Nous vous proposons aujourd'hui la deuxième partie de la chronologie de la crise actuelle liée à l'expansion de l'OTAN vers l'Est.
Plan de l'article, en 3 billets
Partie 2/3
- V. Gorbatchev contre-attaque : « N'humiliez pas la Russie »
- VI. 1996-1997 : Les Cassandres, évidemment ignorées
- VII. 2007 : La dernière alerte de Poutine ?
Cet article a demandé beaucoup de travail, mais nous sommes heureux de le mettre gratuitement à disposition du plus grand nombre.Si vous voulez soutenir notre travail d'information, vous pouvez découvrir et souscrire un abonnement au site d'information indépendant ÉLUCID (utilisez le code promo « LESCRISES »), ou vous abonner gratuitement à notre nouvelle chaîne Youtube.
V. Gorbatchev contre-attaque : « N'humiliez pas la Russie »
Bien qu'il ait abandonné son poste de Président de l'URSS le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev n'a pas renoncé à tout rôle politique. Il n'a cessé de se préoccuper de la sécurité en Europe de manière générale, et de l'OTAN en particulier.
Il remit ainsi sur le devant de la scène en 1995 son idée de « maison commune « européenne, afin de rapprocher tous les européens. Selon lui, « tenter de résoudre les problèmes les plus délicats - liés aux questions nationales - à l'aide de missiles est proprement absurde«. [ s]
Il intervint en 1997 pour dénoncer l'expansion de l'OTAN, qu'il jugeait « non sérieuse ».
Il intervint également devant le Congrès américain le 10 avril 1997, dénonçant l'expansion de l'OTAN :
« Je crois que c'est une erreur, c'est une grave erreur et je ne suis pas convaincu par les affirmations que j'entends selon lesquelles la Russie n'a rien à craindre. « Vous ne pouvez pas humilier une nation, un peuple et penser que cela n'aura pas de conséquences. Donc ma question est : est-ce une nouvelle stratégie ? J'ai le sentiment que si le même genre de jeu continue à se dérouler, si un pays joue une carte contre un autre pays, alors tous les problèmes que je viens de mentionner seront très difficiles à résoudre. » [ s]
En 2014, il dénonçait toujours l'aventurisme militaire occidental, rappelant que « La décision des États-Unis et de leurs alliés d'étendre l'OTAN à l'Est a été prise de manière décisive en 1993. J'ai appelé ça une grosse erreur dès le début. C'était certainement une violation de l'esprit des déclarations et des assurances qui nous avaient été faites en 1990. En ce qui concerne l'Allemagne, elles ont été consacrées dans les formes légales contraignantes et sont respectées. » [ s].
VI. 1996-1997 : Les Cassandres, évidemment ignorées
Nous subissons actuellement une propagande de guerre tout à fait classique.
Les trois premiers points, les plus importants, s'enchaînent logiquement : « Nous ne voulons pas la guerre (et n'y sommes d'ailleurs pour rien), c'est notre ennemi qui est l'agresseur, d'ailleurs car son chef est diabolique. »
Loin d'être confrontés à conflit qui découlerait de problèmes inéluctables - puisque nous aurions essayé à tout prix de les éviter -, il est important de montrer que cette situation résulte de choix politiques délibérés, qui auraient pu être autres. La crise actuelle nous le montre de façon criante, comme vient de le rappeler George Kennan, grand spécialiste américain.
En effet, Kennan, certainement le plus grand soviétologue américain, ancien ambassadeur américain en URSS, concepteur de la doctrine Truman du containment, et acteur majeur des débuts de la guerre froide, ne mâcha pas ses mots en 1997 : « l'élargissement de l'OTAN serait l'erreur la plus catastrophique de la politique américaine de toute l'ère de l'après-guerre froide » [ s] :
Michael Mandelbaum, professeur et directeur de l'American Foreign Policy program à l'Université Johns Hopkins implora de ne pas étendre l'OTAN pour préserver la nouvelle Paix. [ s ; s]
Une vingtaine d'anciens hauts-fonctionnaires du Département d'État ont publié une lettre en 1995 dénonçant cette extension. [ s]
L'universitaire espagnol X. Murillo a fait valoir que l'expansion de l'OTAN « pourrait ramener l'Europe à l'époque de la guerre froide ». [ s]
John Lewis Gaddis, professeur connu pour ses travaux de recherches sur la guerre froide, surnommé le « doyen des historiens de la guerre froide », biographe officiel de George Kennan, écrivit [ s] :
L'expansion ne plaisait pas plus à Thomas Friedman, l'indéboulonnable éditorialiste « affaires étrangères » du Herald Tribune et du New York Times, triple lauréat du prestigieux prix Pulitzer.
Etc.
Même les suppliques des intellectuels russes dans la presse ne firent pas dévier les parlementaires américains [ s]
VII. 2007 : La dernière alerte de Poutine ?
Le 10 mars 2007, le président Poutine s'est adressé à la conférence annuelle de Munich sur la Sécurité. Ses objections et avertissements sont devenus catégoriques.
« On voit apparaître en Bulgarie et en Roumanie des « bases américaines légères avancées » de 5 000 militaires chacune. Il se trouve que l'OTAN rapproche ses forces avancées de nos frontières, tandis que nous - qui respectons strictement le Traité - ne réagissons pas à ces démarches.Il est évident, je pense, que l'élargissement de l'OTAN n'a rien à voir avec la modernisation de l'alliance, ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c'est un facteur représentant une provocation sérieuse et abaissant le niveau de la confiance mutuelle. Nous sommes légitimement en droit de demander ouvertement contre qui cet élargissement est opéré. Que sont devenues les assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces garanties ? On l'a oublié. Néanmoins, je me permettrai de rappeler aux personnes présentes dans cette salle ce qui a été dit. Je tiens à citer des paroles tirées du discours de M. Werner, alors Secrétaire général de l'OTAN, prononcé à Bruxelles le 17 mai 1990 : « Que nous soyons prêts à ne pas déployer les troupes de l'OTAN à l'extérieur du territoire de la RFA, cela donne à l'Union soviétique des garanties sûres de sécurité ». Où sont aujourd'hui ces garanties ?
Les blocs de béton et les pierres du Mur de Berlin sont depuis longtemps des souvenirs. Mais il ne faut pas oublier que sa chute est devenue possible notamment grâce au choix historique de notre peuple - le peuple de Russie - en faveur de la démocratie et de la liberté, de l'ouverture et du partenariat sincère avec tous les membres de la grande famille européenne.
Or, maintenant, on s'efforce de nous imposer de nouvelles lignes de démarcation et de nouveaux murs. Même s'ils sont virtuels, ils ne manquent pas de diviser, de compartimenter notre continent. Faudra-t-il à nouveau des années et des décennies, une succession de plusieurs générations de responsables politiques pour démanteler ces murs ?
Je suis certain qu'en ce moment crucial il faut repenser sérieusement l'architecture globale de la sécurité.«
Comme l'indique le chercheur Ted Charpentier [ s] :
Le discours de la conférence de Munich sur la sécurité de 2007 aurait dû dissiper tout doute quant à savoir si la Russie considérait la politique de l'OTAN en général et la marche inexorable de l'alliance vers l'est en particulier comme provocatrices et menaçantes. Poutine avertissait ses homologues occidentaux de changer de cap.Rétrospectivement, c'était peut-être la dernière occasion d'éviter une nouvelle guerre froide entre l'Occident et la Russie.