06/12/2018 mondialisation.ca  9min #149256

 De la crise symbolique à la crise politique

Gilets-jaunes: au-delà de la révolte, la sécession

Des citoyennes et citoyens «lambda» ont été à l'origine du mouvement des «Gilets-jaunes» qui en l'espace d'un mois s'est internationalisé et même mondialisé, puisque désormais les «Gilets-jaunes» ont fait des émules en Belgique, en Hollande, en Allemagne, en Italie, en Bulgarie en Serbie et déjà dans plusieurs pays Africains comme le Burkina Faso...

Comme toujours, ce sont des personnes du peuple, de la base et non «d'en haut», non des élites, qui inspirent les Sécessions, les Séditions, les Insurrections, la Fronde, les émeutes, la Résistance et les Révolutions... En revanche, les guerres, les génocides, les massacres, sont l'apanage des États!

On se souvient qu'en 1789, les femmes de Paris, excédées par les pénuries de pain et ne pouvant plus nourrir décemment leurs enfants, ont décidé de former un cortège de protestation pour se rendre à Versailles, afin d'y chercher « le Boulanger, la Boulangère et le petit Mitron »! C'est ce mouvement de colère initié par les femmes qui déclencha la participation des hommes passant à l'acte de ce qui allait devenir dans les jours suivants la Révolution.

Au commencement de la révolte des « Gilets-jaunes », il y a eu cette pétition de Priscillia Ludosky, une femme de 32 ans habitant en Seine-et-Marne, demandant la baisse des prix sur le carburant à la pompe. Puis, Eric Drouet, un chauffeur routier francilien lançait un appel à la mobilisation du 17 novembre. Puis, Jacqueline Mouraud faisait une vidéo sur la mobilisation avec l'idée des gilets-jaunes, qui totalisait rapidement plus de 6 millions de vues...

Il y a donc toujours un détonateur aux révoltes populaires, la goutte qui fait déborder le vase, la mesure malheureuse de trop, la montée progressive des tensions dans l'inconscient collectif d'un peuple et la captation de sa formalisation par quelqu'un, anonyme au cœur de ce peuple, qui va opérer une coalescence de la pulsion collective d'une colère mise au pied du mur! De là, l'idée du passage à l'acte est inspirée, conçue, inventée et créée. Les réseaux sociaux, dans le collimateur du Pouvoir qui voulait les contrôler et les limiter, seront le vecteur du mot d'ordre d'un passage à l'acte massif et retentissant.

Aussitôt, le Pouvoir tentait de minimiser ce mouvement atypique, né de nulle part, jailli de l'ombre et surprenant le Gouvernement qui n'avait rien vu venir! Mais la traînée de poudre flambait plus vite que la réaction gouvernementale et anticipait toutes ses prévisions... Le peuple s'était mis en marche et « la bulle Macron » n'allait plus tarder à éclater. Même si Mr Castaner, le Ministre de l'Intérieur, a voulu faire croire à toute la France que le mouvement était minime et qu'il s'essoufflait très rapidement, nous savons au contraire que les chiffres étaient bien plus imposants que ceux annoncés par la Place Beauvau. Aujourd'hui les 70% de sympathisants des « Gilets-jaunes » sont devenus plus de 80% et le mouvement a essaimé dans les autres pays de l'Union Européenne.

Après avoir compris le premier motif déclencheur de la révolte des « gilets-jaunes », qui nous renvoie à la situation d'urgence des personnes acculées à une détresse vitale, dans l'impérative nécessité d'être vues et entendues par le Pouvoir, nous devons comprendre que très vite, la motivation première est devenue tout autre sur un deuxième niveau de revendications, et c'est pour cette raison que, quelque soit la réponse donnée par le Gouvernement actuel, ce mouvement va poursuivre sa route qui est dores et déjà calée sur un objectif bien plus fondamental : la réappropriation politique de la souveraineté du peuple.

Les réformes fiscales postposées à six mois, afin de permettre un « dialogue » des représentants de la révolte populaire avec Matignon et l'Élysée, vont certes permettre aux plus modestes de respirer encore un peu dans l'immédiat, mais ne représentent déjà plus depuis longtemps les mesures adéquates d'une réforme à long terme! L'État tel qu'il a été transformé par la volonté du Pouvoir financier prédateur, est hors jeu, il est hors sujet, il est fondamentalement dépassé et disqualifié, en décalage avec la revendication essentielle de la Nation Française...

Thatcher et Reagan avaient décidé en 1976, aux accords de la Jamaïque, de lâcher le renard dans le poulailler, ou la meute de loups dans la bergerie, sous prétexte de liberté d'entreprendre et d'économisme prospère...

A partir de là, les États étaient priés de se retirer pour ne pas gêner ce capitalisme sauvage, l'organisation de la stagnation et parfois de la baisse importante des salaires, pendant qu'une subite et vertigineuse montée des prix, pour le seul profit exorbitant des marchés du capitalisme parasitaire financier, de la spéculation boursière et des grandes entreprises, imposait sa loi de profit aux États et aux peuples. Les multinationales organisaient les « tribunaux d'arbitrage », opérant uniquement en leur faveur et en condamnant systématiquement les pays, théoriquement encore souverains, à des sanctions financières désastreuses. Le pillage était ainsi organisé sans tarder par les grandes entreprises du CAC 40 y compris par un détournement massif de l'impôt et le renard ou les loups s'en donnaient à cœur joie dans l'espace des peuples encerclés et pris en otages par cette barbarie odieuse d'un capitalisme amoral se référant, comme à une normalité sans alternative, «à la main invisible du marché»! Peu à peu, très rapidement, l'idée faisait son chemin de programmer la dissolution des États Nations, afin de favoriser le grand marché mondialisé, la libre circulation des personnes et des capitaux. Quelques entités devaient donc être créées et qui ne dépendraient plus des États Nations ni de la souveraineté des peuples. Ces entités concentreraient en elles-mêmes toutes les formes de pouvoir et seraient au service exclusif du capitalisme parasitaire financier pour un ordolibéralisme décrété « seule et unique alternative » à tous les autres systèmes ayant démontré leur inefficacité!

Le 21 novembre dernier, à Berlin, Angela Merkel en accord avec Emmanuel Macron déclarait que « les États Nations de l'Union Européenne devaient transférer leur souveraineté à Bruxelles!» De là, la France était donc tout naturellement invitée à renoncer à son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies...

Tout a été arraché des mains du peuple : il n'a plus aucune maîtrise de son destin et l'idée même démocratique a été enterrée sciemment. Tout cela, c'est le prédateur de la haute finance qui l'a conçu pour l'avènement béatifique de son empire destiné à régner ad vitam aeternam sur un troupeau d'esclaves dressé à devoir remplir perpétuellement une besace de contrebandier, trouée, insatiable, pour un pillage sans fin...

Puisque les États Nations ont été réduits à néant par le tour de passe-passe des « Unions », l'Européenne et d'autres, à la faveur du non consentement constitutionnel des peuples, le rôle majeur qu'ils jouaient : celui de veiller sur les intérêts du bien commun, a été en même temps lui aussi anéanti. Ce jeu de dupes était machiavélique, car il s'était fait au nom de la paix entre les peuples jadis belliqueux, de la liberté de tous et d'une immortelle démocratie!

Nous avons été dépouillés de notre souveraineté, volés, pillés et désormais réduits à être les sans voix! Que pouvions-nous donc faire d'autre que de nous révolter face à cette trahison des élites afin de faire entendre à nouveau notre voix qui a été sciemment ignorée à travers tous les votes depuis au moins le 29 mai 2005?

Il est clair que cette révolte faisant des émules dans le reste du monde occidental, va poursuivre son chemin jusqu'au moment où le coup d'État institutionnel va se profiler ; c'est-à-dire dès que Bruxelles sera devenue le seul maître qui appliquera sans hésitation les moyens que sa Constitution lui donne contre l'avis des peuples: (stipulé en annexes de la Constitution), «la légitimité pour la police d'un usage des armes à feu contre les manifestants menaçant la sécurité de l'Union.»

Si les élites au pouvoir en arrivent à cette décision malheureuse, d'un transfert de la souveraineté des États Nations de l'UE à Bruxelles, absolument convaincus qu'ils sont de servir l'unique et meilleur choix pour notre bien : celui du fascisme ultra libéral, il est alors certain que nous retournerons à la Révolution afin de nous réapproprier notre souveraineté perdue et nos valeurs associées, celle de la Déclaration des Droits de l'Homme... La révolte des « Gilets-jaunes » n'est déjà plus une simple révolte, elle est devenue une Sécession.

Dans une telle situation, la tentation classique du Pouvoir peut-être celle de focaliser les attentions et les tensions sur un ennemi extérieur, de fomenter la guerre, de la déclarer arbitrairement par des accusations et des condamnations sans fondement. Cette tentation peut se concrétiser. Quand le Pouvoir a tout à perdre, il peut être tenté de tout risquer, puisque c'est de toute façon le peuple qui paiera toujours pour la perversion des dominants et des prédominants.

Jean-Yves Jézéquel

Lire également les deux premiers textes de Jean-Yves Jézéquel :

 Les «Gilets-jaunes», le réveil des citoyens français, 25 novembre 2018

 France: Bonnets rouges et gilets jaunes , 02 décembre 2018

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