25/10/2021 dedefensa.org  12min #196975

 Extension du domaine de l'effondrement

En attendant les craquements de la fin

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Alastair Crooke

Jeffrey Tucker, dans un article intitulé 'How Close Is Total Social and Economic Collapse ?', écrit : « Les économies et les sociétés s'effondrent lentement, puis un peu plus vite, puis d'un seul coup. Nous semblons être dans la période intermédiaire de cette trajectoire [aux États-Unis]. La partie lente a commencé en mars 2020, lorsque les politiciens du monde entier ont imaginé que ce ne serait pas trop grave d'arrêter l'économie et de la redémarrer une fois que le virus serait parti ». Quelle belle démonstration de la puissance d'un gouvernement « guidé par la science » ce serait ! La technocratie sur le pied de guerre et victorieuse !

Mais, « aucune de ces mesures n'a fonctionné. Vous ne pouvez pas éteindre une économie et un fonctionnement social normal, puis les rallumer comme avec un interrupteur. La tentative seule cause nécessairement des quantités imprévisibles de blessures à long terme, non seulement des structures économiques mais aussi de l'esprit d'un peuple. Tout ce qui se passe actuellement reflète la présomption désastreuse que cela serait possible, - et ne causerait pas de dommages dramatiques et durables. C'est le plus grand échec de la politique depuis un siècle. »

Tout fonctionne jusqu'à ce que, soudain, ce ne soit plus le cas. Comme le disait Minsky, la stabilité engendre l'instabilité. Le problème est que les systèmes complexes sont intrinsèquement fragiles. L'optimisation qui les fait rentables supprime également les redondances qui les font résilients. Les choses peuvent s'effondrer rapidement lorsqu'un événement imprévu se produit. Et ce n'est pas tout : la psyché collective du public est également un système complexe fragile et l'on ne peut pas le rétablir comme avant en appuyant simplement sur le bouton de réinitialisation.

Tucker considère cela essentiellement comme une erreur de jugement. Peut-être est-ce le cas, et peut-être pas, - c'est-à-dire une erreur de jugement dans le sens où il l'entend. Oui, la débâcle de la chaîne d'approvisionnement n'a peut-être pas été prévue de manière adéquate, ou les dommages causés par la tentative de se dissocier d'une économie aussi omniprésente que celle de la Chine (par exemple, le chaos de la disposition des micropuces).

Peut-être la raison pour laquelle la stratégie vaccinale n'est pas reconsidérée tient-elle dans ce fait qu'elle est devenue une doctrine culte sur laquelle l'Establishment s'est rabattu parce qu'elle a été conçue dès le départ, non seulement comme un moyen d'arriver à une fin, - c'est-à-dire créer une immunité collective par le biais des vaccins, - mais d'abord comme une fin en soi.

Vu sous cet angle, nous ne percevons pas seulement "un échec", - le concept qu'un rétablissement 'en V' du redémarrage de l'économie ait été présenté comme parole d'évangile, - mais plutôt une série d'"échecs" liés à autant de jugements erronés. Cela peut donner l'apparence d'une série d'erreurs à partir d'une analyse bien intentionnée mais défectueuse, alors qu'en fait les décisions aboutissant à ces "échecs" ont été toutes liées les unes aux autres à partir de cette conception de départ de les considérer selon la conception générale d'être une fin en soi.

Le point commun de ces "erreurs" de jugement réside dans le fait qu'elles font partie d'un "seul projet", - un seul "genre", si l'on veut, - et qu'elles ne sont pas simplement une suite erratiques d'erreurs de jugement.

La logique apparente est  qu'en incitant presque tout le monde à se faire vacciner, on réaliserait une immunité collective et donc l'élimination du virus. Le défaut présenté par  Tucker dans ce cas est-il qu'on a supposé que les vaccins n'avaient pas de "faiblesses" par rapport aux variants ; ou que les vaccinés ne seraient pas vulnérables à l'infection ; ou que les vaccinés ne porteraient pas, n'exsuderaient pas et ne transmettraient pas le virus ; ou que toute protection ne se dégraderait pas en quelques semaines ou quelques mois ? Peut-être ont-ils mal compris l'histoire des virus de la famille du SRAS (qui ne sont pas particulièrement sensibles aux vaccins, du fait de leur tendance à évoluer vers des variants) ? Ou encore, peut-être la vaccination de masse est-elle aussi une fin en soi ?

 No vax, no job ? Les non-vaccinés sont devenus "l'ennemi", exactement de la manière dont le philosophe Carl Schmitt a dit que la désignation d'un "ennemi" est censée suffire : l'attribution d'une étiquette si noire et si inlassablement "autre" que la médiation avec de tels "monstres" « qui mettent la vie des autres en danger » devient inconcevable. Un tel manichéisme en noir et blanc est l'essence de la politique, écrivait Schmitt avec conviction. En Italie, par exemple, les représentants de l'establishment politique, médical et médiatique, ont ouvertement accusé les non-vaccinés d'être des "rats", des "sous-hommes" et des "criminels", qui méritent d'être « exclus de la vie publique » et « du service national de santé », voire de « mourir comme des mouches ».

S'agit-il d'une nouvelle incapacité à penser clairement ? L'incapacité des dirigeants à comprendre qu'un tel langage déchire la société, qu'une société ne retrouvera pas un fonctionnement social normal dès que le "commutateur" du Pass-Sanitaire sera éteint (si jamais il l'est) ?

Ou bien, est-ce une fin en soi ? - La vaccination en tant qu'indicateur de la loyauté politique, - la majorité se définissant par opposition à une minorité diabolisée : « Avoir une mauvaise idéologie politique vous rend impur ». Vous devez être purgé. Peut-être est-ce la raison pour laquelle l'administration Biden n'est pas non plus préoccupée par les licenciements massifs (et leurs perturbations économiques), - parce que cela aide à purifier le pays des récalcitrants qui soutiennent Trump ?

De toute évidence, le "projet d'écologisation" précipité lié à une "urgence" climatique déclarée est le pendant de la fermeture et du défaut de vaccination. Il semble que ce projet ait été imaginé selon une approche très simple : le monde passerait de l'énergie sale à l'énergie propre par le biais de "mandats" sur le carbone qui mettraient un terme à la prodigalité individuelle et collective en matière de carbone. L'économie serait alors relancée après que 150 000 $milliards aient été dépensés dans les énergies renouvelables vertes. Une nouvelle démonstration du pouvoir des gouvernements "scientifiques", dirigés par des experts, censés ne pas être influencés par la partisanerie ou la recherche de gains personnels.

Encore une fois, cela ne fonctionne pas. Vous ne pouvez pas simplement "éteindre" une économie basée sur les combustibles fossiles, puis la rallumer, peu de temps après, en tant qu'économie verte "repartant de zéro".

Nous pouvons, d'une part, percevoir cela comme une simple incapacité à apprécier les obstacles pratiques qui ont donné au monde sa pénurie d'énergie, et les énormes hausses de coûts concomitantes pour les consommateurs, - bien qu'elles aient été déclenchées, nous dit-on, par un pur souci de sauver la planète.

Ou bien, d'autre part, le mandat carbone est-il aussi une fin en soi, c'est-à-dire la transition vers une classe technocratique mondiale de gestionnaires et le transfert des principaux outils politiques du niveau national au niveau supranational ? Si c'est le cas, cela non plus ne fonctionne pas. Les coûts sociaux du choc des prix de l'énergie se répercuteront sur la politique et provoqueront de nouvelles ruptures dans l'économie.

On peut aussi s'interroger sur le fait de savoir si le passage de la gestion économique traditionnelle à la théorie monétaire moderne (MMT), coïncidant avec l'arrêt de l'économie dû à la pandémie, est une simple coïncidence résultant de la nécessité d'agir pour protéger les gens pendant la crise du Covid ? Une crise qui a vu la "création" par les banques centrales de 30 000 $milliards de liquidités injectées dans les économies, pour les soutenir durant la pandémie. S'agissait-il alors d'une malheureuse erreur d'appréciation des risques de générer une inflation (non transitoire) qui appauvrirait les consommateurs et pourrait provoquer une récession économique ?

Ou bien était-ce aussi une fin en soi, conçue dès le départ comme le carburant qui financerait la transition d'un capitalisme individualiste hyper-financiarisé (dont les technocrates eux-mêmes reconnaissent qu'il n'est plus durable) vers un gestionnariat d'entreprise actionnaire qui déplacerait largement les droits de propriété individuels, en faveur de visions plus larges de l'  ESG, avec les préoccupations sociales, environnementales et de diversité du corporatisme actionnarial ?

Dès 1941, James Burnham, dans 'The Managerial Revolution', soutenait que l'ancien paradigme du travail contre le capitalisme était dépassé ; que l'évolution progressive ferait passer le monde de la dialectique capitaliste-socialiste à une nouvelle synthèse, - une structure organisationnelle composée d'une classe technocratique managériale d'élite, - un type de société qui serait à la fois "socialiste" (ESG et woke) et entrepreneuriale. Elle serait dirigée par des experts qui comprendraient les problèmes au-delà de ce que le public peut espérer comprendre jamais. Burnham pensait que ce processus était en passe de remplacer le capitalisme à l'échelle mondiale ("Davos" nomme cela, aujourd'hui, le "corporatisme actionnarial").

Cela a-t-il une fin en soi ? Bien sûr, - la classe des élites oligarchiques est préservée, elle contrôle la monnaie et le crédit bien que maintenant à un niveau supranational (c'est-à-dire que la BCE pratique un rationnement strict du crédit pour les entreprises, selon sa propre doctrine "verte"/ESG). Mais cela ne fonctionne pas très bien non plus. Nous subissons à la fois un "choc des prix" de l'énergie et une inflation perturbatrice (plus de ruptures).

Sur le plan géopolitique international, les choses ne semblent pas fonctionner non plus. L'équipe Biden affirme vouloir une "concurrence dirigée" avec la Chine, mais pourquoi alors expédier Wendy Sherman (qui n'est pas réputée pour ses compétences diplomatiques) en Chine en tant qu'envoyée de Biden ? Si l'équipe Biden souhaite une concurrence maîtrisée (ce qu'elle a déclaré vouloir lors d'un récent appel au président Xi), mais qu'elle échoue, à chaque fois, à instaurer une relation sérieuse, pourquoi la politique d'une seule Chine de 1972 a-t-elle été continuellement ébréchée par une série de petites provocation apparemment inoffensives à propos de Taïwan ?

L'équipe ne comprend-elle pas qu'elle n'est pas en train de "contenir" la concurrence mais plutôt de jouer avec le feu, en laissant entendre de manière opaque que les États-Unis pourraient soutenir l'indépendance de Taïwan ?

Et puis, pourquoi envoyer Victoria Nuland à Moscou, si la concurrence avec Moscou devait être tranquillement "équilibrée" comme le face-à-face de Biden avec Poutine à Genève semblait le signaler ? Comme Sherman, Nuland n'a pas été reçue à un niveau élevé, et sa réputation de "pyromane du Maidan" [de l'Ukraine] l'a bien sûr précédée à Moscou. Et pourquoi décimer la représentation diplomatique de la Russie au siège de l'OTAN ? Et pourquoi encore le secrétaire à la défense Austin a-t-il parlé de la "porte ouverte" de l'OTAN pour la Géorgie et l'Ukraine ?

Y a-t-il une logique cachée dans tout cela, ou ces envoyés ont-ils été envoyés intentionnellement comme une sorte de geste provocateur pour souligner qui est le patron (c'est-à-dire que "l'Amérique est de retour !") ? C'est ce qu'on appelle à Washington la "diplomatie de la capitulation" : les concurrents ne se voient présenter que les conditions de leur capitulation. Si tel est le cas, cela n'a pas fonctionné. Les deux émissaires ont effectivement été renvoyés, et les relations de Washington avec ces États clés sont dégradées à un niveau proche de zéro.

L'axe Russie-Chine est arrivé à la conclusion que le discours diplomatique poli avec Washington est comme l'eau sur le dos d'un canard. Les États-Unis et leurs protégés européens n'entendent tout simplement pas ce que Moscou ou Pékin leur disent, - alors quel est l'intérêt de parler aux Américains "aux oreilles ensablés" ? Réponse : aucun.

Tucker a écrit, à propos du verrouillage des pandémies, que « tout ce qui se passe actuellement reflète la présomption désastreuse selon laquelle il serait possible de [continuer] à faire ce [qu'on faisait déjà] sans causer de dommages dramatiques et durables. C'est le plus grand échec de la politique depuis un siècle ». Cela vaut-il aussi pour la politique étrangère de l'Amérique (c'est-à-dire la diplomatie de la capitulation) ?

Suppose-t-on que le moyen pour l'Amérique de conserver sa primauté mondiale est de continuer à harceler la Chine sur Taïwan et sa politique d'une seule Chine, et à harceler la Russie sur l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN ? Et que des allusions répétées à des rencontres bilatérales avec un Biden-sympa sont tout ce qui est nécessaire pour empêcher les événements de devenir incontrôlables ?

Est-ce que tout ce simulacre et cette provocation sont simplement une erreur de l'équipe Biden pour évaluer le sérieux de la Chine et de la Russie quant à la signification de leurs lignes rouges, ou est-ce une fin en soi ? (Soit dit en passant,  Burnham était clair : de nombreuses guerres devraient être menées avant qu'une société managériale puisse s'implanter pleinement. Ces guerres conduiraient à la destruction des États-nations souverains, de sorte que seul un petit nombre de grandes nations survivrait, pour aboutir au noyau de trois "super-États3. Burnham pensait que « la souveraineté sera limitée aux quelques super-États »).

La question initiale de Tucker, rappelons-le, était : « Dans combien de temps aura lieu l'effondrement social et économique total ? ». Ce que nous voulons dire dans cet article, c'est que cette litanie d'échecs est liée au fait qu'ils sont tous le produit d'une intentionnalité de "fin en soi" dès le départ. Or, à un degré ou à un autre, aucun ne fonctionne. Une "perfect storm" est-elle en train de se former ?

Le point commun de ces "erreurs" distinctes provoquant autant d'"échecs" réside dans le fait qu'il s'agit d'un "projet unique", - un coup d'État furtif pour s'emparer des outils politiques et des structures de la responsabilité publique au niveau national, pour les transférer au niveau supranational (manœuvre également connue sous le nom de "Re-Set"). Tout cela découle du culte du managiérisme technocratique. En dernière analyse, Tucker a raison : dans la poursuite de ce projet, et de sa flopée de sous-ensembles défaillants, « la tentative seule causera nécessairement des quantités imprévisibles de dégâts à long terme, non seulement des structures économiques mais aussi de l'esprit des peuples ».

Historiquement, les sectes ne tiennent pas compte de la fragilité des systèmes complexes. Elles se concentrent sur les moyens de parvenir à leurs "fins". Leurs gestionnaires et visionnaires ne verront pas nécessairement les "ruptures" de Tucker, et s'ils les voient ce ne sera pas comme des ruptures. Les attitudes et les comportements humains, - c'est-à-dire les gens, les êtres humains, -sont considérés comme autant d'inconvénients obstructifs ; ainsi, comme Biden  le répète sans cesse, « si les gens ne veulent pas aider, ils doivent s'écarter des règles qui bornent la voie de la vaccination... s'écarter et laisser la place dans le chemin aux gens qui font ce qu'il faut ».

Il semble que la Russie et la Chine, voyant tout cela, resteront distantes et patientes, - attendant que les structures s'effondrent.

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