Par Jacques Valentin
16 mars 2020
Alors que depuis des semaines les autorités politiques banalisent la pandémie du SARS-CoV-2 et prennent des mesures insuffisantes, décousues et tardives, l'évolution «à l'italienne» du nombre de cas a déclenché des conflits au plus haut niveau de l'État. Macron et Philippe ont reçu, jeudi puis samedi des simulations de l'évolution du nombre de cas et des fourchettes de décès probables par Covid-19 très élevées dans le cas d'une poursuite de la politique actuelle.
Le système de santé entre en état de stress sévère dès une dizaine de milliers de cas pour un pays de la taille de la France, en particulier vu la répartition irrégulière de la maladie sur le territoire.
Cela a amené à prendre en urgence des mesures plus rigoureuses de confinement de la population pour ralentir l'augmentation des cas. D'abord Macron a annoncé jeudi la fermeture des établissements d'enseignement à partir de vendredi soir, puis Philippe a annoncé samedi soir la fermeture dès minuit de la plupart des commerces non alimentaires. Philippe aurait voulu attendre que le premier tour des municipales soit passé pour faire des annonces lundi, mais la situation est tellement grave qu'il a du prendre les mesures plus tôt que prévu.
Jusqu'alors la préoccupation majeure du gouvernement était de rassurer les marchés financiers sur la poursuite de l'activité économique, le problème de santé publique lié à la pandémie et la protection des populations restant manifestement une préoccupation très secondaire.
Pour justifier son incurie et l'accumulation d'erreurs dans sa gestion de l'épidémie, Philippe n'a rien trouvé de mieux pour expliquer les nouvelles mesures que d'accuser la population française de manquer de discipline et de civisme. On retrouve dans ces propos insultants le mépris du gouvernement à l'égard des travailleurs. Les journalistes serviles des médias officiels qui hier traitaient la contagion avec désinvolture jugent désormais avec la plus grande sévérité le comportement des Français.
En fait, on a pu observer ces derniers jours que la plupart des personnes avaient limité les contacts et renoncé aux poignées de main, bises et autres contacts rapprochés et se lavaient les mains et utilisaient du gel lorsqu'ils arrivaient - rarement - à en trouver, ce qui était pratiquement la seule consigne claire donnée par les autorités. A qui la faute si les rassemblements de plus de 100 personnes restaient autorisés et que même les boites de nuit étaient ouvertes?
Par ailleurs Macron a décidé de maintenir les municipales, malgré l'énorme abstention et le risque pour les agents recevant le public et dépouillant le scrutin. Le scrutin aurait pu être reporté. Mais on l'a organisé alors qu'une abstention massive était prévisible, et qu'à présent l'État menace d'imposer des mesures de confinement face à l'épidémie qui empêcheraient la tenue du second tour des municipales.
Les objectifs sanitaires réellement poursuivis par Macron et Philippe n'ont jamais été clarifiés. Il y a peu Macron répétait régulièrement que nous allions passer inévitablement à une épidémie ce qui signifiait que, comme pour la grippe, le virus allait saturer toute la population qui devrait créer ses anticorps, l'épidémie prenant fin quand suffisamment de personnes seraient dotées d'anticorps. Par contre, l'État et les médias faisaient un silence complice sur les conséquences désastreuses d'une situation où des millions de gens seraient infectées par une maladie potentiellement mortelle.
Le ministre de l'éducation Jean-Michel Blanquer, pourtant concerné par certaines des mesures de confinement les plus importantes, a fait une déclaration à couper le souffle dimanche matin sur France Info. Évoquant visiblement la théorie qui avait cours au sein du gouvernement avant les décisions de samedi, il a dit: «Comme vous le savez, depuis le début, la stratégie ce n'est pas d'empêcher que le virus passe - on sait qu'il passera probablement par plus de la moitié d'entre nous - mais c'est de faire en sorte qu'il passe de la manière la plus étalée possible dans le temps.»
Les scénarios d'évaluation de la gravité de l'épidémie qui ont orienté les décisions plus récentes de Macron et de Philippe sont, selon le journal Le Monde tenus secrets. Ils font état de taux de décès probablement fortement sous-estimées, mais tout de même énormes de 300.000 à 500.000 morts en cas d'absence de mesures d'endiguement. L'article du journal montre aussi que ces évaluations ont donné lieu à des tensions énormes au sein du pouvoir.
Ces prévisions de décès étant très supérieures à celles du ministère de la Santé, l'Élysée les a déclarés disproportionnées, tout en les prenant néanmoins en compte dans le processus de décision.
C'est donc un changement de politique qui se met en place dans la confusion et l'opacité, en tentant de manipuler et de culpabiliser l'opinion, avec un aplomb stupéfiant et la complicité de médias aux ordres.
Le but est de cacher aux travailleurs l'énorme erreur d'appréciation commise aux sommets de l'État, où les intérêts des banques et des ultra-riches priment sur la vie même des travailleurs. En effet, on peut se demander pourquoi s'il fallait juguler énergétiquement la contagion et que cela a été mis en œuvre avec succès en Chine et dans d'autres pays asiatiques, pourquoi ne s'est-on pas appuyé sur le retour d'expérience chinois dès le début de l'épidémie? On cherche à retarder et à brouiller autant que possible cette prise de conscience.
La crise du coronavirus va être d'autant plus sévère que de nombreuses autres erreurs ont été commises en amont de la crise et pendant celle-ci. Les équipements de réanimation sont surchargés et les professionnels en nombre insuffisants. C'est le résultat de la sous-dotation financière aiguë des urgences qui est antérieure à Macron, mais que celui-ci a repris et amplifiée avec férocité depuis 2007, provoquant des mois de grèves aux urgences en 2019 et 2020 dans toute la France.
D'autres erreurs majeures ont été également commises dans la gestion des stocks et dans la mise à disposition des masques pour les professionnels sans parler du public qui n'en a pas vu la couleur. Les mesures d'hygiène des mains dans les lieux publics ont été souvent inadaptées faute de système de séchage des mains à usage unique (voire tout simplement de savon dans beaucoup d'écoles) et en l'absence de gel hydroalcoolique jusqu'à tout récemment. La passation des tests de dépistage a pendant plusieurs semaines été menée de façon incohérente et en déconnexion avec le terrain et les médecins généralistes.
Comme Joseph Kishore et David North l'ont écrit dans une récente perspective, «La pandémie de coronavirus a mis en évidence l'incapacité du système capitaliste à faire face à une telle crise. Les gouvernements du monde entier ont réagi avec un niveau d'incompétence et de désarroi stupéfiant. Ils n'ont fait aucune préparation en vue d'une catastrophe entièrement prévisible. Les systèmes de soins de santé, privés de ressources, sont débordés.»
Cette affirmation s'applique littéralement au cas du capitalisme français. Elle doit inciter la classe ouvrière à mener à partir de l'expérience de cette catastrophe une lutte déterminée et implacable pour un accès pour tous à des soins de qualité. La seule mise en accusation aussi légitime soit-elle de tel ou tel dirigeant compromis dans les décisions prises ne saurait suffire. Il s'agit de mener une lutte pour renverser le capitalisme, afin de réquisitionner les richesses mal acquises des milliardaires afin de trouver les sommes nécessaires pour traiter et sauver les vies de millions de gens.