Source : Télérama, Samuel Gontier, 09-01-2019
Sitôt achevée l'intervention d'Edouard Philippe, lundi soir sur TF1, les experts de BFMTV saluent l'ultra-fermeté opposée à l'ultra-ultraviolence des ultra-radicaux, auxquels ils promettent des peines ultra-exemplaires. Reste à savoir comment rendre ultra-répressif notre appareil judiciaire ultra-droit-de-l'hommiste.
« Ce à quoi on assiste aujourd'hui, c'est à une police totalement déchaînée, accuse l'invité de BFMTV. La doctrine du maintien de l'ordre à la française, qui était de ne pas aller au contact, est en train d'être pulvérisée. » C'est le journaliste David Dufresne qui parle. Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, il recense sur Twitter les témoignages filmés de violences policières. L'invité de BFMTV poursuit : « On assiste à une "révolution policière" qui met totalement à mal le fameux modèle du maintien de l'ordre à la française. » Comment ça ? Je croyais que le monde entier nous l'enviait... « Dont on nous parle encore aujourd'hui en nous disant que c'est le "génie français". » Oui, sur BFMTV, tous les samedis. « Non, on est dans un mythe. Ce mythe s'écroule sous nos yeux samedi après samedi. » L'interview de David Dufresne sur BFMTV aussi est un mythe. Même si la chaîne l'a bel et bien invité, lundi dernier.
David Dufresne a décliné. Il s'en est expliqué sur Twitter. Pour aggraver son cas, il a accepté l'invitation de Le Média. « Si je suis là, c'est parce que je ne suis pas à BFM qui m'a invité au même moment, explique-t-il au cours de GILETS JAUNES : DES VIOLENCES POLICIÃRES JAMAIS VUES - DAVID DUFRESNEGILETS JAUNES : DES VIOLENCES POLICIÃRES JAMAIS VUES - DAVID DUFRESNE au long cours. L'invitation de BFM était assez rigolote puisqu'ils m'ont demandé de venir parler des manifestants violents... Mais ça fait un mois et demi que je travaille sur les violences policières ! » Et alors ? S'il fallait être compétent pour devenir expert sur BFMTV, ça se saurait.
Le Média
David Dufresne regrette que le message de la plupart des médias soit « unilatéral, univoque. Cette façon de travailler, de diriger le débat empêche la compréhension. Si on ne veut pas voir qu'il y a des milliers de blessés... Des milliers de blessés ! Des dizaines de gens mutilés qui ont perdu œil, main... Ça n'était jamais arrivé ! Pourquoi ce fait-là est-il occulté ? » Bientôt un mois et demi que je me le demande - deux ans et demi si je remonte à ma stupéfaction face à la répression des manifestations contre la loi Travail.
A propos de travail, David Dufresne résume : « Le travail des confrères est nul, au sens où il n'existe pas. » A quelques exceptions près, précise l'invité de BFMTV (et de Le Média). Notamment une enquête d'Envoyé spécial, « Violence, la surenchère », dans laquelle il était également interviewé. Pour ceux que la fréquentation de Le Média ou de France 2 rebuterait, on conseillera aussi l'article d'Olivier Fillieul et Fabien Jobard, Un splendide isolement, écrit à en 2016 à l'occasion des manifestations contre la Loi travail et publié par La vie des idées.
« Il y a des raisons » à l'omerta sur les violences policières, poursuit David Dufresne : « Les journalistes sont alimentés par les syndicats de police. » Et ils ne veulent pas se brouiller avec leurs sources - ni froisser leurs invités, parmi lesquels moult syndicalistes policiers, sans parler du fauteuil attribué à la porte-parole de la préfecture de police sur BFMTV. C'est pourquoi ils défendent avec tant de virulence le piétinement de l'Etat de droit, tel Dominique Rizet vantant la répression préventive face à un représentant de la Ligue des droits de l'homme dont le discours n'est « pas entendable ».
BFM TV
Un autre exemple est donné ce même lundi, après l'interview d'Edouard Philippe au 20 heures de TF1, dans laquelle pas un instant Gilles Bouleau n'évoque les violences policières... mais où le Premier ministre annonce une nouvelle loi « anti-casseurs ». A peine terminée, sa prestation est décryptée sur BFMTV. Son présentateur, Alain Marshall, s'inquiète : « En appelant à cette fermeté, en disant "on mobilise", est-ce qu'en face ça ne pousse pas les autres à la mobilisation et à la radicalité ? » « Oui, mais il n'a plus le choix ! », réplique Anna Cabana. « Là, il n'a plus le choix », renchérit Thierry Arnaud. Selon les experts de BFMTV, le gouvernement n'a le choix que de la répression.
Anna Cabana développe : « Quand on répond ultra-fermeté à l'ultraviolence, on prend le risque d'avoir de l'ultra-ultraviolence qui exigera une réponse d'ultra-ultra-fermeté. » C'est ultra-ultra-flippant. D'autant qu'« on est dans une surenchère absolument inévitable ». Voire ultra-inévitable. « Que voulez-vous que l'exécutif fasse dans une situation comme ça ? » A part foncer dans le tas ? « Quand il dit : "Ils n'auront pas le dernier mot", ça veut dire qu'on est dans la guerre ! » Tant qu'on n'est pas dans l'ultra-guerre... « Avec une volonté de ne pas laisser les symboles de la violence de l'autre côté. » Les forces de l'ordre aussi doivent devenir des symboles de la violence. « Un tracteur qui vient défoncer la porte d'un ministère, c'est un truc invraisemblable. » « Les agriculteurs ont déjà saccagé des préfectures ou des ministères », objecte Alain Marshall. Oui mais les agriculteurs ne réclament pas le rétablissement de l'ISF.
Ruth Elkrief est ultra-fataliste : « La radicalisation est déjà là, de toute façon. » Celle des manifestants. Alain Marshall prévient : « Les ultra-radicaux seront encore là samedi prochain. » L'ultra-radicalisation est déjà là, de toute façon. Thierry Arnaud fait un pas de côté pour regretter qu'Edouard Philippe n'ait prévu aucune mesure de répression de la violence sur Internet, il réclame « une fin de l'anonymat sur les réseaux sociaux parce que c'est pas tolérable de se comporter comme ça ». « Le Premier ministre dit que le nouveau dispositif [législatif] va être basé sur les mesures mises en place dans les années 2000 contre le hooliganisme, rapporte Ruth Elkrief. C'est vrai que c'était assez efficace. » En effet, c'est un formidable laboratoire de la répression, comme le rapportait Jérôme Latta en 2015 - et de la régression de l'Etat de droit puisque la liberté de circulation des supporters est entravée pour prévenir des délits qu'ils n'ont pas commis.
Ruth Elkrief précise : « C'est le syndicat Alliance qui l'a proposé. » Un gage de pondération et d'impartialité. « Si on arrête un casseur qui a été fiché, on peut l'interpeller tout de suite et immédiatement le mettre en garde à vue et procéder à une sanction. » Pour des faits qu'il n'a pas commis. « C'est une progression, effectivement. » Des libertés fondamentales, assurément. « C'est une façon d'avoir des moyens plus importants et aussi de parler aux policiers qui sont à bout physiquement et moralement. Il y a une grande crise morale pour les policiers et les gendarmes qui nous défendent. » Qui défendent les éditorialistes de BFMTV ? « J'ai des commandants de CRS qui m'appellent, qui sont effarés de ce qui est en train de se passer », témoigne l'invité de BFMTV, David Dufresne, dans son interview à Le Media.
L'éditorialiste Thierry Arnaud voit dans les annonces du Premier ministre « un changement de philosophie samedi prochain, avec près de 80 000 policiers mobilisés... » Toutes les ressources de la philosophie seront mobilisés. «... Avec une attitude qui sera beaucoup moins "tolérante", et je mets le mot entre guillemets. »On a vu que la tolérance pouvait blesser et mutiler par inadvertance. A propos de la « loi nouvelle », l'éditorialiste soulève « une question subsidiaire qui ne l'est pas totalement : quel délai ? Cette loi ne pourra pas être votée et encore moins être mise en place d'ici samedi ». C'est embêtant. Il faudrait activer l'article 16 de la Constitution pour donner à Emmanuel Macron les pleins pouvoirs d'instaurer des lois en deux jours.
« On va faire réagir nos invités », annonce Alain Marshall, présentant un plateau représentatif de toutes les sensibilités, garantie d'un débat équilibré. « Jean-Baptiste Djebbari pour La République en marche, Laurence Sailliet pour Les Républicains, Yves Lefebvre, bien sûr, pour les policiers... » Bien sûr. «... Alexandra Gonzalez, du service police-justice de BFMTV et notre éditorialiste, Bruno Jeudy. » L'inventeur du détecteur de faux Gilets jaunes.
Le présentateur sollicite le syndicaliste : « En tant que responsable policier, vous êtes satisfait ou pas ? » « Non. » Ah bon ? Pourtant, Ruth Elkrief disait qu'Edouard Philippe avait tendrement parlé aux mignonnes forces de l'ordre. « 80 000 personnels mobilisés, ça veut encore dire surcharge de travail, surplus de fatigue, suppression de repos... » Ça vaut bien une petite prime, non ? « Le fichier, d'accord, mais dans combien de temps ? » En attendant, on pourrait exploiter celui de la Sécurité sociale. « Imposons, non pas des peines plancher qui étaient contre-productives, mais des peines minimums. » Il suffit de remplacer « plancher » par « minimum » et les peines seront ultra-productives.
« Prenons le cas du "boxeur"... » Christophe Dettinger qui a, selon la Fédération française de boxe, contrevenu aux règles du Noble Art sur la passerelle Léopold-Sedar-Senghor. « Il doit prendre une peine minimum de trois ans. » Trois ans de suspension de toute compétition ? « On aura un effet dissuasif. » Plus aucun boxeur ne viendra nous boxer.
Le policier en a gros sur le cœur : « Ce que je reproche à Edouard Philippe ce soir, c'est de ne pas avoir tenté de tordre le bras à la justice. » Il n'a pas même essayé de lui balancer une GLI-F4. « C'est ça, le sempiternel problème. » L'entrave de la justice à l'établissement d'un Etat policier. « On s'aperçoit que ces voyous, ces criminels... » Dignes de la cour d'assises. «... L'acte du "boxeur", comme on l'appelle communément, c'est ni plus ni moins qu'une tentative d'homicide. » Il ne mérite pas trois ans mais vingt ans de suspension de toute compétition. « Ils savent qu'ils ne vont rien prendre parce qu'il y a la loi Dati, la loi Taubira. » Maudite Taubira, c'est toujours de sa faute, à celle-là. « On nous dit qu'on va revoir le schéma du maintien de l'ordre mais la doctrine, elle est parfaite en France. » Sur BFMTV, j'admire sa perfection samedi après samedi. « Il faut simplement laisser les décideurs décider au bon endroit. » Laisser les policiers décider à l'endroit des juges, par exemple.
Alain Marshall relance le syndicaliste : « Pour vous, l'ultra-fermeté... » «... n'est pas au rendez-vous », complète le policier, ultra-déçu. «... L'ultra-fermeté dans les peines exemplaires... » Ultra-exemplaires, j'espère.
La parole est au député LREM Jean-Michel Djebbari, celui qui écrasait une larme face à la détresse de Gilets jaunes sur le plateau de Cyril Hanouna. « Je voudrais d'abord rappeler quelques chiffres... » Pas ceux des victimes de LBD (Lanceur de balles de défense) ou de grenades explosives GLI-F4. « Depuis le début du mouvement, c'est 5 600 gardes à vue... » Bravo ! «... C'est 1 000 condamnations pénales... » Hourra ! «... Et c'est 153 mandats de dépôt. » Je suis ultra-content.
Le député est ultra-satisfait que la loi promise par le Premier ministre fasse« passer d'une contravention simple à un délit le port d'une cagoule. Une contravention, c'est une trentaine d'euros, c'est vraiment ridicule. Et ces gens-là commettent des violences, ces gens qui portent des cagoules ». A mon avis, il aurait fallu passer d'une contravention simple à un crime passible des assises... Ça me fait penser que, malgré le froid, je devrais peut-être abandonner le port de la cagoule sous mon casque de vélo (j'ai déjà abandonné le gilet jaune, trop risqué). Je préfère choper une otite plutôt que d'essuyer les plâtres de la toute nouvelle prison de la Santé.
Un bandeau interroge : « La fermeté, et après ? » Je ne sais pas... L'ultra-fermeté, selon Anna Cabana. Alain Marshall angoisse : « Pourquoi on n'arrive pas à désamorcer, de samedi en samedi, ce mouvement des Gilets jaunes ? » Je ne sais pas... Peut-être parce qu'il est plus facile, de samedi en samedi, de dégoupiller des GLI-F4. Jean-Michel Djebbari dénonce les Gilets jaunes « radicalisés » : « Il y a un cœur du mouvement qui est politisé. » De la politique ? Beurk ! Heureusement, le député n'en fait pas.
« On est tous très au courant de ce qui se passe », assure Laurence Sailliet, porte-parole LR abonnée aux plateaux télé - c'est dire si elle est très au courant de ce qui s'y passe. « Y a quand même un noyau de casseurs qui sont connus et qu'on peut tout à fait interpeller par avance. » Ça se fait couramment en Turquie ou en Egypte. « Y a des fichiers... » Oui, mais pas assez. Olivier Marshall tente de la réfréner : « Y a des procédures qui sont légales... » Pas grave : la loi, on peut la changer, Edouard Philippe l'a assuré.
La porte-parole des Républicains se lamente : « Nous avons demandé le retour de l'Etat d'urgence au mois de décembre pour pouvoir assigner à résidence. » « L'assignation à résidence, proteste Jean-Baptiste Djebbari, on l'a ancrée dans la loi ordinaire ! » Re-bravo ! « Non ! C'est dans le périmètre de la commune ! », rétorque Laurence Sailliet. Le policier Yves Lefebvre rappelle tout le monde à la loi :
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