Subitement, on tourne les tables. Toute l'attention médiatique se reporte sur l'attentat de Strasbourg, reléguant le mouvement des gilets jaunes à la marge. Le terroriste s'étant réclamé de l'islam, la question de l'immigration, pour un temps remplacé par la question sociale dans l'actualité, revient à l'avant-scène, même si le terroriste d'origine maghrébine est né en France. L'assassin étant toujours au large, le gouvernement demande aux gilets jaunes de renoncer à la manifestation prévue à Paris samedi, pour une cinquième semaine consécutive.
Des gilets jaunes crient au complot. « L'attentat, c'est le gouvernement. C'est une magouille de Macron, c'est clair et net », selon les propos de plusieurs d'entre eux recueillis par le journal Libération sur les carrefours giratoires où ils poursuivent leur mobilisation. Ce qui ne les empêche pas d'envisager de porter un brassard noir en plus de leur gilet jaune, en hommage aux victimes de l'attentat.
Qu'on prête foi ou non aux théories du complot, l'attentat arrive à point nommé pour le gouvernement. Qu'il veuille remettre à l'avant-plan la question de l'immigration comme diversion se confirme dans le plan pour un « grand débat national » qu'il vient de présenter où il ajoute, à l'étonnement général, l'immigration aux autres thèmes (la transition écologique, les services publics, l'évolution du débat démocratique, la fiscalité), soulevés par le mouvement des gilets jaunes.
Rien d'étonnant. Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, les partisans de Macron ont cherché à utiliser des propos anti-immigration de manifestants pour discréditer le mouvement auprès de l'opinion publique. Ainsi, Daniel Cohn-Bendit, le leader le plus médiatisé de Mai 68, aujourd'hui un fidèle supporteur de Macron, accusait à la télé les gilets jaunes d'être contre le Pacte de Marrakech pour dénigrer le mouvement.
Pourtant, une enquête menée par des universitaires auprès des participants sur les ronds-points et aux postes de péages des autoroutes où manifestent les gilets jaunes, publiée dans le journal Le Monde, démontre que l'immigration est une motivation pour à peine 1,2% de ces derniers. Parmi les mesures souhaitées, l'immigration ne récolte également que 1,2% des réponses.
La haine de classe
L'attentat est une bénédiction pour le gouvernement parce que ni la répression ni les concessions ne sont parvenues à freiner le mouvement des gilets jaunes et le soutien qu'il bénéficie auprès de la population. Après la manifestation du samedi 8 décembre, où Paris était transformée en ville assiégée, et plus de 14 milliards d'euros de concessions, le mouvement des gilets jaunes a toujours l'appui de 54 % de la population, selon le dernier sondage.
Samedi le 8 décembre, le gouvernement n'avait pas lésiné sur les moyens. Plus de 89 000 policiers, dont 8 000 à Paris, étaient mobilisés. Dans la Ville-Lumière, le déploiement des forces de l'ordre était spectaculaire. En plus de la cavalerie, il y avait 12 blindés, sur le modèle que le Canada vend à l'Arabie saoudite. Ils étaient munis, nous apprend le magazine Marianne, d'une réserve de poudre incapacitante, jamais utilisée auparavant. Une fois pulvérisée, la poudre aurait été capable « d'arrêter net une foule, mettant les gens à terre, même avec des masques, sur une surface de plusieurs terrains de football ».
Il faut dire que le gouvernement, et plus particulièrement, le Président Macron, frôlait la panique. Au cours de l'été, Macron y était allé d'une bravade - lors de l'affaire Benalla, du nom de son conseiller qui avait brutalisé des manifestants lors du Premier Mai - en lançant un tonitruant « Qu'ils viennent me chercher! ». Là, selon le Canard Enchaîné, il craignait que les gilets jaunes le prennent au mot!
Déjà, lors de sa visite la semaine précédente au Puy-en-Velay, où la préfecture avait été incendiée par les manifestants, il avait été copieusement injurié par des gilets jaunes qui ont tapé sur la voiture présidentielle. Un maire de l'endroit lui avait déclaré : « Ils veulent planter votre tête sur une pique! » Pas de quoi le rassurer !
En fait, la haine que suscite Macron est évidente au point où un commentateur chevronné comme Alain Duhamel n'a pas hésité à parler sur les ondes de la télé française de manifestations de « haine de classe ».
Aussi, selon le Canard Enchaîné, l'Élysée a été transformée, samedi le 8 décembre, en véritable château fort. Plus de 500 gardes républicains du premier régiment d'infanterie et une centaine de policiers et de gendarmes du Groupe de sécurité de la présidence de la République étaient présents, avec lances à eau, drones, et même un hélicoptère prêt à exfiltrer le chef de l'État. « Ne manquaient que l'eau bouillante et les archers », ironise le Canard.
Ailleurs, dans Paris, les policiers n'y sont pas allés de main morte. On a procédé à 1082 arrestations (1723 dans toute la France), la plupart en venant cueillir les manifestants, venus des régions, à leur arrivée à Paris dans les gares, les terminus d'autobus ou encore lors de barrages routiers sur les autoroutes. On rapporte de nombreux blessés. Quatre personnes ont perdu une main lorsque, voulant relancer des grenades assourdissantes, celles-ci leur ont éclaté dans la main. Trois autres personnes ont été éborgnées par des tirs de Flash-Ball. Il faut préciser que Macron avait donné le feu vert aux forces de l'ordre en affirmant, les jours précédents, que les manifestants allaient venir à Paris pour « casser et tuer ».
Plus que les syndicats en 30 ans
Dans un premier temps, le mouvement des gilets jaunes avait réussi à arracher au gouvernement l'annulation de la taxe sur l'essence et de l'augmentation du tarif de l'électricité, qui devaient entrer en vigueur le 1er janvier. Mais c'était manifestement trop peu, trop tard. Ces concessions n'avaient que renforcé la détermination des manifestants.
Macron a dû se résigner à allonger la facture à 10 milliards d'euros en annonçant, lors d'une prestation télévisée de 13 minutes, une augmentation du SMIC (salaire minimum) de 100 euros par mois, une exonération d'une hausse de taxes sur les retraites de tous ceux touchant moins de 2 000 euros par mois, et une défiscalisation des heures supplémentaires.
Il y a des entourloupettes dans ces mesures. Par exemple, l'augmentation du SMIC n'en est pas une du salaire minimum proprement dit, mais de la « prime d'activité » (une aide complémentaire). Mais il n'en demeure pas moins que le mouvement des gilets jaunes a obtenu, comme l'ont signalé des commentateurs français, plus en quelques mois que le mouvement syndical en 30 ans! Comme quoi, la mobilisation paye !
Courtesy of L'aut'journal
Source: lautjournal.info
Publication date of original article: 14/12/2018