06/12/2019 reporterre.net  10 min #165588

Plusieurs centaines de milliers de manifestants contre la réforme des retraites (En Continu)

De la Maison du peuple à l'hôpital, une journée de mobilisation à Saint-Nazaire

À Saint-Nazaire, la Maison du peuple, immense espace squatté du centre-ville, sert de base arrière au mouvement social. Jeudi 5 décembre, ses occupantes et occupants ont rejoint la manifestation qui a réuni près de 9.000 personnes : dockers, Gilets jaunes, postières, collectifs féministes, employés de la raffinerie de Donges... Reportage en images.

  • Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), reportage|

La nouvelle Maison du peuple de Saint-Nazaire a ouvert ses portes en plein centre-ville début novembre 2019. Cet espace de près de 3.000 mètres carrés abritait un restaurant asiatique ainsi qu'un vieux cinéma (anciennement « le Normandie ») désaffecté depuis de nombreuses années. Les personnes qui ont fait le pari d'occuper cette nouvelle bâtisse se préparent à une audience au tribunal le 11 décembre, espérant pouvoir y rester et en faire un lieu de solidarité, d'éducation populaire et de convergence des luttes.

Les Amajaunes ornent leurs gilets jaunes en vue de la manif. Émilie, 28 ans, fait partie de ce groupe féministe. « En tant que femme, on a parfois du mal à s'imposer face aux hommes, notamment dans les assemblées. Les Amajaunes est un concept qui existe ailleurs, on trouvait pertinent de le faire exister ici. On est nombreuses à avoir subi des violences, on a envie de se serrer les coudes. On met en place des groupes d'écriture et de parole pour mettre des mots sur ce qu'on a subi, et aussi pour mettre en place des moyens d'entraide. Pour l'instant, on est une grosse dizaine et on se retrouve ici à la Maison du peuple. »

Un groupe peaufine les derniers préparatifs avant la manifestation contre la réforme des retraites dans une des salles de la Maison du peuple de Saint-Nazaire. Pour les sympathisants et occupants de la Maison du peuple, la journée s'annonce chargée : manif à 10 h, soutien aux grévistes hospitaliers à 14 h 30, assemblée intersyndicale à 16 h 30 et assemblée générale des Gilets jaunes en fin de journée. Les jours suivants, il y a aussi de quoi faire : l'immense bâtiment a besoin d'un sérieux coup de frais, et les bonnes volontés ne sont pas de trop pour le nettoyer, ainsi que son petit jardin et sa terrasse. Pas évident sans eau ni électricité.

Les sympathisants et occupants de la Maison du peuple, peu « Macron-compatibles », font pourtant partie de la France qui se lève tôt. Dès 8 h, une bonne dizaine de motivés se sont retrouvées autour de thermos de café afin de mettre une dernière touche aux préparatifs de manifestation : relire et corriger une prise de parole, fignoler les banderoles, mais aussi mettre une dernière touche au bar mobile en palettes dédié à proposer du café à prix libre sur le trajet de la manifestation. À 10 h, branlebas de combat, c'est le top départ pour rejoindre le cortège. En jaune, bien sûr, mais aussi en rouge et noir.

À partir de 10 h, la place de l'Amérique latine de Saint-Nazaire se remplit. On estime, au plus fort de la manifestation, un nombre de 8.000 à 9.000 personnes. Sur place, les prises de parole s'enchainent avant que le cortège ne s'élance. Le trajet, relativement court, ne sera émaillé d'aucun incident. Il faut dire que les forces de l'ordre ont eu la bonne idée de se montrer discrètes, même si huit fourgons de gendarmes mobiles avaient pris place dans les rues adjacentes.

Le cortège n'est pas encore parti. Les dockers sont là, déterminés, et le font savoir en craquant quelques fumigènes. Ils sont venus en nombre, mais pas facile d'en trouver un ou une qui souhaite s'exprimer. Karl, 54 ans, docker depuis 37 ans, se dévoue, même s'il ne souhaite pas apparaitre en photo. Il est remonté contre le gouvernement : « On entre dans la lutte et on ira jusqu'au bout. Cette réforme affecte tout le monde chez nous : les grutiers, les dockers, les marins. On lâchera rien : s'il le faut, on en viendra aux blocages. Déjà, on ne fait plus d'heures sup à partir de lundi. Vu nos conditions de travail, il est hors de question qu'on travaille jusqu'à 65 ans. Qu'ils rabotent leurs privilèges à eux, ministres et députés, avant de nous donner des leçons. »

Le cortège s'agrège petit à petit : banderoles, drapeaux syndicaux et fumigènes sont de sortie. L'ambiance est tranquille. Les dockers du port de Nantes-Saint-Nazaire sont venus en nombre.

« Métro, boulot, caveau » : voilà comment les postières résument la vie que leur prépare le gouvernement. Elles sont venues de Savenay, de Blain, de La Baule, et elles comptent bien avoir gain de cause. Aline, 37 ans, comptabilise 18 ans de métier « pour arriver à 1.350 euros net mensuels, et toujours pas de prime à l'horizon ». Elle et ses collègues sont à bout. Leur situation professionnelle se dégrade de semaine en semaine. « On n'a pas assez de personnel, pas de renforts, pas assez de véhicules, des cadences toujours plus soutenues, tout ça pour un salaire de misère. On passe de plus en plus de temps dehors, car le travail à l'intérieur s'automatise, mais la pénibilité n'est pas reconnue alors qu'elle est bien réelle. Notre régime spécial a déjà été aboli avec les réformes de 1995 et de 2003, on ne veut pas continuer a se faire plumer. »

Sur le trajet de la manifestation, on peut croiser un caddie-bar qui propose du « tchaï » et du café à prix libre. Il est conduit par Les Amies de May, un jeune collectif qui a pignon sur rue à Saint-Nazaire, et dont le nom rend hommage à May Piqueray, une anarchiste antimilitariste ayant vécu dans la ville. Nathalie, 45 ans, fait partie de l'équipe et enseigne au lycée expérimental de Saint-Nazaire. « Nous avons créé ce lieu autogéré pour faire du lien entre les habitants, les habitantes et les associations, susciter le débat, proposer des soirées thématiques... Ce lieu de résistance et d'émancipation collective s'inscrit tout naturellement dans les luttes sociales actuelles, assurance chômage, retraites... Les colères sont multiples et légitimes, on les soutient à notre manière. »

« 1789 - 2019 : La France en colère, toujours la même galère. » Un petit clin d'œil historique pour rappeler que le peuple n'a pas (totalement) perdu son esprit de révolte.

« Sourie_ion, anti gaspi, Saint Nazaire », peut-on lire sur le dos d'un gilet jaune. Face au désastre social en cours, certains et certaines organisent l'entraide : c'est le cas de Patrick, un fringant sexagénaire qui préfère être photographié de dos, et qui participe à faire vivre un groupe « d'électrons libres, de citoyens volontaires et solidaires ». Il explique : « À l'origine, l'idée émane de deux femmes Gilets jaunes, rejointes par des personnes de Saint-Brévin, Pornichet et Saint-Nazaire. On est maintenant 25 personnes, et on a commencé nos actions  après l'Assemblée des assemblées des Gilets jaunes. » L'objectif de ce groupe informel, non constitué en association, est de venir en aide aux plus démunis en faisant de la récup' sur les marchés, avant de transformer et de redistribuer les produits. « La mairie nous a laissé l'usage d'un local. On aide les commerçants sur les marchés, et eux nous laissent les invendus, afin qu'on puisse en faire profiter les personnes en difficulté et sans domicile. »

Le bar mobile de la Maison du peuple progresse dans le cortège, distribuant du café à prix libre. Les personnes impliquées en profitent pour parler de la nouvelle Maison du peuple, qui a toujours besoin de bonnes volontés et de personnes motivées pour réhabiliter et faire vivre le lieu.

La manif, après un trajet assez court, arrive à la sous-préfecture. C'est l'occasion de rencontrer Christophe, qui travaille à la raffinerie de Donges. Il est dans la rue pour mettre la pression sur le gouvernement, mais, précise-t-il avec un sourire malicieux, « la raffinerie n'est pas bloquée, sauf que... il n'y a plus rien qui en sort ! Pas la peine de bloquer, car plus personne ne bosse, sauf les personnes chargées de la sécurité. On est en grève depuis hier [mercredi 4 décembre] et ce jusqu'à vendredi 21 h. On retravaille ce weekend et lundi. Mardi, on a une assemblée générale pour décider de la reconduction du mouvement si rien ne bouge ». Ce qu'ils veulent ? « le retrait pur et simple de la réforme ! On a fait trois semaines en 2010, trois en 2016, on est prêts ! On travaille la nuit, le weekend et les jours fériés. Nos ouvriers sont détruits, et avec cette réforme, on a tout à perdre ».

Arrivées à la sous-préfecture, les Guerrières de l'Ouest montrent les muscles ! Ce jeune collectif nazaréen a vu le jour en septembre en réponse aux violences sexistes. Élodie explique : « On fait des actions comme des collages dans la rue pour dénoncer les féminicides, ou des actions de sensibilisation dans les cinémas contre Polanski. On est une dizaine de meufs à intervenir contre les violences conjugales et pour promouvoir encore et encore la notion de consentement. On travaille avec d'autres groupes, comme "Ils ne nous feront pas taire" et les Amajaunes. » En projet, une marche des fiertés et la création d'une « safe team », un groupe de femmes qui arpentent les bars et lieux de nuit afin de sensibiliser le personnel aux dangers de la drague lourde. En se promenant dans Saint-Nazaire, on peut croiser les collages encore en place.

Un autocollant du groupe des guerrières de l'Ouest.

« Nos pavés ne rentrent pas dans vos urnes » : message posé devant la sous-préfecture.

« Nique la peau lisse », un autocollant féministe a été malicieusement collé sur une voiture de police.

Après la manifestation, les occupants et occupantes de la Maison du peuple se sont déplacés à l'hôpital en soutien avec les soignants. Le hall est rempli Gilets jaunes et de drapeaux syndicaux. Sophie, aide-soignante, explique, dépitée : « On n'en veut pas de cette retraite à points. Nous, on ne peut pas vraiment faire grève, car on est tenues à un service minimum. On s'est inscrites comme grévistes, mais on bosse quand même. L'hôpital crève : pas assez de moyens pas assez d'embauches. Macron veut casser notre système de santé et tous les services publics. Chez les aides-soignantes, la moitié d'entre elles n'arrivent pas au bout de leur carrière, car elles sont cassées, c'est un métier extrêmement pénible. Alors cette réforme... »

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