ou vidéo attribués à l'intéressé. Elle n'avait jamais été confirmée jusque-là. »

Voilà pour illustrer "confusion, désordre, chaos", car pour que les Russes démentent aussi clairement dans une première réaction une occurrence où Trump applaudit l'aide de la Russie apportée aux USA en Syrie, il faut vraiment que la situation de la communication soit fort compliquée ; encore plus, bien plus que sur le terrain... (Pour la suite de cette affaire Russie-USA à ce propos, on verra ce qu'il en résultera de la  vérité-de-situation, si jamais nous arrivons à la saisir. Pour l'instant, seule nous intéresse la formule "confusion-désordre-chaos".)

Il y eut tout de même parmi les commentateurs-Système des gens suffisamment zélés et alignés (à peu près 99,97% dans cette catégorie) pour prendre l'affaire au sérieux comme on nous la décrivait chaotiquement, et nous la commenter "sérieusement", - c'est-à-dire avec raison, professionnalisme et, surtout-surtout, sens moral... Je vous donne un exemple, - un exemple parmi d'autres, et je ne m'y attarderai pas, c'est promis, - sorti aussi bien de mes tiroirs qu'entré dans les oreille hier après-midi

Il y eut donc une parole immortelle d'un des commentateurs français, de Claude Weill, un des multiples consultants de LCI. Voici ce que je disais de lui le 25 novembre 2018, dans une chronique que je préparai pour ce Journalet que je n'ai finalement pas publiée : « D'abord, il y a Claude Weill, ancien de 'L'Obs', chroniqueur de 'Nice-Matin' ; l'air distant, un peu hautain, la voix grave et posée, homme de raison assurée (Gilbert Collard parlera une demi-heure plus tard, indirectement à son propos sans que l'autre ne s'en émeuve, de "fatuité")... ». Eh bien, Weill, hier, lors d'une de ces innombrables table ronde, posa fermement que la mort de Baghdadi "ne changeait pas grand'chose" car "le terrorisme est une idéologie" et qu'une idéologie ne dépend pas d'un homme... Prendre le terrorisme pour une "idéologie", voilà où ils en sont, à force de se noyer dans les méandres-simulacres de leurs commentaires éclairés sur une situation qu'ils ne comprennent en rien sinon pour les déformer.

(Il y avait eu un débat après 9/11 aux USA, pour "partir en guerre contre le terrorisme". Certains observèrent alors : "Mais le terrorisme n'est pas 'un ennemi', c'est une tactique de guerre, et on ne fait pas opérationnellement la guerre à une tactique de guerre dont tout le monde peut ou non user ; dire cela, c'est comme si vous disiez que vous partez opérationnellement en guerre contre la guerre". Rien n'y fait, on continue à discourir dans ce sens, où les mots sont constamment détournés de leurs sens.)

Enfin, laissons là Baghdadi, Daesh et le terrorisme... Car l'essentiel de cette affaire, c'est ce qu'elle nous a montré, - surprise, surprise, - de la situation à "D.C.-la-folle".

Bien entendu, il y a Trump, qui a utilisé l'affaire comme on tape sur une grosse caisse, avec l'ampli à fond, comme si la civilisation venait d'être sauvée par ces exceptionnels soldats du système de l'américanisme, aidés par tant de copains-pays-alliés, dont la Russie, oui la Russie ! Tout le monde est superbe et au-dessus de tout soupçon dans cette affaire, surtout lui-le-POTUS, votez pour Trump... Bien, fermez le ban, tout cela est du classique et du cousu-main. Obama avait fait la même chose avec la "mort" de ben Laden en 2011, avec un peu plus d'élégance, c'est-à-dire selon la tactique différente de ne pas se mouiller dans le bombastique grossièrement personnalisé de la dialectique à-la-Trump, plutôt d'envoyer tous ses fidèles-adorateurs taper sur les grosses caisses en faveur de la réélection du Prophète en 2012 ; c'est cela qu'on nomme "élégance", aujourd'hui, jours tristes et sombres...

Mais le plus beau du spectacle vint de l'opposition à Trump : comment faire pour réduire l'effet d'annonce, dénier que Trump ait remporté une "victoire" "contre le terrorisme" au profit de la sécurité des USA, dénier qu'il y ait une "victoire", dénier que Trump put faire quoi que ce soit "au profit de la sécurité des USA", dénier enfin qu'il y ait quelque intérêt pour les USA que le POTUS restât POTUS quatre ans de plus. Le vacarme fut considérable. Dame Pelosi se plaignit amèrement qu'on ne l'ait pas avertie de l'opération, elle la Speaker de la Chambre, que cet oubli évidemment voulu aggravait encore l'acte de mise en accusation pour la destitution de l'insupportable Trump. De partout du côté démocrate fusèrent les critiques, comme un feu d'artifice saluant une "victoire" qui ne serait qu'un simulacre... Peut-être n'est-ce pas faux, mais qu'est-ce donc alors que "D.C.-la-folle" sinon le simulacre des simulacres, - et eux-mêmes, les dénonciateurs de simulacres, les pires du pire des simulacres ?

Oui, oui, le plus beau vint sans aucun doute de la presseSystème. Comment annoncer la liquidation du plus terrible des "terroristes" depuis ben Laden, sinon pire que ben Laden, puisqu'ainsi le dit la narrative, sans faire à Trump la faveur d'un compliment-simulacre ? Le pompon revient au Washington Post (WaPo), et notamment : comment qualifier Baghdadi pour ne pas trop favoriser Trump ? On se dit d'abord, dans la rédaction-en-chef, qu'on le qualifierait dans le titre de manchette où tout est dit que les cervelles légères et conformes doivent retenir, de « Terroriste-en-chef de l'État Islamique » ; mais diantre, c'était faire la part un peu drôlement trop belle à l'autre, le Commandant-en-Chef des forces armées US, par simple effet contradictoire, et l'on changea subito presto en « Austère érudit religieux » ; mais diantre, c'était faire la part un peu drôlement trop belle au chef de Daesh, ça pouvait faire jaser, et l'on changea subito prestoen « Leader extrémiste ».

( ZeroHedge.com : « In the final analysis the Washington Post fumbled the Abu Bakr al-Baghdadi headline three times; first, referring to him as the "Islamic State's terrorist-in-chief," to "Austere Religious Scholar," and then finally, to "Extremist Leader." »)

Cette épique gymnastique qui doit concilier, en un instant fatal où le simulacre antiTrump côtoie presque une réalité, même simulacre elle-même qu'importe, et impose une  vérité-de-situation, anima drôlement (phoney& funny) la soirée de dimanche sur les réseaux, tweets & Cie. Je signale deux réactions, pour simplement donner une mesure du swingde la chose et du côté rock'n roll de "D.C.-la-folle", allant du pseudo-sérieux au caricatural présentant les seules choses dignes d'intérêt dans ce simulacre :
• D'abord une réaction officielle du WaPo, réalisant finalement le ridicule absurde (ou l'absurdité ridicule) de son comportement du côté des manchettes de première page du texte. Il s'agit d'𝕏 un tweetde Katrhy Coratti Kelly, vice-président pour la communication du quotidien, suite au deuxième changement (passage de « Austère érudit religieux » en « Leader extrémiste » pour la manchette) : « Regarding our al-Baghdadi obituary, the headline should never have read that way and we changed it quickly. »
• Mais aussi, la plus intelligente et la plus créatrices des initiatives de cette soirée qui déploya tous les déchets et le vrac puant d'une époque de simulacre, fut celle d'établir un nouveau compte#hashtag sous la dénomination  #WaPoDeathNoticesdans lequel les utilisateurs proposent des formules type-WaPo pour qualifier des morts célèbres pour leur affreuse calamité, désignés selon le nouveau style des titres nécrologiques du si-grand quotidien de Washington ; et cela donna par exemple (traduction inutile, me semble-t-il), quelques perles qui suggère la tiédeur de l'imagination des titreurs du WaPo :
« Adolf Hitler, passionate community planner and dynamic public speaker, dies at 56. » ;
« Mao Zedong, who saved 20-45 million of his own people from having to suffer through the struggle of existence, dies at 82. » ;
« Gaius Julius Caesar, 56, noted author and Egyptologist, dies surrounded by his friends. » ;
« Charles Manson, famous songwriter and meditation leader, dead at 83 » ;
« Jeremy Epstein, do-gooder who provided Caribbean vacations to young ladies, dies at 66 » ;
« Satan, unorthodox faith leader known for pushing back against famous wine maker Jesus, dies at 14 billion. »

Voilà donc où nous en sommes réduits, ou plutôt où nous en sommes projetés, dans des sommets de  tragédie-bouffeoù le bouffe prend une place démesurée, cosmique, énorme comme une galaxie-bouffe enfantant des simulacres qui frôle l'éternité. Il me faudra du temps avant que je consente à prendre au sérieux les arguments et les commentaires des uns et des autres cadenassés dans le simulacre du Système, sur un événement aussi totalement faussaire de toutes les façons qu'on le considère et parce qu'il s'agit de considérer en simulant, caractérisant un comportement guerrier (et non un "ennemi" ou une "idéologie") dans l'épisode duquel nous (c'est-à-dire le Système, et le système de l'américanisme) portons la plus complète responsabilité de semeur du chaos depuis  Brzezinski-1979.

Pour l'instant, le seul effet important de la "mort" (?) de Baghdadi, c'est d'avoir fait monter d'un cran de plus la folle démence de "D.C.-la-folle", d'avoir ajouté un peu de kérosène à très haut degré d'octane dans la cuve bouillonnante du Trou Noir où l'empire s'effondre avec un entêtement digne d'éloge et un sens ardent de l'accélération.

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