Gilles Gianni, France-Soir
Big Techs : une dense toile d'araignée s'est tissée petit à petit, telle une matrice...
Photo de Markus Spiske sur unsplash.com
Enquête en plusieurs parties - Comment l'Union Européenne veut contrôler l'information grâce aux Big Techs. Du fact-checking aux agences de renseignements américaines : aux origines d'une prison digitale.
- Retrouvez la partie 1) Politique et info, un vieux couple français
- Partie 2) La toute-puissance financière des Big Techs
INTRODUCTION - Pendant la crise du Covid-19, les principaux médias français ont relayé, sans réelle distanciation, la communication gouvernementale et les positions de l'industrie pharmaceutique. La défense des confinements et du « tout-vaccin » est devenue un axiome inattaquable, défiant toute approche scientifique raisonnable et équilibrée. Au lieu d'enquêter, de vérifier et de varier les sources afin de nourrir un débat contradictoire, des cellules de « fact-checking », intégrées au sein des rédactions de presse et financées par les Big Techs, ont court-circuité le rôle du journaliste et ont torpillé tout débat critique et complexe. Sous prétexte de lutte contre la désinformation, ces partenariats invasifs ont été appuyés par l'Union Européenne, y compris avec des subventions. Ils font apparaître un nouveau mécanisme capable d'influencer les opinions publiques sur n'importe quel sujet. En coulisses, d'autres acteurs troubles modèlent l'information, des think-tanks mais aussi diverses agences internationales du renseignement. Au sein de ce décor, le journalisme se transforme peu à peu en un inquiétant outil de contrôle et de surveillance des idées, avec des velléités de museler la liberté d'expression. L'Europe est-elle en train de devenir une prison digitale de l'information ?
PARTIE 3 - Les Big Techs ont su imposer au monde et à nos sociétés occidentales une somme de « dépendances numériques » qui dépassent de très loin le seul secteur de l'informatique. Une dense toile d'araignée s'est tissée petit à petit :
a) autour des utilisateurs de services en ligne, très attachés aux services bien connus précédemment cités, souvent gratuits. En retour, ceux-ci deviennent « le produit » et subissent le pillage organisé de leurs données personnelles.
Une moisson qui permet aux Big Techs de vendre en retour à prix d'or des espaces publicitaires très ciblés et de plus en plus demandés (Amazon, Google et Facebook contrôlent plus de 50% des investissements publicitaires aux États-Unis, tous supports confondus) et de renforcer encore et encore leurs positions commerciales.
b) autour des acteurs traditionnels de la sphère économique. Les commerces, les PME ou les artisans sont tout autant tracés, analysés et sous contrôle que leur clientèle. Pour échanger avec leurs clients, pour faire connaître et rendre accessibles leurs produits, ils sont obligés d'investir et d'accepter les conditions des GAMAM-BATX. Les Big Techs qui contrôlent les « marketplaces » (et bientôt les « metaverses ») sont par conséquent en capacité de redessiner les grandes lignes d'un marché à leur guise et d'influencer son développement, voire d'en racheter des acteurs « réels » entrant dans leur business-model.
c) autour du stockage des données, autour des applicatifs de smartphones. Une fois les données personnelles récupérées, celles-ci sont stockées, à l'instar des innombrables flux liés aux activités digitales. Les services spécialisés dans les prestations de cloud computing (hébergement de données) des Big Techs s'en occupent, tel le service AWS d'Amazon (plus rentable encore que ses ventes en e-commerce). Ce dernier règne aussi sur les modules de programmation « clefs en main » comme les Software Development Toolkit qui permettent la mise au point des applications sur smartphones.
D'un côté les Big Techs participent au dévoilement de nos données personnelles via leur contrôle du cloud et leur exploitation commerciale ; d'un autre celles-ci ont la main sur (voire construisent eux-mêmes) des appareils qui peuvent servir d'interface de contrôle et de surveillance des faits et gestes de leurs utilisateurs. Si le « pass vaccinal » ou « green pass » en a été récemment l'illustration la plus remarquable, il ne faut pas oublier les « digitalisations » menées par exemple sur des opérations courantes des services publics (comme pour acheter un timbre postal ou fiscal) ou d'identification dites de sécurité pour accéder à un service bancaire.
d) autour des infrastructures de télécommunications, des services publics. Pour être collectées et exploitées, les données et les informations doivent être transmises et échangées. En la matière, la dépendance des États vis-à-vis d'infrastructures et de réseaux de télécommunication ( câbles sous-marins, satellites) devenus privés est aussi importante que méconnue. Les Big Techs en deviennent progressivement les nouveaux propriétaires, créateurs et financiers à l'échelle de continents. Il s'agit là d'une position dominante de premier choix, qui offre un levier de contrôle stratégique et qui pourrait théoriquement aller jusqu'à une « fermeture du robinet » à leur bon vouloir.
e) autour de notre psychologie sociale. Les outils des Big Techs se sont imposés grâce à leur indéniable pouvoir « addictif » intrinsèque, fruit d'un travail de recherche lié à la psychologie comportementale, qui peut appréhender l'utilisateur jusque dans sa biologie avec la mise en place d'un schéma de « bénéfice-récompense ».
Un schéma renforcé pendant la crise sanitaire : l'information devient un divertissement, parsemé de mécanismes d'évaluation (les « likes ») qui façonnent en retour nos réactions et nos émotions. Évaluations qui peuvent être biaisées (avec par exemple des achats de « likes »), et qui dans tous les cas peuvent amener à une forme d'attente de l'événement et de passivité face à l'action politique. Facebook mène à ce propos des expériences psycho-sociales mais exclut de sa plateforme des chercheurs indépendants qui souhaiteraient approfondir le sujet.
- À suivre, partie 4) La dépendance des médias et l'avènement du fact-checking