26/05/2023 6 articles francesoir.fr  7 min #229009

Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Partie 1) Politique et info, un vieux couple français

Gilles Gianni, France-Soir

Du fact-checking aux agences de renseignements américaines : aux origines d'une prison digitale.

Photo de Robert Klank sur unsplash.com

ENQUÊTE - Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs : Du fact-checking aux agences de renseignements américaines : aux origines d'une prison digitale.

INTRODUCTION - Pendant la crise du Covid-19, les principaux médias français ont relayé, sans réelle distanciation, la communication gouvernementale et les positions de l'industrie pharmaceutique. La défense des confinements et du « tout-vaccin » est devenue un axiome inattaquable, défiant toute approche scientifique raisonnable et équilibrée. Au lieu d'enquêter, de vérifier et de varier les sources afin de nourrir un débat contradictoire, des cellules de « fact-checking », intégrées au sein des rédactions de presse et financées par les Big Techs, ont court-circuité le rôle du journaliste et ont torpillé tout débat critique et complexe. Sous prétexte de lutte contre la désinformation, ces partenariats invasifs ont été appuyés par l'Union Européenne, y compris avec des subventions. Ils font apparaître un nouveau mécanisme capable d'influencer les opinions publiques sur n'importe quel sujet. En coulisses, d'autres acteurs troubles modèlent l'information, des think-tanks mais aussi diverses agences internationales du renseignement. Au sein de ce décor, le journalisme se transforme peu à peu en un inquiétant outil de contrôle et de surveillance des idées, avec des velléités de museler la liberté d'expression. L'Europe est-elle en train de devenir une prison digitale de l'information ? Enquête en plusieurs parties.

Mai 2020, Sibeth N'Diaye annonce la création d'une  page « désinfox » sur le site officiel du gouvernement français. Son objectif ? Lutter contre la prolifération de « fausses informations » durant la crise sanitaire. Comment ? Par la sélection d'articles choisis parmi cinq médias ou agence de presse (Europe 1, Le Monde, Libération, 20 Minutes ou l'Agence France Presse - AFP), considérés de facto comme des «  sources d'informations sûres et vérifiées ».

 À l'origine d'une grande polémique, cette page anti « fake-news » avait  « vocation à disparaître une fois la crise terminée », selon l'ancienne porte-parole de l'exécutif. Une promesse qui n'allait pas avoir le temps de ne pas être tenue (à la différence d'autres). En effet, les réactions vives et hostiles de sociétés de journalistes-rédacteurs, condensées dans une tribune intitulée « l'État n'est pas l'arbitre de l'information », ainsi qu'un recours déposé en urgence devant le Conseil d'État par le Syndicat national des journalistes (SNJ) ont entraîné sa suppression immédiate.

Stéphane Durand-Souffland, du Figaro,  synthétisait à l'époque l'ensemble des griefs à l'encontre de ce mécanisme « pas du tout respectueux de la liberté (...) de la presse ». Il rappelait que « les journalistes sont indépendants des pouvoirs politiques » et que l'arbitraire apparent de l'exécutif, qui donne les bons et les mauvais points selon les publications, aurait laissé « entendre que les autres articles (d'autres titres) ne sont pas fiables ». Un tri inepte lorsque ce qui compte avant tout est « d'avoir des sources multiples« .

À son tour, le grand reporter et directeur du Monde  Luc Bronner sur France Culture avait décrit les évidents dangers de ce trouble mélange des genres :  »Le gouvernement apporte une sorte de labellisation à certains contenus et pas à d'autres. (…) Quand on regarde les articles sélectionnés, ils ne relèvent en rien des articles qui ont pu être critiques sur certaines décisions prises par le gouvernement. Et on a là d'emblée la difficulté. Lorsqu'un gouvernement essaie de labelliser des contenus, il va (...) évacuer les contenus critiques à son égard.«  Ou les contenus qui remettraient en cause certaines prises de décisions à propos de crises diverses.

La volonté du pouvoir en place de réaliser un filtrage de l'information existe de longue date. Le politique a de nombreuses fois légiféré à propos de ce qu'un médiateur de l'information peut dire ou ne pas dire, diffuser ou ne pas diffuser. En 1849,  la loi du 27 juillet sur la presse précise que  »la publication ou reproduction, faite de mauvaise foi, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, lorsque ces nouvelles ou pièces sont de nature à troubler la paix publique, sera punie d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de cinquante francs à mille francs« . 

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse considère comme un délit la publication de fausses nouvelles. Elle prévoit aussi que le ministre de l'Intérieur puisse mettre fin à la circulation et à la distribution de journaux  »de provenance étrangère« , y compris ceux rédigés en français. L'article L97 du code électoral, mis à jour en 2002, s'attache quant à lui à ce que la  »désinformation«  ne survienne pas semer l'anarchie au moment des élections :  »Ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros.« 

Le président Macron a voulu ajouter sa pierre à cet édifice pour le moins sensible en proposant une nouvelle loi »contre la manipulation de l'information« , couramment nommée  »loi infox« . Votée et promulguée fin 2018, celle-ci vise à  »mieux protéger la démocratie contre les diverses formes de diffusion intentionnelles de fausses nouvelles« . Déjà vu ? Une innovation toutefois : il revient désormais au juge des référés (une fois saisi) d'apprécier en 48 heures si de fausses informations sont diffusées de manière  »artificielle, automatisée«  et  »massive«  par des  »opérateurs de plateformes« .

Ces »opérateurs« sont une autre nouveauté que le législateur prend en compte. Partie intégrante de la nébuleuse des Big Techs, ils sont la propriété quasi exclusive de puissantes multinationales des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Grâce à la mise au point et au développement de »plateformes« de diffusion vidéo, de réseaux sociaux ou de ventes en ligne, ces entreprises se sont enrichies massivement depuis les années 2000.

  • Prochaine partie : La toute-puissance financière des Big Techs

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Photo de Giorgio Trovato sur unsplash.com

Retrouvez la première partie de cette enquête : Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Partie 1) Politique et info, un vieux couple français

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