Source : 20 minutes, Vincent Vantighem, 10-12-18
Ancien président de la Ligue des droits de l'homme et avocat depuis 60 ans, Henri Leclerc réagit au sujet des manifestants arrêtés préventivement, samedi, en marge de la mobilisation des « gilets jaunes »...
- Plusieurs manifestants ont été arrêtés samedi avant même de rejoindre les cortèges des «gilets jaunes».
- L'article 222-14-2 du Code pénal punit en effet le fait de « participer à un groupement en vue de commettre des dégradations ».
- Le parquet a déjà annoncé que 494 procédures ont été classées sans suite.
« Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement (...) en vue de la préparation (...) de violences ou de destructions est puni d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende... » Deux jours après l'acte 4 des « gilets jaunes », on risque d'entendre beaucoup parler de l'article 222-14-2 du Code pénal au tribunal correctionnel de Paris.
C'est sur son fondement que de nombreux manifestants ont été arrêtés, samedi, avant même qu'ils ne commettent le moindre acte de dégradation ou de violence. Avant même, pour certains, qu'ils n'atteignent le cortège de « gilets jaunes » dans lequel ils voulaient manifester. Il suffisait aux forces de l'ordre de trouver sur ces manifestants des éléments (masque de protection, lunettes de natation, etc.) pour estimer qu'ils allaient commettre des violences et donc les envoyer en garde à vue toute la journée. Les empêchant donc de manifester leur colère.
Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des droits de l'homme, figure tutélaire de nombreux avocats depuis soixante ans, explique en quoi cette loi peut être liberticide si elle est mal appliquée.
Vous connaissez bien cet article 222-14-2 du Code pénal. Qu'en pensez-vous ?
Oui, je connais bien ce texte. Il m'a été opposé lors du procès d'Angel Bernanos dans l'affaire dite du « quai de Valmy » [l'attaque d'une voiture de police par des manifestants le 18 mai 2016 à Paris]. Et il a été relaxé de ce chef. C'est un texte qui date de 2010, à l'époque de Nicolas Sarkozy, pour renforcer la lutte contre les bandes violentes. Pour moi, c'est un texte de loi qui est très incertain, très vague dans sa rédaction.
Il faut prouver que celui qui est arrêté sait que le groupe qu'il va rejoindre est violent avant même qu'il ne l'ait rejoint. C'est assez compliqué à prouver en somme. Je ne serais pas surpris que la plupart des procès pour cela aboutissent à des relaxes.
Certains avocats expliquent que les autorités l'ont utilisé pour empêcher les gens de manifester...
Si ce texte a servi d'excuse pour arrêter des gens qui voulaient seulement manifester, alors c'est liberticide et très grave. La simple lecture du texte montre à quel point ce délit est contestable, mais il figure dans la loi.
Aujourd'hui, il faut faire en sorte qu'il ne soit pas utilisé dans le but d'attenter à la liberté de manifester. Cela serait très grave pour notre démocratie.
Comment faire alors que les violences et les dégradations se poursuivent, semaine après semaine ?
Je ne sais pas. Mais cela ne peut pas justifier de mettre en place de la répression préventive. Ce n'est pas acceptable. Dans ces cas-là, il n'y a qu'à rétablir l'état d'urgence. Cela ira plus vite ! Mais non, nous ne pouvons pas accepter les arrestations préventives. J'attends avec impatience de connaître les décisions qui seront prises par le tribunal correctionnel sur ce fondement-là.
Propos recueillis par Vincent Vantighem
Source : 20 minutes, Vincent Vantighem, 10-12-18