30/06/2024 chroniquepalestine.com  8min #251565

 Depuis des mois, les habitants de Gaza sont confrontés à une insécurité alimentaire catastrophique

Gaza : un carnage sur fond de famine

Un parent d'Eyad Hegazi, un enfant palestinien de 10 ans mort de malnutrition, pleure devant l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa à Gaza le 14 juin 2024 - Photo : via MEE

Par  Tareq S. Hajjaj

Israël a été contraint à une guerre d'usure alors que la résistance palestinienne s'est reconstituée à travers Gaza. L'ampleur des horreurs perpétrées par l'armée israélienne dans ces batailles n'apparaît qu'à travers les témoignages, une fois les combats terminés.

Il était midi, le 26 juin, lorsque les habitants du quartier d'al-Shuja'iyya, à l'est de la ville de Gaza - l'un des plus grands quartiers de la bande de Gaza, habité par plus de 300 000 personnes - ont été pris par surprise lorsque des chars israéliens ont pénétré dans leur secteur.

Les habitants ont décrit des scènes chaotiques lorsque les chars ont tiré sans discrimination, déclenchant un barrage d'obus qui a ravagé la zone.

Nombreux sont ceux qui ont rassemblé à la hâte leurs biens de première nécessité dans des sacs qu'ils avaient préparés en prévision d'une nouvelle vague de déplacements.

Quelques heures plus tard, des vidéos et des photos ont circulé, montrant des milliers de personnes fuyant dans la panique, la peur et les larmes.

Arwa Awais, 22 ans, qui avait accouché dans sa maison de la rue al-Mantar, a raconté avoir vu son mari entrer en action lorsqu'il a vu les chars approcher à environ 300 mètres de leur maison. Ils ont pris ce qu'ils pouvaient et se sont dirigés vers l'hôpital Sabha.

« Je n'étais pas consciente de ce que je faisais », a-t-elle raconté à Mondoweiss. « J'ai mis les affaires de ma petite fille dans un sac, je les ai portées et nous sommes sorties dans la rue sans porter de vêtements appropriés ni mettre nos chaussures aux pieds. »

Ayant subi de multiples déplacements au cours des mois précédents, et connaissant les horreurs dont les forces terrestres israéliennes étaient capables à la suite de précédents massacres dans le nord, Arwa savait que rester n'était pas une option. Elle a rejoint sa sœur Lina de la rue al-Nazaz, et ensemble, elles ont cherché refuge auprès d'une troisième sœur dans la banlieue ouest d'al-Shuja'iyya.

Lorsque les trois sœurs se sont retrouvées, elles ont décidé d'évacuer complètement al-Shuja'iyya. La troisième sœur qui les a accueillies cherchait également un autre endroit où aller avec sa famille jusqu'à ce que l'incursion commence à se calmer. Elles ont envisagé des zones à l'ouest de la ville de Gaza, sinon elles risquaient d'aller vers le sud et de ne pas pouvoir revenir.

Cette nuit-là, la majorité des familles du quartier de Shuja'iyya ont quitté leurs maisons et dormi dans les rues, transportant tout ce qu'elles possédaient sur leur dos.

Arwa, qui traversait al-Shujaiya en direction de l'ouest, a vu les maisons voisines être bombardées, mais par miracle, elle et ses proches ont survécu alors que les bâtiments et les rues autour d'eux étaient touchés.

« Pendant tout le trajet, je regardais le petit visage de ma fille de deux mois », a-t-elle dit. « Malgré les scènes de mort et les morceaux de corps répandus par les drones qui visaient les habitants en fuite, je ne pensais qu'à une chose : je portais ma fille et la déplaçais d'un endroit à l'autre pour la troisième fois de sa courte vie. Je me suis dit qu'il n'était pas juste qu'un enfant assiste à toutes ces scènes et entende tous ces bruits. »

« Nous ne fuyons pas la mort », explique Arwa. « Nous sommes déjà morts plusieurs fois au cours de cette guerre, en attendant qu'elle s'arrête. Nos cœurs sont carbonisés par ce que nous avons vécu. Mais si nous avons la liberté de choisir, nous ne voulons pas mourir sous les décombres. Nous ne voulons pas que des chiens errants mangent le corps de ma fille, car c'est ce qui se passe lorsque l'armée israélienne envahit une zone à Gaza. Les cadavres sont abandonnés dans les rues et sous les décombres, jusqu'à ce que les chiens les mangent ».

Arwa raconte que lorsque les gens lui demandent l'âge de sa fille, sa réponse est à chaque fois différente. « Je leur dis que ma fille Malak a survécu à des dizaines de milliers d'obus et de missiles, et que c'est son âge. »

Le ministère de la santé de Gaza a déclaré dans son rapport quotidien sur les victimes qu'au cours des dernières 24 heures, l'armée israélienne avait massacré 47 personnes à Gaza et en avait blessé 52 autres.

Après le retrait israélien d'al-Shuja'iyya il y a deux mois, de nombreuses familles sont retournées dans leurs maisons endommagées et ont tenté de se réinstaller au milieu des ruines, avant d'être confrontées à cette nouvelle invasion, lancée sans aucun avertissement.

L'assaut surprise de l'armée israélienne a visé non seulement la zone entourant l'hôpital Sabha, mais aussi al-Shuja'iyya dans son ensemble, y compris ses différents secteurs à proximité comme al-Turkman, al-Tuffah, al-Sha'af et al-Nazaz.

L'armée israélienne n'a pas prévenu les civils avant le lancement de son opération, utilisant plutôt l'effet de surprise pour prendre d'assaut la zone avec une importante force terrestre.

Selon les témoignages recueillis par Mondoweiss auprès des habitants du quartier, tout le monde a été surpris par cette incursion soudaine. Ce n'est que plusieurs heures après le début du raid que l'armée israélienne a largué des tracts et passé des appels téléphoniques aux habitants, leur ordonnant de quitter le quartier de Shuja'iyya et de se diriger vers le sud.

Selon les témoignages des habitants, l'armée israélienne a encerclé la zone et s'est déployée très rapidement.

Des témoins oculaires ont déclaré que la petite maternité de Sabha était devenue un refuge pour les familles, dont la majorité des membres ont été exterminés parce qu'ils avaient des proches affiliés au mouvement Hamas.

Les survivants se sont réfugiés dans l'hôpital après que toutes leurs maisons ont été détruites et que la plupart de leurs proches ont été tués.

Ce schéma répétitif d'incursions vise à étouffer la résistance, après avoir décimé al-Shuja'iyya lors d'opérations antérieures. Mais malgré les destructions massives, les habitants persistent à reconstruire et à résister, insistant pour retourner vivre parmi les décombres de leurs maisons.

Une guerre d'usure

À l'heure actuelle, la manière dont l'armée israélienne opère dans les zones dont elle s'est retirée après y avoir prétendument « éliminé » la résistance est devenue un modèle.

L'armée lance une attaque surprise, tue sans discernement, arrête les gens en masse, encercle les quartiers et les inspecte maison par maison, tout en s'affrontant aux combattants de la résistance qui tentent de conduire les forces d'invasion dans des embuscades.

Lors des perquisitions et des descentes dans les maisons, les arrestations ou les exécutions sommaires sont immédiates.

Tout cela dure plusieurs jours, parfois des semaines, et les témoignages sur l'ampleur des horreurs perpétrées par l'armée israélienne n'apparaissent qu'après la fin de ses actions.

Après son retrait, l'armée continue de surveiller la zone pendant de longues périodes, y revenant pour tester la capacité de la résistance à y reconstituer ses forces et à l'affronter à nouveau. Mais à chaque fois, la résistance fait preuve d'une résilience et d'une adaptation qui se sont maintenues pendant des mois d'invasion terrestre.

C'est ce qu'a fait l'armée israélienne lorsqu'elle a envahi l' hôpital al-Shifa en mars, pour la deuxième fois depuis le début de la guerre, assiégeant le complexe médical et ses environs pendant deux semaines et le détruisant complètement.

Les  témoignages des survivants décrivent comment les soldats israéliens ont rassemblé les patients et le personnel médical et les ont tué avec les employés de l'administration de Gaza et les réfugiés déplacés dans un grand massacre, avant de les enterrer dans des fosses communes.

Le même schéma s'est répété lorsque l'armée a réinvesti  Jabalia et son camp de réfugiés à la mi-mai, passant trois semaines à se battre avec les résistants dans les ruelles du camp avant de se retirer.

La même chose se produit maintenant à al-Shuja'iyya, et les résultats risquent d'être les mêmes. La stratégie de l'armée israélienne est désormais claire : elle cherche à « tondre la pelouse » partout où la résistance réapparaît dans la bande de Gaza, alors que les combats sortent de leur « phase intensive », comme l'a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu il y a quatre jours.

Mais il existe une manière plus précise de décrire cette dynamique : il s'agit d'une guerre d'usure avec la résistance.

Au cours des premières heures de l'invasion de Shuja'iyya, les factions de la résistance ont annoncé leurs opérations défensives contre les forces israéliennes, y compris la destruction de chars et de véhicules de transport de troupes et le ciblage de groupes de soldats.

L'invasion a à peine dépassé les 24 heures, mais à l'heure où nous écrivons ces lignes, les premiers rapports font état de سرايا القدس تعلن إجهازها على قوة إسرائيلية بتفخيخ مبنى بقنبلة أطلقتها طائرة ولم تنفجر بالشجاعية israéliennes à Shuja'iyya.

Auteur :  Tareq S. Hajjaj

* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l' université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local  Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi,  MEE et  Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour  We Are Not Numbers et  Mondoweiss.Son compte  Twitter.

28 juin 2024 -  Mondoweiss - Traduction :  Chronique de Palestine

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