13/01/2020 entelekheia.fr  23min #167424

 Les Etats-Unis tuent le général iranien Soleimani dans une frappe à Bagdad, Téhéran crie «vengeance»

De quelques leçons de l'assassinat de Qassem Soleimani !

Ce que l'affaire de l'assassinat illégal d'un général de tout premier plan d'un pays souverain, l'Iran, par les USA nous dit de la diplomatie française et plus largement européenne On pourra se remémorer  les paroles de Gorbatchev en 2014 : « Au lieu de devenir un leader du changement dans un monde global, l'Europe s'est transformée en une arène de bouleversements politiques, de concurrence pour des sphères d'influence et enfin de conflits militaires.

La conséquence en est inévitablement l'affaiblissement de l'Europe à un moment où d'autres centres de pouvoir et d'influence prennent de l'ampleur. Si cela continue, l'Europe perdra une voix forte dans les affaires mondiales et deviendra progressivement inutile ».

Six ans après, nous y sommes.

Il faut noter, toutefois, que certains pays de l'UE, au premier rang desquels l'Allemagne avec l'avancement de son projet de gazoduc russo-allemand Nord Stream 2 malgré  les menaces de sanctions de Washington, ou encore  l'Italie avec son adhésion à la nouvelle Route de la soie chinoise, sont en train de reprendre une relative indépendance, mais individuellement, hors des mécanismes de l'UE, qui est effectivement devenue aussi inutile que Gorbachev l'avait prédit.

Quant à la France, comme nous le verrons plus bas, elle reste à la traîne du vrai « nouveau monde » - celui qui, géopolitiquement, est en train de se construire sous nos yeux. - Entelekheia

Par Guillaume Berlat
Paru sur  Proche et Moyen-Orient

« Les vrais artistes ne méprisent rien : ils s'obligent à comprendre au lieu de juger » 1. Dans les relations internationales comme dans la diplomatie, une saine retenue s'impose avant de porter des jugements définitifs à chaud sur une situation paroxystique comme nous en connaissons pas mal en ce début du XXIe siècle.

L'élimination du général iranien Qassem Soleimani 2 par un missile américain tiré depuis un drone 3 près de l'aéroport de Bagdad donne lieu à une débauche d'élucubrations de nos ventriloques du pouvoir, perroquets à carte de presse et de nos pseudo-experts - ceux que Régis Debray qualifient de « toutologues » - de tout mais surtout de rien sur les chaînes d'abrutissement en continu, n'échappe pas à la règle. 4 Dans une débauche d'émotions à quatre sous, nos grands penseurs se dépensent sans compter au lieu de penser sans répit. 5

Les mêmes poncifs tournent en boucle sur les réseaux prétendument sociaux. Au-delà des balivernes et autres commentaires biaisés dont nous sommes abreuvés, 6 il importe de revenir au réel, à la vérité des faits, au contenu des règles universelles du droit international en s'attachant à quelques axes de réflexion incontournables. Pour la commodité et la simplicité de l'exposé, nous en retiendrons trois portant sur les prestations des États-Unis, de l'Union européenne et de la France.

Une Amérique insolente : un État voyou

Après le rappel de quelques principes de droit qui régissent le fonctionnement de la société internationale, il est utile de s'interroger sur la pratique quotidienne suivie par les États-Unis qui s'apparente à celle d'un État voyou. L'affaire irako-iranienne en fournit un exemple éclairant pour celui qui veut prendre le temps d'étudier attentivement les faits concernés, les mots employés souvent à tort et à travers.

De quelques rappels de principes de droit

Ce que le président des États-Unis a ordonné de faire à ses nervis porte, qu'on le veuille ou non, un nom pudique : assassinat ou exécution extrajudiciaire ! François Hollande, chef de l'État de la patrie autoproclamée des droits de l'homme, était coutumier du fait comme il s'en est ouvert à son temps à deux journalistes d'investigation du Monde. 7 Comment peut-on définir ce concept sur le strict plan du droit positif ? Reportons-nous aux textes qui font foi sur le site des Nations unies ! Une référence officielle incontestable qui commence à faire débat aux États-Unis8.

Début de citation

Qu'est-ce qu'une exécution extra-judiciaire ?

Le droit à la vie est le premier et le plus fondamental des droits des individus, sans lequel il est impossible de jouir d'autres droits. L'exécution extrajudiciaire, qui constitue une violation de ce droit, désigne un homicide commis délibérément par un agent d'État, ou avec son consentement, sans procès préalable offrant toutes les garanties judiciaires, telles qu'une procédure équitable et impartiale.

Les États ont l'obligation de promouvoir et de protéger le droit à la vie, et de traduire en justice les responsables d'exécutions extrajudiciaires. Pourtant, les Nations unies enregistrent un nombre croissant d'homicides « ciblés » perpétrés par les États, le plus souvent en réponse à des menaces terroristes, ce qui montre que la lutte doit s'intensifier.

Les exécutions extra-judiciaires en droit international

Dans le cadre d'un conflit armé et dans certaines circonstances, les exécutions extrajudiciaires peuvent être considérées comme un crime de guerre. Elles peuvent aussi équivaloir à un génocide ou à un crime contre l'humanité dans certaines situations ou si elles s'inscrivent dans une pratique collective.

Le droit à la vie est protégé par plusieurs traités internationaux, notamment :

La  Déclaration universelle des droits de l'homme (1948)

Le  Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966)

Les  Conventions de Genève (1949)

La Convention européenne des droits de l'homme (1950)

La  Convention américaine relative aux droits de l'homme (1969)

La  Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (1981)9

Au sein de l'Organisation des Nations unies, existe un poste de rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Depuis le 1er août 2016, il s'agit d'une de nos compatriotes, Agnès Callamard Elle s'st particulièrement fait connaître à la suite de son rapport sur l'affaire Khashoggi. Rappelons que le mandat du Rapporteur spécial sur les exécutions sommaires ou arbitraires fut établi par la résolution 1982/35 du Conseil économique et social. La résolution 1992/72 de la Commission des droits de l'homme a renouvelé le mandat du Rapporteur spécial pour une durée de trois ans. La résolution a élargi le champ du mandat en ajoutant à son titre exécutions « extrajudiciaires » ainsi que « sommaires ou arbitraires ». Ce changement a révélé que les membres de la Commission ont saisi une approche plus large pour aborder le mandat des exécutions en incluant toutes les violations du droit à la vie, tel qu'il est garanti par un grand nombre d'instruments internationaux des droits de l'homme. Dans sa dernière résolution  ap.ohchr.org, le Conseil des droits de l'homme a prolongé le mandat du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires pour une durée de trois ans. Le mandat du Rapporteur spécial couvre tous les pays, qu'ils aient ou non ratifié les conventions internationales pertinentes. 10

Fin de citation

De quelques rappels des pratiques d'une Amérique hors-droit

Une fois de plus, le « peuple à la destinée manifeste » démontre le peu de cas qu'il fait de la légalité internationale, s'estimant hors-droit, hors la loi internationale, gendarme du monde. 11 Comme dans le droit interne, sauf de rares exceptions, il existe en droit international un adage bien connu : « Nul ne peut se faire justice à soi-même ». C'est exactement ce à quoi se livrent les États-Unis dans un silence assourdissant de la part de leurs alliés, pour ne pas dire de leurs idiots utiles, le petit doigt sur la couture du pantalon. Par ailleurs, rappelons que l'Amérique arrogante refuse d'adhérer à toutes les conventions internationales qui pourraient limiter sa marge de manœuvre (statut de la Cour pénale internationale ou CPI, interdiction des essais nucléaires ou TICEN...), déchire celles dont elle ne veut plus (traité ABM, FNI, cieux ouverts, accord nucléaire iranien, accord sur le climat...), s'éloigne ou bloque le fonctionnement de certaines organisations internationales (UNESCO, OCDE...).

Et, au surplus, elle se paie le luxe de considérer le droit américain comme étant d'application extraterritoriale sans jamais avoir été sanctionnée pour cette énormité inacceptable. 12 C'est le bien connu, faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais. On ne saurait être plus clair sur le statut exorbitant du droit commun dont jouit un État qui se considère comme la conscience morale universelle et se comporte, en conséquence, en cowboy du monde. En un mot, comme un État voyou (« Rogue State »). 13 Il est déroutant de lire sous la plume d'un chercheur particulièrement au fait de la grammaire des relations internationales que l'exécution de Soleimani est « une décision ciblée et calibrée ». 14 Où va-t-on si chacun peut violer à sa guise la bible de la vie en société civilisé que constitue la Charte de l'ONU ? Vers la fin d'un monde de la paix par le droit à celui de la paix par la force la plus débridée et la plus illégale. Et l'on ne sait pas où tout cela peut conduire si ce n'est à une grande déflagration planétaire. 15 Surtout lorsque les militaires prennent le pas sur les diplomates, les faucons sur les colombes. 16 Et que la guerre et la paix sont motivées par des obsessions. 17

Il ne faut surtout pas compter sur l'Union européenne pour jouer les modérateurs alors qu'elle est une parfaite adepte de la théorie de la servitude volontaire chère à Étienne de la Boétie.

Une Europe impuissante : un État fantôme

C'est bien connu, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent. L'Union européenne n'échappe pas à la règle. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle excelle dans le genre promesse de l'aube. Demain sera toujours meilleur qu'hier, telle est sa devise. 18 Il suffit d'un peu de patience et de beaucoup d'optimisme et nous vivrons dans le monde des bisounours. Mais, en fin de compte, c'est toujours le crépuscule des Dieux auxquels les citoyens de l'Union européenne ont droit sans qu'ils n'aient leur mot à dire.

La promesse de l'aube

Avec l'arrivée d'un nouvel exécutif (conseil et commission) et d'un nouveau législatif (parlement européen), nos « fédérastes » éminents nous avaient annoncé l'arrivée d'une Union style nouveau monde. Une sorte de nouveau Messie chargé de porter la bonne parole, de dispenser ses fameuses valeurs (à géométrie très variable) aux quatre coins d'une planète en plein désordre, de sanctionner les déviants à la mesure de leurs fautes. En un mot, cela allait changer par rapport au trio mou JUNCKER/TUSK/MOGHERINI qui se contentait de faire de la figuration sur une scène où les grands acteurs tenaient les grands rôles. Avec une « dream team » (celle d'Ursula von der Leyen) au sein de laquelle les femmes ont désormais le poids et la place qui leur revient, les délinquants n'ont qu'à bien se tenir. Ils comprendraient rapidement ce qui leur en coûte de dépasser les bornes de la bienséance internationale et diplomatique. La punition sera exemplaire. Les sanctions (comme celles infligées à la Russie après l'annexion de la Crimée) pleuvront comme à Gravelotte. Les hordes de technocrates européens déferleront sur les territoires des États voyous pour leur administrer une sévère correction en même temps qu'une leçon de droit et de morale. À Bruxelles sur technocratie, on ne badine pas avec le droit, les procédures, les règles. C'est du sérieux. Les comités Théodule fonctionnent à plein régime et, surtout, à vide. « Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait » (Michel Audiard, Les Tontons flingueurs de Georges Lautner). Et, une fois encore, les derniers développements de la crise en Irak tombent à point nommé pour nous le rappeler avec la plus grande force.

Le crépuscule des dieux

L'élimination extrajudiciaire du général iranien Qassem Soleimani 19 par la soldatesque du cowboy Trump allait nous fournir le premier exemple d'une Europe puissance, celle dont rêvait un certain Emmanuel Macron dans son discours sur la refondation de l'Union de la Sorbonne à l'automne 2017. Ce qui était largement prévisible arrivât. Le fameux tout change pour que rien ne change n'a pas pris la moindre ride en ce début de troisième décennie du XXIe siècle. Nous avons droit aux sempiternelles déclarations à l'eau de rose concoctées dans d'obscures bureaux des bâtiments du Berlaymont ou du Justus Lipsius « Le cycle de violence, de provocations et de représailles doit cesser en Irak, une escalade doit être évitée à tout prix » déclame le nouveau président du Conseil européen, le belge, Charles Michel après le tir qui a tué le général iranien Qassem Soleimani tandis que Londres appelait à la « désescalade ».

Quant au nouveau Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne (Ersatz de ministre européen des Affaires étrangères), Josep Borrel (Espagne), il a eu l'immense privilège de s'entretenir au téléphone le 3 janvier 2020 avec l'illustrissime ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères, le breton madré, Jean-Yves Le Chouchen. 20 Avec ces nouvelles, nous sommes clairement rassurés, la Troisième Guerre mondiale, ce n'est pas encore pour demain grâce à l'action bienfaitrice et bénéfique d'une Union toujours plus européenne mais de plus en plus désunie.

Toutefois, quelques esprits rebelles dont nous sommes, se posent tout de même quelques questions sur le fonctionnement de l'Union européenne en période de crise.

Tout d'abord, sur le plan des procédures. Nous n'avons pas entendu parler de la moindre réunion d'urgence, des ambassadeurs, du COPS, des ministres des Affaires étrangères ou de la Défense ou des mille bidules qui prolifèrent à Bruxelles pour faire un point de situation stratégique, militaire, humanitaire et juridique de la situation comme cela devrait se faire dans une énorme machinerie qu'est celle de l'Union européenne. 21 Le but serait de tenter d'harmoniser les positions des uns et des autres. Il est vrai que le machin tourne au ralenti, trêve des confiseurs oblige. Les technocrates bien payés n'auront pas de problème de retraites. Berlin, Paris et Londres appellent l'Iran à respecter l'accord nucléaire (?)

Quant à l'Union, elle invite à Bruxelles le ministre iranien des Affaires étrangères. « Retenue » et « désescalade » : tant au siège de l'OTAN qu'à celui du Service européen pour l'action extérieure de l'Union européenne, les mantras sont les mêmes, lundi 6 janvier 2019, après la montée des tensions entre les Etats-Unis et l'Iran à la suite de l'opération qui a tué, le 3 janvier, le général iranien Ghassem Soleimani, à Bagdad. Comme la plupart des dirigeants occidentaux le faisaient depuis quelques jours, le secrétaire général de l'Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, a appelé l'Iran, qui menace de se livrer à des représailles, à éviter « plus de violence et de provocations ». Le dirigeant norvégien avait décidé de réunir en urgence les 29 ambassadeurs auprès de son organisation, en présence de représentants de la diplomatie américaine.

Ces derniers ont expliqué « la posture et les déterminants » de l'administration Trump et estimé que la dissuasion à l'égard de Téhéran était désormais rétablie, résume un participant. Washington ambitionnait aussi de rassurer ses 28 alliés : la « désescalade » est aussi, désormais, une demande américaine, et la lutte contre l'organisation Etat islamique (EI) doit rester une priorité. Ce qui importe est donc de convaincre rapidement les autorités de Bagdad de la nécessaire poursuite des activités de la coalition internationale contre Daesh, rapporte un porte-parole. 22 Toujours de la pseudo-consultation des alliés pour les mettre devant le fait accompli et obtenir leur blanc-seing à des décisions prises sans la moindre concertation préalable ! Après qu'ils aient joué les pyromanes, les Américains demandent à leurs alliés de jouer les pompiers. 23 On comprend que les choses sérieuses se passent à l'OTAN 24 et non à l'Union européenne.

Ensuite, sur la substance même du problème. C'est tellement plus facile de renvoyer dos à dos Américains et Iraniens 25 que d'essayer de faire la part des choses à la lumière des faits objectifs. A-t-on oublié outre-Quiévrain que ce sont les États-Unis qui ont conduit en 2003 une guerre illégale en Irak pour opérer un changement de régime en bonne et due forme ? Saddam Hussein était accusé de détenir des armes de destruction massive (ADM) que l'on n'a du reste jamais trouvé et de soutenir les terroristes d'Al-Qaida, ce qui n'a jamais été prouvé. Depuis cette date, l'Irak est plongé dans un chaos indescriptible dont la cause principale n'est pas l'Iran mais les États-Unis qui ont démoli toutes les structures politiques, administratives, militaires irakiennes. Washington a créé de toute pièce un État failli.

A-t-on oublié outre-Quiévrain que ce sont les États-Unis qui ont déchiré l'accord sur le nucléaire iranien (Vienne, 14 juillet 2015) en violation de la règle Pacta sunt servanda alors que l'AEIA avait certifié que le régime iranien avait scrupuleusement respecté ses obligations contractuelles ? Peut-on raisonnablement reprocher à Téhéran de reprendre ses activités d'enrichissement de l'uranium alors que l'accord de Vienne est devenu caduc par le seul fait de Washington ? 26 Qu'a fait l'Europe pour sauver cet accord, hormis un vague bidule pour protéger le commerce avec l'Iran qui ne fonctionne pas ? Elle essaie de se mettre à l'abri de manière très maladroite et peu courageuse. 27 Il est important de remettre l'église au milieu du village en appelant un chat un chat surtout lorsqu'on évoque la possibilité d'un embrasement généralisé dans la région. 28

Les Vingt-Sept/Vingt-Huit en sont réduits au rôle de spectateurs impuissants qui hurlent dans le désert le mot « retenue », « désescalade », sans que les belligérants ne les entendent. « On est entré dans une nouvelle configuration dont les Européens ne voulaient pas, celle d'une confrontation très sérieuse, où l'heure n'est plus aux négociations... Dans ce contexte, l'Europe apparaît ignorée, voire méprisée » relève Joseph Bahout, chercheur associé au Centre Carnegie ! « Spectateurs impuissants de ce sombre suspense, les Européens se retrouvent une fois de plus entre le marteau et l'enclume, face à la promesse d'une guerre asymétrique et d'une nouvelle course aux armes nucléaires ». 29 Le moins que l'on puisse dire est que l'Union européenne, qu'il est interdit de critiquer sous peine de passer pour un odieux populiste, n'a pas son mot à dire et se contente de faire de la figuration. Figuration, même si le registre diplomatique est légèrement différent, de la France éternelle, mère des arts, des armes et des lois et autres plaisanteries du même acabit.

Une France inconséquente : un État fantoche

Comme souvent sur la scène internationale, les États les plus vocaux sont souvent les plus impuissants. On fait de la com' (édie) pour donner l'impression que l'on dispose d'une quelconque prise sur des évènements qui vous échappent. La communication à outrance fait office de stratégie, de tactique, tous éléments qui font cruellement défaut. La diplomatie de l'incantation n'est que le revers de la médaille de la diplomatie du vide le plus sidéral. L'affaire irako-iranienne illustre parfaitement cette réalité.

De la diplomatie de l'incantation

Faute d'avoir la moindre prise sur le réel, l'inflation des mots constitue la principale caractéristique de la diplomatie de la République en marche arrière depuis mai 2017. 30 En ce début d'année 2020, nous avons eu notre lot de bons mots en tous genres. La secrétaire d'État aux affaires européennes, Amélie de Montchalin, qui ne perd jamais une occasion de se taire, 31 nous assène sa pensée profonde par le vide : « On se réveille dans un monde plus dangereux, l'escalade militaire est toujours dangereuse ». Il fallait oser le dire. L'on nous explique fort doctement que les téléphones fonctionnent à tour de bras. Le président de la République s'est entretenu avec son homologue russe, Vladimir Poutine, son nouvel ami « pour faire le point de la situation en Irak et dans la région » depuis qu'Oncle Donald ne l'écoute plus et se paie sa tête sur les réseaux sociaux à propos de la situation sociale en France. Nous apprenons qu'Emmanuel Macron a rappelé au maître du Kremlin l'attachement de la France à la souveraineté et à la sécurité de l'Irak et à la stabilité de la région. Par ailleurs, il a souligné la nécessité que les garants de l'accord de 2015 restent étroitement coordonnés pour appeler l'Iran à revenir au plein respect de ses obligations nucléaires et à s'abstenir de toute provocation. Les mots sont forts. Mais, une fois de plus, le président de la République oublie que c'est Washington qui n'a pas respecté ses obligations. 32 Nuance, mais nuance de taille ! Et, certains journalistes, fidèles perroquets des communicants du château, ventriloques du pouvoir, osent écrire que Paris serait à la recherche d'un point d'équilibre alors que nous sommes montés depuis longtemps sur le porte-bagages de la bicyclette américaine. 33

De la diplomatie du vide

« Si doux que soient les rêves, les réalités sont là et suivant qu'on en tient compte ou non, la politique peut être un art assez fécond ou bien une vaine utopie »(général de Gaulle). Et, c'est bien le piège qui se referme sur la diplomatie de la chimère de l'acte I du quinquennat de Jupiter. À trop prendre ses homologues pour des imbéciles, il arrive que ce soient eux qui vous traitent comme un imbécile. Et, c'est bien le cas aujourd'hui d'Emmanuel Macron qui conduit une diplomatie sans cap ni boussole parfaitement illisible et inefficace.

Après avoir courtisé l'Amérique de manière puérile et candide, il est traité par le plus grand mépris par elle. En effet, Donald Trump aurait informé à l'avance Londres de la frappe contre le général Soleimani pour que les Britanniques sécurisent leur installation en Irak. Il aurait ensuite informé Pékin et Berlin, n'appelant que plus tardivement son homologue français, Emmanuel Macron. 34 Cela en dit long sur l'estime dont jouit Jupiter Outre-Atlantique ! On comprend mieux, dans ce contexte pourquoi il en réduit à faire la Cour à la Chine et à la Russie 35 tel un amoureux délaissé par sa bienaimée. La France fait figure de laissée pour compte. L'activisme désordonné d'Emmanuel Macron à la fin de l'été 2019 - sans parler de sa sortie sur la « mort cérébrale de l'OTAN » (entretien du 7 novembre 2019 à The Economist) - a manifestement irrité hier Donald Trump et s'avère aujourd'hui contreproductive. L'oncle Donald montre ainsi, à celui qui s'amusait il y a deux ans déjà à lui écraser la main devant les caméras, qui est le patron et qui compte sur le grand échiquier international.

Qu'en est-il de la célèbre médiation française entre l'Iran et les États-Unis sur le dossier nucléaire 36 que les courtisans de Jupiter nous présentaient en marge du G7 de Biarritz comme un coup de génie diplomatique français ? 37 Un superbe flop. 38 Une fois encore, nous mesurons les limites de la diplomatie du gadget 39 telle que la pratique Emmanuel Macron et sa cellule peu diplomatique avec son duo de choc Bonne/Rufo. Cela s'appelle le fiasco diplomatique des médiations françaises. 40 Une des conséquences de l'exercice du pouvoir le plus solitaire de toute la Ve République. 41

« La vérité n'a pas d'heure, elle est de tous les temps, précisément lorsqu'elle nous paraît inopportune »(Albert Schweitzer). Après plusieurs mois de pratique de la très célèbre politique du chien crevé au fil de l'eau, nos compromis, nos compromissions avec la fourbe Amérique nous (l'Union européenne et la France) reviennent en boomerang à la figure. Encore une nouvelle surprise stratégique qui était largement prévisible compte tenu de l'hystérie américaine sur le dossier nucléaire iranien ! 42 Washington rêve d'un changement de régime à Téhéran sans se soucier des conséquences à l'irakienne que cela pourrait entraîner. 43

Encore un nouveau conflit qui s'ajoute aux anciens ! « Les grands défis et les grands problèmes de monde moderne sont étroitement imbriqués ». 44 Ce que semblent oublier Européens et Français surtout lorsqu'ils sont alignés sur les politiques délirantes des États-Unis. Trop de discours creux, de mots creux, de forfanteries puériles ont dévalorisé la parole de l'Europe et, surtout, de la France jupitérienne.

Dans un livre récent, l'essayiste Jean-Christophe Notin a interrogé 32 diplomates étrangers en poste à Paris. Leurs visions ne sont pas toujours flatteuses, renvoyant souvent l'image d'une France arrogante, donneuse de leçons. 45 À méditer par nos élites sûres d'elles. De quelques leçons de l'assassinat de Qassem Soleimani !

Références :

1 Allocution d'Albert Camus à l'occasion de la remise du prix Nobel de littérature en 1957.
2 Georges Malbrunot, Les dessous de l'assassinat du général Qassem Soleimani à Bagdad, Le Figaro, 10 janvier 2020, p. 8.
3 Nathalie Guibert, Les drones, mondialisation d'une arme, Le Monde, 1er - 2 janvier 2020, pp. 1-2-3.
4 Georges Malbrunot, Moyen-Orient : après l'attaque ordonnée par Donald Trump, l'Iran mûrit sa riposte, Le Figaro, 4-5 janvier 2020, pp. 1-2-3.
5 Richard Labévière, États-Unis/Iran : western asymétrique et détestation globale...,  prochetmoyen-orient.ch, 6 janvier 2020.
6 Claire Gatinois/Nathalie Guibert/Allan Kaval/Jean-Pierre Stroobants, Un missile iranien à l'origine du crash à Téhéran, Le Monde, 11 janvier 2020, p. 2.
7 Gérard Davet/Fabrice Lhomme, Un président ne devrait pas dire çà. Les secrets d'un quinquennat, Stock, 2016.
8 Gilles Paris, Débat juridique autour de l'assassinat ciblé de Soleimani. Questions autour de l'assassinat ciblé par Trump, Le Monde, 8 janvier 2019, pp. 1-2-3.
9  trialinternational.org
10  ohchr.org
11 Alain Léauthier, Trump va-t-il causer la troisième guerre mondiale ?, Marianne, 10-16 janvier 2020, pp. 24 à 26.
12 Stéphane Lauer, Le cauchemar américain. L'extraterritorialité du droit américain est une arme de guerre économique, Le Monde, 31 décembre 2019, p. 25.
13 Guillaume Berlat, États-Unis ou États voyous ?,  prochetmoyen-orient.ch, 19 septembre 2016.
14 Paul Sugy (propos recueillis par), Thomas Gomart, « L'exécution de Soleimani, une décision ciblée et calibrée », Le Figaro 4-5 janvier 2020, p. 13.
15 Edwy Plenel, La puissance américaine plonge vers l'abîme. La guerre qui vient,  mediapart.fr, 5 janvier 2020.
16 Éditorial, Iran-États-Unis : l'heure des faucons, Le Monde, 7 janvier 2019, p. 30.
17 Gilles Paris, Téhéran, une vieille obsession de Donald Trump, Le Monde, 9 janvier 2020, p. 4.
18 Nicolas Baverez, 2020, année décisive pour l'Europe, Le Figaro, 6 janvier 2020, p. 23.
19 Louis Imbert, Ghassem Soleimani, stratège de Téhéran au Proche-Orient, Le Monde, 4 janvier 2020, p. 3.
20  diplomatie.gouvernement.fr, 3 janvier 2020.
21 Agence Reuters, Berlin prône une réunion d'urgence des ministres des Affaires étrangères de l'UE, 6 janvier 2020.
22 Jean-Pierre Stroobants, Iran-États-Unis : à Bruxelles, OTAN et Union européenne prônent à leur tour la « retenue »,  lemonde.fr, 6 janvier 2019.
23 Jean-François Bayart, Donald Trump dans le bazar aux porcelaines, Le blog de Jean-François Bayart,  mediapart.fr, 9 janvier 2020.
24 Sylvie Kauffmann, Le troisième divorce transatlantique, Le Monde, 9 janvier 2020, p. 29.
25 Behrooz Assadian, En Iran, l'impression d'une unité nationale, Marianne, 10-16 janvier 2020, p. 27.
26 Isabelle Lasserre, La fin annoncée de la diplomatie nucléaire, Le Figaro, 6 janvier 2020, p. 6.
27 Pierre Avril/Nicolas Barotte, Face à un risque incontrôlé, les Européens se mettent en retrait, Le Figaro, 8 janvier 2020, p. 8.
28 James P. Rubin, Une guerre entre les États-Unis et l'Iran est aujourd'hui une réelle possibilité, Le Monde, 9 janvier 2020, p. 25.
29 Philippe Gélie, Acte de guerre, Le Figaro, 4-5 janvier 2020, p. 1.
30 Raphaël Stainville, Onfray sonne la charge, Valeurs Actuelles, 9 janvier 2020, pp. 18 à 26.
31 Ali Baba, Amélie de Montchalin : une inutile au Quai d'Orsay !,  prochetmoyen-orient.ch, 28 octobre 2019.
32 Éditorial, Iran : l'accord nucléaire, victime collatérale, Le Monde, 5-6 janvier 2020, p. 24.
33 Piotr Smolar, Paris à la recherche d'un point d'équilibre, Le Monde, 7 janvier 2020, p. 3.
34 Laure Mandeville, Marginalisée, l'Europe voit ses espoirs de dialogue anéantis, Le Figaro, 4-5 janvier 2020, p. 4.
35 Piotr Smolar, Macron face au défi ruse, Le Monde, 3 janvier 2020, p. 20.
36 Guillaume Berlat, Que reste-t-il du brillant G7 de Biarritz ?,  prochetmoyen-orient.ch, 7 octobre 2019.
37 Guillaume Berlat, G7 de Biarritz : plus de jeux que d'enjeux,  prochetmoyen-orient.ch, 2 septembre 2019.
38 Allan Kaval/Piotr Smolar, Iran : l'échec de la médiation française, Le Monde, 22-23 décembre 2019, p. 2.
39 Ali Baba, Le prix du superficiel. La diplomatie du gadget,  prochetmoyen-orient.ch, 9 septembre 2019.
40 Jean Daspry, Le fiasco diplomatique des médiations françaises,  prochetmoyen-orient.ch, 6 janvier 2020.
41 Jean-Pierre Robin, Macron, l'exercice du pouvoir le plus solitaire de toute la Ve République, Le Figaro, 6 janvier 2020, p. 31.
42 Allan Kaval, La vengeance mesurée de l'Iran, Le Monde, 9 janvier 2020, p. 2.
43 Allan Kaval/ /Ghazal Golshiri/Laure Stephan, L'Iran promet des représailles contre les États-Unis. Après l'assassinat de Soleimani, l'Iran crie vengeance, Le Monde, 5-6 janvier 2020, pp. 1-2-3.
44 Mikhaïl Gorbatchev, Le futur du monde global, Flammarion, 2019, p. 65.
45 Jean-Christophe Notin, Français, le monde vous regarde, Tallandier, 2020.

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