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Le conflit opposant Israël au Hamas s'est terminé avec un cessez-le-feu qui a mis un terme à onze jours de tirs de roquettes et de frappes aériennes. Mais ce nouveau statu quo entre l'État hébreu et le mouvement islamiste n'apaise pas les divisions dans le pays. Les accords d'Abraham, sans être remis en cause, pourraient aussi s'en trouver fragilisés, n'instaurant qu'un calme bien précaire dans la région.
Un statu quo, et après ? Les principaux médias israéliens, loin de crier victoire, s'en tiennent plutôt à un scepticisme prudent concernant le maintien de cette accalmie et s'interrogent déjà sur la prochaine confrontation entre Israël et Gaza. Loin d'être terminée, la bataille se livre à présent sur un nouveau front : celle des images. L'objectif pour les deux camps étant d'être perçu comme le grand vainqueur, que ce soit à l'intérieur de ses propres frontières ou à l'étranger. Pour Benyamin Netanyahu, Israël a atteint ses objectifs face au Hamas et a « changé la règle du jeu », déclarant que les cibles de l'opération ont été « extraordinairement » atteintes. Il aurait ajouté que le pays avait réussi à porter au Hamas un « coup inimaginable » en détruisant le « métro », surnom donné au réseau de tunnels terroristes construit à Gaza.
Après une série d'affrontements intenses, les cadres du Hamas se sont félicités de leur côté d'avoir pu tirer des milliers de roquettes vers Israël, contraignant les habitants du sud du pays et de la région de Tel-Aviv à se réfugier dans des abris. Le chef de la branche politique du Hamas, Ismail Haniyeh, a ainsi déclaré vendredi que son groupe avait remporté la « victoire de la résistance islamique » lors des récentes hostilités avec Israël. De plus, ce dernier a affirmé que « la guerre avait nui à la normalisation entre Israël et les pays arabes ». Une volonté claire de torpiller les accords d'Abraham, avec, pour tactique, l'objectif de passer aux yeux des Palestiniens, de nombre d'Arabes israéliens et d'une partie du monde musulman pour les « défenseurs » irréductibles de la mosquée d'Al-Aqsa, le troisième lieu de l'islam. Faut-il cependant voir plus loin dans cette démonstration de force ?
De nombreux commentateurs, d'anciens ministres et des rivaux politiques du Likoud avancent que, malgré les échanges de tirs qui ont fait des dizaines de morts, le Premier ministre israélien et Le Hamas pourraient dissimuler des intérêts convergents. Adversaires-complices ? Et pour cause. Le conflit arrive à point nommé dans l'agenda de Benyamin Netanyahou. Dans l'incapacité de former un nouveau gouvernement depuis les élections du 23 mars, après douze années au pouvoir, le Premier ministre a bénéficié depuis le début du conflit d'un sursis providentiel. Le dirigeant centriste Yaïr Lapid, qui était bien placé pour lui succéder, a vu ses espoirs s'effriter et ronge depuis son frein. Dès le déclenchement des émeutes, son principal allié, Naftali Bennett, lui a tourné le dos pour rallier son rival, sous le prétexte fallacieux que la cause sécuritaire était prioritaire et que Benyamin Netanyahou était le plus apte à mettre un terme au conflit. L'actuel Premier ministre, dont le procès pour corruption se poursuit, pourrait donc garder son poste si une cinquième élection législative se profilait dans les prochains mois... Dépité, et sans doute lucide, le leader centriste s'est contenté d'un commentaire cinglant, en rappelant que « l'incendie (en Israël et à Gaza) se propageait décidément lorsque cela convenait au Premier ministre ».
Le chef du gouvernement israélien s'est contenté, lui, de souligner que la source du conflit actuel résidait dans « l'annulation des élections palestiniennes », ajoutant que « Le Hamas avait utilisé les événements de la Journée de Jérusalem et la situation à Sheikh Jarrah pour servir ses propres intérêts politiques. » Indifférentes à ces controverses et aux échanges de tirs verbaux qui accaparent leurs dirigeants, les populations civiles, d'un côté comme de l'autre, sont priées de panser leurs plaies au milieu des ruines et des morts, tout en étant censées se réjouir d'une trêve bien précaire. Est-ce encore possible ?
Face à ce contexte tendu, les quotidiens Yedioth Ahronoth et Israel Hayom n'ont pas hésité à souligner le scepticisme ambiant quant à la détermination des deux parties à stopper les affrontements au-delà d'un très court-terme. Pour de nombreux commentateurs, une nouvelle série de combats serait en effet inévitable si des questions cruciales devaient rester en suspens. Point épineux, le blocus frontalier israélo-égyptien, dû au refus du Hamas de se désarmer est toujours jugé nécessaire par Israël pour limiter l'accès aux armes du groupe terroriste, qui prône la destruction de l'État hébreu. Benyamin Netanyahou chercherait-il pour autant à mettre fin au régime des islamistes dans la bande de Gaza ? Rien n'est moins sûr. Même s'il frappe avec force les positions du Hamas, sa politique reste ambiguë : en n'éradiquant pas totalement le mouvement islamiste radical, sa tactique lui permet d'affirmer que Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, ne représente pas tous les Palestiniens. Et qu'il n'y a donc aucune raison de négocier avec lui une solution à deux États.
Profitant de cette délégitimation, les islamistes du Hamas ont lancé une campagne dans les médias et les réseaux sociaux pour peaufiner leur image. En exploitant les images de répression et de tirs de grenades lacrymogène de la police israélienne à l'intérieur du troisième lieu saint de l'islam, ils ont su exacerber les tensions et se poser également en grands défenseurs de la mosquée d'El-Aqsa. Et si pour le moment Israël est le plus souvent considéré comme l'unique responsable de ce désastre, les dévastations provoquées par l'épreuve de force engagée par le Hamas illustrent aussi l'absence flagrante d'interlocuteur apte à pouvoir négocier avec l'État hébreu. Reste à savoir quel bilan les populations civiles, qui font une nouvelle fois les frais de ces affrontements, tireront de l'opération. Rappelons que le conflit a tué 13 personnes en Israël et selon le Hamas, 243 personnes dans l'enclave palestinienne (dont 235 terroristes, selon Israël).