Les 25, 26 et 27 janvier 2018, plus d'une centaine de manifestations protéiformes se sont tenues en France et en Belgique pour exiger des politiques à la hauteur de l'urgence climatique. À Paris, une « agora pour le climat » a rassemblé plus de 8.500 personnes place de la République.
- Place de la République (Paris), reportage
À 14 heures, la place de la République est encore clairsemée. La pluie est au rendez-vous et les parapluies et les cirés, de sortie, se blottissent sous des bâches.
À mesure que les citoyens rallient l'« agora pour le climat » organisée par le collectif Citoyens pour le climat, Alternatiba, Il est encore temps et Unis pour le climat, les espaces de prises de paroles, de débats et les animations prévues pour les enfants s'éveillent. Cinq scientifiques s'attèlent à vulgariser le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et l'état des connaissances scientifiques en matière de changements climatiques.
Gilet vert sur les épaules, Stéphane Cuttaïa est venu spécialement de Seine-et-Marne, où il est responsable d'un café culturel associatif nommé C'est déjà ça, à Saâcy-sur-Marne. Il se dit « là pour défendre et relier la justice sociale, l'exigence démocratique et l'urgence écologique et climatique », comme le mouvement des Gilets verts qu'il a contribué à initier. « Toutes nos décisions, à l'échelon local ou national, devraient être guidées par les enjeux écologiques, estime Stéphane. On n'a pas le choix de toute façon, on va y venir de gré ou de force. »
Stéphane Cuttaïa
« Dans l'immédiat, j'aimerais par exemple que le ministère de la Transition écologique et solidaire obtienne des arbitrages sur les ministères des Transports ou de l'Agriculture, propose-t-il. Ce qui est hallucinant, c'est de voir des gens comme Macron, qui a priori font partie de générations très concernées par les conséquences des changements environnementaux, ne pas se saisir de ces enjeux à bras le corps. Ces gens-là ont un logiciel qui ne fonctionne pas... »
Le rassemblement fait la part belle aux échanges et à l'émergence de propositions concrètes pour repenser une société plus respectueuse de la planète, du vivant et des questions sociales. Les débats sont organisés autour des cinq thèmes suivants : « Fin du monde, fin du mois », « Changer sa ville », « Mobilisation étudiante et lycéenne », « Quel "grand débat" ? » et « Désobéissance civile pour le climat ». Une bonne partie de la place de la République est désormais noire de monde et occupée par 8.500 personnes. Dans son micro, un représentant d'Alternatiba chante : « Les petits pas, les petits pas, ne suffisent pas. » Les manifestants sautillent en rythme pour se réchauffer. Sur les pancartes s'étalent les slogans « T'es bonne sans carbone », « Y'a pas de rattrapage pour le climat » ou encore « Le climat, c'est comme le cul, faut se protéger ».
Les citoyens s'orientent vers la commission de leur choix, où ils peuvent être force de proposition. Sous la bâche de la commission « désobéissance civile », les idées fusent. Anthony, la trentaine, suit attentivement les échanges. En décembre dernier, il avait participé à l'opération de « grand nettoyage » de la Société générale. « Aujourd'hui, dit-il, les banques happent une grande partie de l'argent nécessaire à la transition écologique. Pour y remédier, on doit pratiquer des actions similaires à celles intentées contre la Société générale, mais à plus grande échelle. » Le concept d'agora pour le climat l'a tout de suite séduit : « Notre force de proposition à tous est prise en compte. L'organisation n'est pas verticale. J'observe un ras-le-bol général vis-à-vis de la politique écologique de notre pays et dans ce cadre, j'apprécie le fait que l'on puisse ouvrir des espaces d'expression pour mettre en commun nos envies. »
Sophie, agrippée à une pancarte fleurie, est également enchantée par cette forme de mobilisation. « Chacun peut apporter sa petite graine, dit cette participante assidue aux rassemblements pour le climat. Même si on peut avoir du mal à s'entendre sur certains points, c'est la somme de nos idées qui permet de faire émerger des solutions robustes. C'est ça la démocratie ! »
Une fois les débats clos, les porte-paroles de chaque commission rendent compte des propositions qui ont émergé. Mégane, rapporteuse de la commission « mobilisation lycéenne et étudiante », fait le point : « Nous avons recueilli des propositions diverses comme : sensibiliser les étudiants et les lycéens à l'écologie en vue de la mobilisation du 15 mars, pouvoir manger bio dans les restaurants universitaires, créer un grand réseau étudiant en vue de la grève internationale pour le climat... » Au sein de la commission « changer la ville », les questions de mobilité urbaine et d'autosuffisance ont été plébiscitées. Une proposition est sortie du lot : la mise en place d'une ceinture verte autour de Paris, au niveau de sa petite couronne, pour manger local, créer des espaces verts et redynamiser l'économie circulaire.
De nombreuses mobilisations en France et en Belgique
De nombreux rassemblements ont essaimé partout ailleurs, explorant un large éventail d'actions pour sonner le tocsin climatique. Marches, agoras, die-in, flashmobs, chaînes humaines : au total, près de 150.000 personnes se sont mobilisées, en Belgique et en France, pour exiger des politiques plus ambitieuses et plus justes face à l'urgence climatique.
Principal point de convergence : Bruxelles, où 70.000 personnes ont défilé, dimanche, pour la Marche européenne pour le climat. Une nouvelle journée de forte mobilisation dans la capitale belge après le succès de la marche des lycéens et étudiants, trois jours plus tôt. Le cortège, festif et déterminé, a traversé la ville de la gare du Nord au Parlement européen. Plusieurs dizaines de participants, répondant à l'appel du collectif Act for Climate Justice, ont également bloqué le carrefour Arts-Loi pour protester contre l'inertie des autorités face au changement climatique.
De l'autre côté de la frontière, à Lille, des citoyens se sont étendus sur le sol pavé de la porte de Paris. Ce die-in le nom de cette action de désobéissance civile consistant à simuler la mort avait pour but de dénoncer les morts prématurées causées par la pollution de l'air. Selon Santé publique France (SPF), la pollution serait responsable de près de 1.700 morts prématurées, chaque année, dans l'agglomération lilloise.
Die-in porte de Paris, à Lille
Contre des modes de consommation néfastes pour la planète et en plein week-end de soldes, un autre die-in a été organisé à Orléans au cœur de l'artère commerciale de la ville, la rue de la République. À Dijon, le parvis de la mairie a été investi par 1.200 citoyens, les mains peinturlurées de rouge pour symboliser l'urgence climatique. Ils étaient aussi des milliers, à Lyon et Brest, à constituer de grandes chaînes humaines. Servoz, dans la vallée de l'Arve, a accueilli une « manif des asphyxié.e.s », Perpignan a érigé un mur des résolutions citoyennes pour la planète et 180 personnes ont bravé la tempête sur la côte dunkerquoise.
Des projets autoroutiers jugés climaticides en ont pris pour leur grade à Grenoble, où une action s'est concentrée contre l'élargissement de l'autoroute A430, mais aussi à Strasbourg où les marcheurs pour le climat ont dénoncé le « grand contournement ouest » (GCO). Au palais de justice de Nantes, un street chaman a orchestré un procès fictif : il s'agissait de juger des dirigeants politiques et patrons de multinationales pour inaction climatique. La sentence des citoyens, sans appel : Emmanuel Macron et Donal Trump ont été condamnés à planter 2 millions d'arbres fruitiers dans toute la France.
Enfin, à Nancy, 106 personnes se sont rendues à la police et se sont déclarées coorganisatrices de la manifestation du 8 décembre dernier, interdite par la préfecture. Ce jour-là, quatre coorganisateurs avaient été convoqués par la police et Florent Compain, président des Amis de la Terre France, et Denys Crolotte, du Mouvement pour une alternative non violente, avaient passé une nuit en garde à vue. Samedi, devant l'afflux de la centaine de citoyens solidaires, le commissariat a fermé ses portes.
Devant un commissariat nancéien, 106 citoyens affichent leur solidarité envers deux militants placés en garde à vue le 8 décembre dernier
Rendez-vous pris pour le 15 mars
Depuis le 28 août 2018 et la démission du ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, le climat semble être devenu un enjeu social et citoyen de premier plan. Les mobilisations se sont succédé et le recours contre l'État L'Affaire du siècle a déjà recueilli plus de 2 millions de soutiens.
Les organisations environnementales, climatiques et les collectifs citoyens souhaitent faire de 2019 l'année du climat. Le prochain grand rendez-vous mondial est prévu pour le vendredi 15 mars. La jeune militante suédoise Greta Thunberg a, en effet, lancé un appel à la jeunesse mondiale pour l'inciter à réclamer des actions concrètes contre le changement climatique. Le lendemain, le samedi 16 mars, toutes les générations pourront se retrouver pour une nouvelle journée de mobilisation internationale.