Un texte très militant, qui, quoi que l'on pense de ce qu'il préconise, a le mérite d'exposer la genèse des excellents services publics français et les raisons pour lesquelles dans le cadre du capitalisme dérégulé occidental actuel, il n'a que de très faibles chances de survie, et encore moins d'une quelconque sanctuarisation. Il a un autre mérite, celui de proposer une piste de sortie de crise. Quelles que soient vos convictions, il est clair que passé le premier moment de la contestation, il va bien falloir réfléchir au but à atteindre et aux moyens d'y parvenir. Il faudra donc se poser la question des obstacles à un retour à des services publics solides et à un niveau de vie décent pour tous, et des moyens de les circonvenir.
Ce qui suit est une tentative de réponse. D'autres devraient arriver aussi, notamment si l'on tient compte des effets négatifs de l'euro sur la compétitivité française et le niveau de vie du pays, ainsi que des directives néolibérales de l'UE, qui sont par essence directement contraires aux demandes des Gilets jaunes.
A chacun de faire preuve d'imagination et de créativité. Jusqu'ici, les Gilets jaunes n'ont manqué ni de l'une, ni de l'autre.
Par Michèle Brand
Paru sur Astute News sous le titre The Yellow Vests, the Crisis of the Welfare State and Socialism
Loin de s'essouffler après les vacances, le mouvement des gilets jaunes en France continue d'embraser tout le pays. Tous les samedis depuis onze semaines, des manifestants perturbent ou bloquent les routes, des ronds-points et des péages, se rassemblent sur des places des villages, descendent dans les rues des villes, défilent en nombre sur les boulevards et sont confrontés à une violente répression policière. Dix personnes sont mortes dans les manifestations, principalement à la suite d'accidents sur des barrages routiers, et plus de 2000 ont été blessées par la police, dont une centaine gravement. 17 personnes ont perdu un œil à cause des flash-balls, selon une association indépendante et un journaliste d'investigation, bien que le ministre de l'Intérieur n'en ait récemment annoncé que 4. Des milliers de personnes ont été arrêtées.
Jeunes et vieux, travailleurs, retraités, artisans, petits patrons, agriculteurs, étudiants, travailleurs autonomes et chômeurs convergent pour protester non seulement contre les réformes de Macron en faveur du capital, de la finance et des ultra riches, mais surtout contre le déclin de leur niveau de vie. Un capitalisme de plus en plus agressif, le démantèlement de l'État-providence et la désindustrialisation érodent leur niveau de vie depuis quarante ans, qui a lourdement baissé à la suite de la crise de 2008 et des réformes « néolibérales » de Macron imposées par l'Union européenne.
Les manifestants en jaune en ont assez de manquer d'argent avant la fin du mois, de l'insécurité de l'emploi, de l'augmentation des impôts de la classe travailleuse, de l'insuffisance et de la diminution des pensions, de la baisse des prestations sociales ou des longues heures supplémentaires pour joindre les deux bouts. La classe moyenne française n'est plus généralement « flexible » que vers le bas. Les gens protestent également contre l'augmentation des coûts de l'énergie, les pertes d'emplois dues à la délocalisation, la détérioration des conditions de travail, l'augmentation du nombre des sans-abri, le nombre croissant d'enfants sous-alimentés et de personnes qui ne peuvent plus se nourrir correctement, le sous-financement des services publics tels que les hôpitaux, écoles, bureaux de poste et transports, notamment dans les zones rurales, et encore bien d'autres problèmes.
Dans le même temps, jetant de l'huile sur le feu, Macron a mis en place une série de mesures favorables à la finance, aux capitalistes et aux riches, comme l'annulation de l'impôt sur la fortune, la baisse du taux d'imposition des sociétés, l'offre de crédits supplémentaires aux entreprises, la suppression du code du travail, loi qui a longtemps assuré des protections solides à la classe travailleuse française.
La forme agressive de capitalisme connue sous le nom de néolibéralisme et d'austérité, ainsi que la situation déclinante de la classe travailleuse, ne sont pas du tout spécifiques à la France. La situation est encore pire en Espagne, en Grèce, en Italie et ailleurs. Le peuple français, cependant, a une longue et riche tradition de soulèvements et de progrès sociaux, à partir de 1789, qui est encore une source d'inspiration pour le monde entier. 1789, 1830, 1848, 1871, 1945, 1968... aujourd'hui, une nouvelle révolte s'impose. La France en est à sa cinquième république et la Constitution n'est pas une bible. Les Français savent par expérience historique qu'aucune institution n'est figée et que la contestation populaire est nécessaire pour renouveler l'état des choses.
Selon un sondage réalisé le 14 janvier dernier, 67 % de la population sympathisent avec le mouvement ou le soutiennent, et 25 % s'y opposent. Le mouvement s'est répandu si profondément et si largement dans la culture française que les jeunes enfants des cours d'école de toute la France jouent à des jeux de « gilets jaunes contre flics » au cri de « Macron démission ! » Des femmes et des hommes âgés en gilets jaunes chantent « Macron, on vient te chercher ! » et « Castaner, nique ta mère ! » Beaucoup de gilets jaunes sont des nouveaux venus dans les manifestations, ce qui fait partie de la force du mouvement. D'autres, des manifestants chevronnés, disaient attendre depuis des années, voire des décennies, cette étincelle de révolte populaire pendant qu'ils voyaient le niveau de vie baisser. De nombreux manifestants font partie des 50% de la population qui s'abstiennent aux élections législatives.
La gauche et la droite sont représentées, et il semble y avoir un glissement vers la gauche depuis le début des manifestations, surtout à mesure de l'implication de certains syndicats. En dehors des autocollants ou des drapeaux syndicaux occasionnels, il y a une entente tacite (brisée occasionnellement par des groupes trotskistes) selon laquelle aucune affiliation partisane ne doit être mise en avant - les gens se sont rassemblés dans leur révolte contre l'état actuel des choses, non pour représenter un parti particulier. Les rassemblements sont « organisés » par un certain nombre de pages Facebook apolitiques.
Cette formation en mouvement sans leader signifie que les exigences du mouvement sont extrêmement hétérogènes, souvent naïves et parfois contradictoires, et que l'avenir politique du mouvement est imprévisible. Mais elle signifie aussi que le soulèvement est très difficile à identifier, à cibler et à stopper pour l'administration de Macron. Il n'y a pas de syndicat ou de parti à calomnier ou à récupérer, il n'y a pas d'entité qui puisse être achetée, pressurée ou avec qui négocier, il n'y a pas de figure de proue à décapiter. Il n'y a qu'une masse informelle de gens en colère, désabusés par la politique traditionnelle et unis dans une couleur nouvelle et inconnue, le jaune.
Interrogé sur son point de vue sur le manque de leadership du mouvement, un manifestant qui a révélé qu'il était membre de la CGT, a déclaré que c'était une très bonne chose pour l'instant. Pendant des années, les syndicats ont connu une succession d'échecs parce qu'ils suivaient les formules traditionnelles des manifestations. Mais les anciennes tactiques n'allaient nulle part. Aucun soulèvement du type de celui des Gilets jaunes n'avait jamais eu lieu auparavant, il bouleverse les choses, c'est le mieux que l'on puisse demander pour l'instant. C'est un projet national, vraiment populaire, fort dans les zones rurales comme dans les villes, et soutenu par la grande majorité de la population française. Son imprévisibilité est, pour le moment, un avantage. Et c'est une importante « éducation de la rue » pour les jeunes militants. Nous verrons plus tard comment les choses évolueront, mais pour l'instant, c'est positif.
Un autre des manifestants, un ostréiculteur qui possède sa propre entreprise, travaille 7 jours sur 7 pendant de longues heures et affirme ne pas arriver à gagner un revenu décent, a dessiné un tableau plus sombre. Selon lui, le mouvement va basculer dans la violence car le gouvernement va refuser de changer quoi que ce soit et que les gens en auront assez de marcher dans les rues, d'être attaqués aux gaz lacrymogènes ou pire, et de ne pas être entendus.
Un homme âgé barbu, avec un gilet jaune et un béret coloré, a assisté à toutes les manifestations depuis le début. « Notre but », affirme-t-il, « est d'épuiser la police. » Il jette un coup d'œil à un groupe de jeunes hommes en tenue anti-émeute sortis d'un fourgon de police, qui prenaient position pour bloquer le passage d'un groupe de manifestants arrivés à l'intersection. « C'est pour qu'ils passent de notre côté. » Un nombre indéterminé mais censément important de policiers et de CRS ont pris des congés de maladie. Tenter d'épuiser la police est une tactique, mais il ne faut pas se faire d'illusions quant à les faire changer de camp. Comme l'expliquait Marx dans L'Idéologie allemande, l'État bourgeois et sa police sont garants de leurs intérêts mutuels. Les personnes fatiguées ou réticentes peuvent facilement être remplacées, comme n'importe quels autres travailleurs.
Afin d'essayer d'absorber, de nettoyer et de neutraliser l'odeur de cette énergie rebelle qui se répand comme une tache d'huile, le gouvernement a instauré un « grand débat », en invitant les gens à donner leur avis sur 35 questions présélectionnées sur 4 thèmes (hors impôt sur la fortune), dans des assemblées locales, sur une plate-forme en ligne, par courrier postal et dans des stands publics.
Après un mois de ce processus, dans chaque région, 100 personnes choisies au hasard débattront des sujets et tenteront d'apporter des suggestions concrètes. Apparemment une mesure désespérée et précipitée, dénoncée comme une mascarade et un écran de fumée par les gilets jaunes, ce grand débat pourrait facilement se retourner contre Macron. Comme il s'agit d'un processus laborieux qui exclura nécessairement plus de gens qu'il n'en inclura, il donnera probablement une nouvelle preuve de l'insincérité et de la théâtralité de Macron. Il donnera également aux médias l'occasion de réprimander les manifestants Gilets jaunes pour avoir continué à protester, malgré l'invitation à se faire entendre par la voie institutionnelle. Mais d'autres forums de débat sont également en train de voir le jour.
Que le gouvernement entende ou non les manifestants dans les rues, il entend certainement les protestations des propriétaires d'entreprises qui perdent de l'argent à cause des événements hebdomadaires. Deux milliards d'euros d'affaires ont été perdus en décembre dans le secteur du commerce de détail en raison des protestations, deux milliards dans le transport et la distribution, et le secteur agro-alimentaire estime une perte potentielle de 13 milliards depuis la mi-novembre, en grande partie à cause des blocages d'autoroutes et d'intersections. Le tourisme a chuté de 10%, 4000 voitures et 2000 entreprises ont été vandalisées pour un total de 100 à 200 millions d'euros de dommages et intérêts, et les groupes financiers qui envisagent de s'installer à Paris après avoir quitté Londres à cause du Brexit hésitent maintenant, en « s'interrogeant sur les conséquences et la pérennité de ce mouvement ». D'ores et déjà, Macron est considéré comme un canard boiteux par ses homologues européens, car il a perdu le soutien de la population et se montrera peut-être incapable de mettre en œuvre le reste de son programme volontariste de réformes favorables au capital.
Mais même avec la meilleure des volontés, Macron aurait du mal à ramener le modèle social français tel qu'il existait pendant les Trente Glorieuses, entre 1945 et 1975. Le mouvement des Gilets jaunes appelle essentiellement à un retour à ce modèle social, et leur mouvement est né de la crise de l'État-providence européen dans sa dernière forteresse, la France. Mais l'État-providence est (était) une tentative de stabilisation du capitalisme dans les pays hautement développés, et plutôt que d'essayer de le sauver ou de le ramener, nous devrions appeler à une nouvelle forme de socialisme.
Les dépenses et le système redistributif, sur lequel repose l'État-providence, sont étirés jusqu'à leur limite, provoquant la crise qui a déclenché les protestations. Le déficit budgétaire keynésien tente de stabiliser le capitalisme en fournissant des amortisseurs pendant ses crises inévitables, mais il ne marche pas dans le contexte d'une dette chronique élevée. La dette publique française représente 99 % du PIB, contre 67 % en 2008. La réduction de la dette et la relance des mécanismes de redistribution dépendraient des recettes fiscales, mais l'imposition des riches et des entreprises, dans une économie mondialisée, les faire fuir le pays. La seule façon de garder les entreprises, les usines et leurs profits dans le pays serait de les nationaliser pour qu'elles ne puissent pas partir. Pour créer une « redistribution » viable, c'est-à-dire une véritable égalité économique, les moyens de production doivent être la propriété de l'État.
Les manifestants appellent l'État à « taxer les grands et les petits ». Les 40 plus grandes entreprises françaises (CAC 40) ont réalisé des bénéfices records en 2017 et 2018, et les Français le savent. Mais l'impôt français sur les sociétés est l'un des plus élevés au monde (33,3 %, mais il tombera progressivement à 25 % d'ici 2022), et les grandes entreprises, qui exploitent déjà toutes les possibilités d'optimisation fiscale possibles, pourraient déplacer leur siège social ailleurs, par exemple en Irlande, où les taux d'imposition des sociétés sont nominalement de 12,5 % mais en réalité de 2-4 %. Les entreprises sont imposées en fonction de l'emplacement de leur siège social et non de l'endroit où elles fabriquent ou vendent leurs produits. Les petites et moyennes entreprises qui ne peuvent pas partir sont déjà surtaxées, et certains d'entre elles portent des gilets jaunes le samedi. Augmenter l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui ont déjà un pied dehors ne ramènera pas l'État-providence.
La lutte contre l'évasion fiscale - légale, dite « optimisation » ou illégale, dite « fraude » - des grandes entreprises et des milliardaires est un miroir aux alouettes, un artifice de communication sans suites concrètes possibles. Les paradis fiscaux sont des zones franches qui opèrent hors des lois et règlements des autres pays, de sorte qu'aucune poursuite judiciaire ne peut les atteindre. Voir le documentaire « La toile d'araignée » en VOSTFR, NdT|#e5e4e4
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Les Gilets jaunes sont particulièrement en colère contre Macron à propos de l'abolition de l'ISF, alors que leurs propres impôts augmentent, que leurs salaires et pensions baissent et que les services publics s'étiolent. Mais l'impôt sur la fortune n'a rapporté que 1,4% des recettes fiscales en 2017, sa dernière année d'existence, et il a été plus symbolique que significatif pour le budget. Le réintégrer ou même l'augmenter ne rétablirait pas les conditions nécessaires à l'État-providence, et l'argent des riches continuerait tout simplement à sortir de la France.
Dans nos économies mondialisées et désindustrialisées actuelles, la fiscalité ne peut pas fournir les revenus nécessaires aux programmes sociaux associés à l'État-providence. La richesse privée s'enfuit nécessairement. Seule la propriété publique des sources de richesse peut financer les programmes sociaux auxquels les Français sont habitués, et plus encore.
Le socialisme est la seule réponse à la situation de crise de l'État-providence. La seule façon de conserver les gains de l'activité économique à l'intérieur du pays et à la disposition des services sociaux est de nationaliser les industries, afin qu'elles deviennent des biens publics, détenus par l'État et non par des particuliers et des actionnaires. La seule façon de maintenir et de payer les programmes publics auxquels la population est attachée, c'est de les financer par la propriété de l'État sur les moyens de production et de distribution. L'État-providence est en jeu, et les protestations des Gilets jaunes en sont symptomatiques. Plutôt que de regarder en arrière et de souhaiter son retour, nous devrions nous tourner vers l'avenir et créer les conditions du socialisme.
Le Figaro, le principal quotidien conservateur français, a récemment publié un article ultralibéral affirmant que le mouvement des Gilets jaunes est « le fruit des agonies de l'État-providence ». En cela, l'analyse est correcte (bien que l'incohérence de la métaphore soit une maladresse). Mais la solution proposée est inhumaine : pour surmonter la crise, il faut plus de « libéralisme », la libération du capitalisme de la dernière emprise de l'État providence ; il faut « organiser le retrait progressif mais complet du pouvoir public » de l'économie. Au diable les gens qui ne font pas partie de l'économie de Silicon Valley, sauf (peut-être !) en tant que consommateurs finaux. Les idéologues de l'élite se réjouissent des souffrances de l'État-providence et attendent sa mort. Le capitalisme « libéré » (barbare) est une voie possible, le socialisme est l'autre. Il n'y a pas d'autre issue.
Qu'est-ce que l'État-providence ? Il s'agit d'une série de concessions faites par l'élite capitaliste occidentale, sous la pression des luttes ouvrières, pour rendre le capitalisme un peu moins inhumain dans les pays occidentaux et empêcher ainsi les révolutions socialistes. Il n'est pas seulement le résultat de générations de luttes ouvrières pour des acquis sociaux, mais aussi d'une création défensive du milieu du XXe siècle pour stopper l'expansion des mouvements socialistes à l'Ouest.
Dans la première moitié du XXe siècle, les mouvements luttant pour le socialisme étaient très forts en Occident, malgré la répression qu'ils encouraient. Les avancées du capitalisme produisaient des crises économiques profondes, un chômage massif et des guerres, et il était clair pour tous à l'époque que l'économie planifiée soviétique avait beaucoup plus de succès que l'économie occidentale dans les années 30 (quoi qu'on puisse penser de l'URSS par ailleurs). Elle s'était développée si vite qu'en 25 ans, elle avait fait passer l'URSS du moyen-âge à une nation capable de remporter la victoire sur l'armée la plus moderne du monde. [De 1917, date de la révolution d'octobre jusqu'à l'invasion de l'Union soviétique par les troupes d'Hitler en 1941, NdT].
Il était donc clair qu'une économie planifiée était plus efficace que le chaos et le gaspillage du capitalisme. Pour empêcher la propagation des idées socialistes, l'élite capitaliste occidentale avait adopté une double démarche : la répression et les concessions. Le New Deal et l'État-providence étaient essentiellement des concessions destinées à stopper le développement des mouvements socialistes dans les pays capitalistes. Ils faisaient partie de la stratégie adoptée par l'élite économique, des années 30 jusqu'aux années 60, pour stabiliser le capitalisme en Occident.
Quoi que l'on puisse penser de la réalité des systèmes soviétique et chinois, leur effet en Occident au XXe siècle a été de poser des limites au capitalisme occidental, qui a mis un masque d'humanité. Puis, dans les années 1990, alors qu'il ne semblait plus y avoir de menace, plus de système alternatif en concurrence idéologique, les capitalistes ont cessé de donner, et ont tombé le masque. Les Gilets jaunes sont confrontés à son vrai visage.
Qui plus est, l'État-providence est inséparable de l'impérialisme occidental, qui a largement contribué à son financement en détournant les ressources de ses colonies. L'élévation du niveau de vie en Occident s'est accompagnée d'une surexploitation des peuples du Sud, qui ont été maintenus dans le sous-développement et la dette. Leurs matières premières et leurs produits agricoles ont été pratiquement pillés, leurs travailleurs surexploités et sous-payés, leur développement industriel local freiné par les importations forcées, leurs gouvernements soumis aux puissances occidentales et à leurs intérêts commerciaux.
Profitant objectivement de l'exploitation de ses homologues du Sud, une grande partie de la classe ouvrière occidentale (et plus encore de la classe moyenne) a cru que le capitalisme pouvait apporter la prospérité. Avec la crise de l'État-providence, ils sont confrontés à la vérité. Cela ne veut pas dire que les États socialistes, non coupables d'exploitation impérialiste, ne sont pas en mesure d'assurer un niveau de vie élevé. Notre niveau de développement actuel est suffisamment élevé pour assurer un bon niveau de vie à tous, et même avec moins d'heures de travail, si nous n'avions pas d'entités privées et d'individus pour siphonner toute la richesse.
L'une des mesures du niveau de vie d'un pays est le revenu national brut (RNB : revenu total perçu de sources nationales et étrangères) divisé par le nombre d'habitants. Mais si au lieu de cela nous prenons le RNB et le divisons par la population nationale, plus le nombre de personnes dans les pays étrangers qui contribuent directement à ce revenu - par exemple les travailleurs exploités qui fabriquent des produits Apple, cueillent des bananes Chiquita, exploitent le cuivre pour Freeport McMoRan, etc. - le « niveau de vie » du pays chuterait considérablement. En outre, le capitalisme, y compris sa forme appelée État-providence, a toujours été dépendant de l'exploitation de travailleurs sans papiers résidents.
L'État-providence n'a jamais apporté ses bénéfices qu'à une petite partie privilégiée de la population mondiale, et a créé l'illusion chez eux que le capitalisme peut être humain. C'est essentiellement réactionnaire, non viable et ça ne vaut pas la peine de se battre. C'est pour le socialisme que nous devrions nous battre. En abandonnant l'aspiration au modèle de l'État-providence, nous n'abandonnons certainement pas la lutte pour les droits des travailleurs, les services sociaux et tous les autres avantages associés à l'État-providence. Nous nous battons pour cela avec une vision plus claire de l'objectif : le socialisme.
La faiblesse du mouvement des Gilets jaunes tient à l'imprécision de ses revendications, qui appellent au retour de l'État-providence. Mais sa force réside dans son dynamisme, sa détermination, sa taille et son sentiment profond et justifié de colère face aux injustices et aux inégalités économiques. Pour gagner, nous devons cesser de regarder en arrière, et commencer à regarder vers l'avenir, vers la construction du socialisme.
Traduction et notes Entelekheia
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