Après l'étude très critique publiée par le magazine médical The Lancet, l'usage de la chloroquine ou ses dérivés dans le traitement du Covid-19 semble de plus en plus écarté par les autorités médicales malgré ses défenseurs toujours mobilisés.
«Si The Lancet c'est "foireux", si Nature c'est "foireux", si l'OMS c'est "foireux", qu'est-ce qui est vrai, monsieur Dupont-Aignan ?» : c'est en ces termes que la députée macroniste Olivia Grégoire, a laissé exploser son agacement sur LCI le 26 mai. Celle-ci reproche en effet au professeur Didier Raoult d'avoir qualifiée de «foireuse», une récente étude du magazine médical britannique The Lancet concluant à l'inefficacité et à la dangerosité de son traitement à l'hydroxychloroquine contre le Covid-19.
Le débat fait rage dans la classe politique et sur les réseaux sociaux depuis la publication scientifique. Le député non inscrit Nicolas Dupont-Aignan a le même jour sur CNEWS évoqué à ce sujet une «manœuvre» orchestrée par «des gros laboratoires pharmaceutiques» contre Didier Raoult. «Si le traitement du professeur Raoult était à 100 euros la boîte et pas à 3 euros la boîte, je peux vous dire qu'il n'y aurait pas les mêmes études», a-t-il ajouté, demandant «une étude impartiale, pas une étude qui veut tuer Raoult».
«Je pense que derrière, on a cherché à flinguer ce grand scientifique pour des questions qui dépassent évidemment celles du Covid», a supputé pour sa part l'élu du Rassemblement national Sébastien Chenu sur la chaîne Public Sénat le même jour.
L'industrie pharmaceutique dans le viseur
Loin d'avoir clos le débat, l'étude du Lancet a chauffé à blanc les esprits. Doutes sur la probité des auteurs des études scientifiques, voire suspicions de collusion avec l'industrie pharmaceutiques sont avancés de plus en plus ouvertement par les défenseurs de Didier Raoult et de son protocole.
«La publication littéraire scientifique est soumise maintenant à l'argent de l'industrie pharmaceutique», a notamment déclaré le médecin et sénateur Les Républicains (LR) Alain Houpert sur RT France, estimant que des rédacteurs de l'étude du Lancet sur l'hydroxychloroquine sont en «conflit d'intérêt».
L'étude serait par ailleurs largement critiquable sur sa méthode selon lui : «Cette étude est faite sur 600 hôpitaux dans le monde, il n'y a aucun nom des hôpitaux dans les annexes, c'est une étude qui n'est pas randomisée []... c'est une étude qui est faite sur des patients hospitalisés alors que le professeur Raoult a toujours dit qu'il faut dépister, isoler et traiter», a-t-il dénoncé.
Quant au probable arrêt de l'utilisation de l'hydroxychloroquine en France, l'élu dit avoir «l'impression que le gouvernement se conduit en hooligan en ostracisant systématiquement un professeur de renom qu'est le professeur Raoult».
Suspicions de «conflits d'intérêt»
Même son de cloches pour l'essayiste libertarien Éric Verhaeghe, qui dit avoir mis au jour sur son blog des «conflits d'intérêt» chez les signataires de l'étude, après une recherche sur leurs CV : «Ayons bien conscience que les auteurs de l'étude du Lancet travaillent avec des laboratoires concurrents de l'hydroxychloroquine», a-t-il confié à RT France.
Ayons bien conscience que les auteurs de l'étude du Lancet travaillent avec des laboratoires concurrents de l'hydroxychloroquine
Entre autres, l'énarque a épinglé l'un des auteurs, le cardiologue Mandeep Mehra, qui selon France Soir qui l'a interviewé, a participé à une conférence sponsorisée par le géant pharmaceutique américain Gilead début avril 2020 dans le cadre du Covid-19. Le médecin serait en outre selon son compte LinkedIn à la tête du centre de cardiologie de l'hôpital de Brigham (à Boston aux Etats-Unis), qui a lancé en mars avec Gilead des essais cliniques sur l'antiviral remdesivir, produit par le laboratoire et un des principaux candidats pour le traitement du Covid-19.
Le remdesivir, selon une étude publiée le 22 mai par le New England Journal of Medicine, favoriserait, du moins partiellement, la récupération des malades. Le médicament est actuellement autorisé en urgence dans les hôpitaux aux Etats-Unis et aux Japon, une décision envisagée aussi par l'Europe.
Dans le même temps, l'horizon s'est drastiquement assombri en France pour les promoteurs de l'hydroxychloroquine. Après avoir été saisi, à la suite de la publication du Lancet, par le ministre de la Santé Olivier Véran, le Haut conseil de la santé publique (HCSP) a déconseillé l'usage du médicament contre la maladie dans un avis du 26 mai. Le lendemain, le gouvernement a abrogé les dispositions dérogatoires autorisant la prescription de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19 à l'hôpital en France, hors essais cliniques.
Le HCSP avait souligné que la «balance bénéfice/risque» du protocole hydroxychloroquine associé à l'antibiotique azithromycine «est défavorable», et ne préconise l'usage de ce protocole que dans les essais cliniques.
L'Agence nationale de sécurité du médicament a quant à elle annoncé suspendre l'inclusion de nouveaux patients dans les essais cliniques sur l'hydroxychloroquine contre le Covid-19.
Un enterrement de la chloroquine qui vient couronner selon Éric Verhaeghe «trois mois de combat acharné complètement dogmatique contre l'hydroxychloroquine sans preuve scientifique». Le chef d'entreprise a dénoncé auprès de RT France les «mandarins de l'Assistance publique hôpitaux de Paris qui travaillent avec Gilead» et les détracteurs du professeurs Raoult qui se seraient livrés à un véritable «tir de barrage contre l'hydoxychloroquine», sitôt que l'intérêt de l'opinion publique s'est porté sur les travaux de l'infectiologue marseillais.
Je pense qu'une grande partie des réactions urticantes contre l'hydroxychloroquine []... viennent de l'opération [d'influence] de Gilead
Et la multinationale américaine Gilead est son suspect numéro 1 : «Je pense qu'une grande partie des réactions urticantes contre l'hydroxychloroquine []... viennent de l'opération [d'influence] de Gilead», a-t-il déclaré, en déplorant une «logique médiévale où on interdit à chacun de s'exprimer». Quant à l'étude du Lancet, qui «vaut ce qu'elle vaut», elle arrive selon-lui bien tard après des mois à «di[re] du mal de Didier Raoult sans objectivation scientifique».
Si des défenseurs du protocole de Didier Raoult, tels l'ancienne candidate socialiste à la présidentielle Ségolène Royal se sont rétractés après la divulgation de l'étude du Lancet, 𝕏 supprimant au passage quelques tweets de soutien, ce n'est pas le cas de l'ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy. Celui-ci a estimé auprès du Parisien que le débat sur l'hydroxychloroquine ne serait tranché que par un essai clinique randomisé. Pour lui, l'étude du Lancet renforce même la thèse de Didier Raoult.
Ses 2 tweets sur la #chloroquine datant de mars
Supprimés ce week-end 👇#Raoult #Lancet #TheLancet
«Cette étude du Lancet montre justement que la chloroquine peut être dangereuse pour des patients hospitalisés, c'est pour cela que nous demandons la levée de ce décret» (du ministre de la Santé qui n'autorise le traitement que dans des cas graves à l'hôpital), a déclaré le médecin, qui a initié en avril une pétition demandant que l'hydroxychloroquine puisse être prescrite librement par les praticiens contre le Covid-19.
Une étude «foireuse», basée sur le «big-data»
Depuis Marseille, le professeur Didier Raoult n'en démord pas. Le promoteur des traitements à base de chloroquine reste persuadé que sa formule fonctionne, et balaie les études ayant conclu au contraire : «Je ne sais pas si ailleurs l'hydroxychloroquine tue, mais ici elle sauve beaucoup de gens», a-t-il déclaré lors d'un de ses points réguliers sur sa chaîne YouTube le 25 mai, revendiquant 0,5% de décès chez les malades traités par la combinaison hydroxychloroquine et azithromycine, soit la mortalité «la plus basse au monde».
Les auteurs de l'étude du Lancet, eux, n'ont perçu «aucun avantage» de la molécule dans l'évolution de la maladie. Pire, ils concluent à un «risque accru d'arythmies ventriculaires et à un risque accru de décès à l'hôpital», pour les patients traités avec un des quatre traitements examinés. Ainsi, pour un taux de mortalité de 9,3% dans le groupe témoin, on compterait 16,4% de décès pour la chloroquine seule, 22,2% quand elle est combinée à un antibiotique, 18% pour l'hydroxychloroquine seule et 23,8% quand elle est associée au même antibiotique. Et les auteurs de conclure à un risque de mortalité de 34% à 45% plus élevé chez les malades recevant ces traitements.
Mais pour Didier Raoult, l'étude de «big-data», qui repose sur l'analyse de données issues de 671 hôpitaux pour 96 000 patients sur les cinq continents, est «foireuse» et «une fantaisie complètement délirante qui prend des données dont on ne connaît pas la qualité et qui mélange tout».
Qui se trompe ? Celui qui n'a pas vu les malades ou celui qui a examiné les malades ?
«Comment c'est possible que nous, sur 4000 il y en a eu 0 [décès dus à l'arythmie ventriculaires] et qu'on rapporte dans un papier qu'il y en a 10%... c'est impossible ! Qui se trompe ? Celui qui n'a pas vu les malades ou celui qui a examiné les malades ?», a déclaré le scientifique, qui assène que son équipe a effectué 10 000 électrocardiogrammes pendant l'épidémie.
Je veux dormir sur mes deux oreilles en disant que je n'ai pas tué trop de monde
«Comment peut-on inventer qu'un des médicaments les plus prescrits soit un truc effroyablement toxique ?», avait-il précédemment (avant la publication du Lancet), déclaré dans une série d'entretiens à l' Express au sujet du médicament qu'il juge moins dangereux que le Doliprane. «Interdire aux médecins de soigner avec un médicament anodin, c'est inédit, alors même que l'Etat a été incapable d'organiser des tests de dépistage», s'est-il indigné au cours de la même série d'entretien. «Je veux dormir sur mes deux oreilles en disant que je n'ai pas tué trop de monde», a-t-il encore estimé.
Le 25 mai, l'OMS a annoncé avoir suspendu «temporairement» par sécurité les essais cliniques avec l'hydroxychloroquine qu'elle mène avec ses partenaires dans plusieurs pays, toujours en raison de la publication du Lancet. En revanche le Brésil, très touché par la maladie, ou l' Algérie, ont annoncé qu'ils ne renonçaient pas à la molécule, qu'ils utilisent dans le traitement de l'infection respiratoire qui a tué près de 350 000 personnes dans le monde.
Lucas Léger
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