Par Oscar Grenfell
18 août 2020
Un groupe de 152 éminents juristes du monde entier, ainsi que 15 associations d'avocats, ont publié ce matin une lettre ouverte au gouvernement britannique qui détaille une litanie d'abus perpétrés contre Julian Assange. Il s'agit du système judiciaire du pays et de tous les gouvernements qui ont poursuivi le fondateur de WikiLeaks au cours de la dernière décennie.
Le document de 10 pages est un examen méticuleux du cas d'Assange. Cela comprend la tentative actuelle de l'extrader de Grande-Bretagne vers les États-Unis où il risque la prison à vie pour avoir publié des preuves de crimes de guerre et de conspirations diplomatiques mondiales.
Sa conclusion, appuyée par de nombreuses citations de la législation pertinente, est sans équivoque: la campagne contre Assange se trouve fondée sur des violations flagrantes du droit national et international, et le fondateur de WikiLeaks doit être immédiatement libéré de prison.
Les signataires écrivent que les destinataires de la lettre sont le Premier ministre britannique Boris Johnson, le ministre de la justice Robert Buckland, le ministre des affaires étrangères Dominic Raab et le ministre de l'intérieur Priti Patel. La lettre signale que ces derniers sont légalement tenus d'accorder à «M. Assange la liberté qui lui est due depuis longtemps - la liberté de ne pas être soumis à la torture, à la détention arbitraire et à la privation de liberté, et à la persécution politique.»
Julian Assange
La lettre a été publiée quelques jours seulement après la dernière comparution d'Assange devant un tribunal britannique vendredi dernier, qui a porté le caractère kafkaïen des procédures précédentes à de nouveaux sommets. Comme cela a été le cas tout au long de la crise du coronavirus, la presse s'est faite effectivement exclure de l'audience par le biais d'une connexion défectueuse. Les procureurs américains ne se sont pas présentés, et Assange ne s'est trouvé connecté par vidéoconférence qu'à la dernière minute.
Le plus flagrant est que les procureurs américains ont soumis aux autorités britanniques un nouvel acte d'accusation contre Assange deux jours avant le début de l'audience et une nouvelle demande d'extradition la veille de celle-ci. C'est plus d'un an après l'expiration du délai imparti aux États-Unis pour soumettre leur dernier acte d'accusation, et à quelques semaines seulement de l'audience d'extradition d'Assange prévue en septembre.
Assange n'a pas encore été arrêté de nouveau sur la base du nouvel acte d'accusation. Il est pratiquement dans un vide juridique, étant détenu sur la base d'un précédent acte d'accusation qui s'est fait annuler. Comme l'a commenté le WSWS samedi, le nouvel acte d'accusation, qui ne contient aucune nouvelle accusation ou preuve, place les avocats d'Assange devant un dilemme impossible. Soit ils acceptent que l'audience de septembre se poursuive malgré le dépôt d'un acte d'accusation après que la défense ait finalisé son dossier. Soit ils demandent un report, prolongeant ainsi la détention d'Assange.
La lettre d'aujourd'hui démontre que cette situation sans précédent est l'aboutissement de dix ans d'abus juridiques.
Les premières sections du document soulignent l'illégalité flagrante de la tentative d'extradition d'Assange vers les États-Unis. S'il est remis à ses persécuteurs américains, Assange «risque un procès pour l'exemple devant le tristement célèbre "Tribunal de Espionage" du district Est de Virginie, devant lequel aucun accusé pour atteinte à la sécurité nationale n'a jamais obtenu gain de cause.» Il se verrait refuser le droit à un procès devant un jury de gens ordinaires, et sera jugé par un ensemble d'agents des renseignements triés sur le volet ou d'autres gens liés au gouvernement.
Les droits d'Assange au legal privilege [une version particulièrement forte en droit anglo-saxon de la confidentialité des échanges entre le client et l'avocat] dans une telle procédure, notent les auteurs de la lettre, se trouvent déjà violé par la surveillance bien documentée exercée contre lui en tant que réfugié politique à l'ambassade de l'Équateur à Londres par la CIA.
Cette surveillance comprenait des enregistrements illégaux de ses discussions avec des avocats, ce qui constitue une «violation irrémédiable des droits fondamentaux de M. Assange à un procès équitable en vertu de l'art. 6 de la CEDH [Convention européenne des droits de l'homme] et à un procès équitable en vertu de la Constitution américaine.» La protection du legal privilege contenue dans la CEDH est, selon la lettre, reconnue depuis longtemps dans la common law anglaise. Tandis que le droit inaliénable à un procès équitable est inscrit dans le Modèle de traité sur l'extradition publié par les Nations unies.
L'envoi d'Assange aux États-Unis serait illégal en vertu des dispositions du traité existant entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui interdisent explicitement les extraditions pour des délits politiques. Assange est inculpé sur la base d'une loi explicitement politique, la loi américaine sur l'espionnage.
Le caractère politique des poursuites se trouve démontré par «l'essence des 18 accusations» portées contre lui, qui sont toutes basées sur son «intention présumée d'obtenir ou de divulguer des secrets d'État américain. Et cela d'une manière préjudiciable aux intérêts stratégiques et de sécurité nationale de l'État américain; à la capacité de ses forces armées; au travail des services de sécurité et de renseignement des États-Unis; et aux intérêts des États-Unis à l'étranger.»
Les signataires citent les avertissements du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, selon lesquels Assange ferait face inévitablement à «la torture ou à d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» si l'on extrade. Il se trouvera mis en prison en vertu de «mesures administratives spéciales», auxquelles sont soumis de nombreux terroristes condamnés aux États-Unis, impliquant un isolement total et des conditions décrites par les organisations de défense des droits comme une «mort vivante».
Cela constituerait une violation des interdictions du droit international relatives au refoulement des réfugiés politiques vers les responsables de leur persécution. Le statut d'Assange de réfugié politique a été maintes fois confirmé par les Nations unies, et son abrogation a été effectuée par les autorités équatoriennes et britanniques l'année dernière en violation du droit international.
Les auteurs de la lettre soulignent les implications plus larges du cas d'Assange. Une procédure américaine réussie annulerait les principes de la liberté de la presse, sapant non seulement la Constitution américaine, mais aussi les protections juridiques des journalistes en Europe et dans le monde.
La seconde moitié de la lettre détaille les abus que le système judiciaire britannique a perpétrés contre Assange sous la direction du gouvernement du pays. Ces abus sont presque trop nombreux pour être détaillés de manière individuelle. Ils incluent cependant le fait que les autorités britanniques n'ont rien fait pour répondre à la conclusion du fonctionnaire des Nations unies Melzer selon laquelle Assange est déjà soumis à la «torture psychologique». Notamment en ce qui concerne les conditions de sa détention et au rejet des avertissements selon lesquels sa santé s'est détériorée au point qu'il pourrait mourir en prison.
Les violations du droit du fondateur de WikiLeaks à un procès équitable incluent le fait que la magistrate en chef, Emma Arbuthnot, a un conflit d'intérêts judiciaire évident en raison de ses liens étroits avec l'appareil de sécurité et de renseignement; l'«inégalité des armes» s'exprime dans l'incapacité d'Assange à préparer sa propre défense et le fait qu'on ne le laisse pas diriger son équipe juridique ou même suivre correctement les procédures qui le visent.
Les signataires, à leur honneur, ne mâchent pas leurs mots. Ils «condamnent le déni du droit de M. Assange à un procès équitable devant les tribunaux britanniques». Ils concluent en insistant pour que «le gouvernement britannique mette fin à la procédure d'extradition américaine contre M. Assange et assure sa libération immédiate.»
Ceux qui ont initié et soutenu la lettre ont un poids important. Les associations juridiques qui l'ont approuvée comprennent des associations nationales d'avocats et de juristes de pays aussi divers que les États-Unis, l'Inde, l'Ukraine et le Brésil. Parmi elles figurent des organismes qui représentent les professionnels du droit sur des continents entiers, notamment l'Association du barreau africain et l'Association européenne des avocats pour la démocratie et les droits de l'Homme.
Deux d'entre elles, l'Association internationale des juristes démocrates (AIJD) et l'Association des juristes américains (AAL), ont un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies, le plus haut statut des Nations unies accordé aux ONG.
Les signataires individuels viennent du monde entier et comprennent des praticiens du droit de renom tels que le Britannique Lord Hendy QC et l'avocat australien et défenseur des droits de l'Homme Julian Burnside.
Cette lettre est une preuve supplémentaire, s'il en était besoin, que la persécution d'Assange est une parodie de justice menaçant les normes juridiques et démocratiques qui, au moins sur le papier, protègent les droits de millions, voire de milliards de personnes dans le monde. Il n'est pas exagéré de dire que l'anarchie de son traitement par les autorités britanniques ne rappelle rien tant que les actions des régimes dictatoriaux qui sont arrivés au pouvoir en Europe occidentale au cours de la dernière période d'effondrement du capitalisme dans les années 30 et 40.
C'est significatif que les signataires se soient formellement constitués en «Avocats pour Assange». Cela fait suite à la création, l'année dernière, de «Médecins pour Assange», un groupe de plus de 200 experts médicaux, et 1498 journalistes dans 99 pays ont approuvé la céation de «Journalistes pour Assange». En juillet, des dizaines d'organisations de défense de la vie privée, des droits de l'homme et de la liberté de la presse ont adressé une lettre ouverte au gouvernement britannique pour demander la libération immédiate d'Assange.
Prises ensemble, ces initiatives donnent un aperçu de la véritable opinion publique mondiale sur l'affaire Assange, qui est généralement étouffée par les médias bourgeois serviles. Pour ceux qui défendent les droits démocratiques, les actions des gouvernements américain et britannique sont celles d'États «voyous», sans aucun respect pour l'État de droit. Assange est un journaliste héroïque qui est persécuté pour avoir publié la vérité.
La détermination des grandes puissances à engager des poursuites contre Assange démontre l'importance de l'enjeu de cette affaire. Elle souligne le fait que la libération du fondateur de WikiLeaks ne nécessite rien de moins que la mobilisation de la classe ouvrière au niveau international. La base objective d'une telle mobilisation existe dans la résurgence de la lutte des classes et l'immense désaffection sociale et politique partout.
(Article paru d'abord en anglais le 17 août 2020)