28/09/2024 investigaction.net  9min #257486

 Hassan Nasrallah a été tué, selon l'armée israélienne

Hassan Nasrallah est mort sur le chemin de la libération de la Palestine

Ali Abunimah

AFP

Hassan Nasrallah a été tué vendredi soir dans des bombardements israéliens sur la banlieue sud de Beyrouth. Ali Abunimah explique que c'est incontestablement un coup dur pour les mouvements de résistance au sionisme et à l'impérialisme occidental. Mais en situant ces événements dans le contexte plus large de la lutte anticoloniale et en analysant les perspectives sur le long terme, il explique aussi que cet apparent coup d'éclat des forces d'occupation ne scellera pas l'issue du combat pour la libération de la Palestine et du Moyen-Orient. (I'A)

Vendredi, Israël a assassiné Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, à travers le bombardement apocalyptique d'un quartier résidentiel dans la banlieue sud de Beyrouth. À court terme, cet attentat est susceptible de provoquer un choc énorme, du désespoir et du découragement parmi les partisans de la résistance au sionisme au Liban et dans toute la région.

C'est exactement le but recherché.

 Confirmé par le Hezbollah samedi, l'assassinat de Nasrallah intervient après une série de succès tactiques dans les premières phases de l'attaque totale d'Israël contre le Liban. Cet assaut sans limites  pourrait bien égaler en barbarie le génocide israélien de Gaza.

C'est une perspective terrible et difficile à digérer après presque un an de génocide.

Il y a d'abord eu les attaques aux bipeurs et talkies-walkies piégés. Puis une série d'assassinats des principaux dirigeants du Hezbollah. Et maintenant, celui du chef de l'organisation.

Comme Nasrallah l'avait lui-même admis dans son dernier discours, le Hezbollah a été durement touché par ces attentats aux bipeurs. Le pire était à venir. Il est clair qu'il y a eu de graves manquements en matière de sécurité.

Difficile de surestimer la stature de Nasrallah en tant que penseur tactique et stratégique, en tant que leader le plus éminent et le plus respecté de l'Axe de la Résistance, et en tant que personnalité capable d'inspirer et de rassurer ses partisans, même dans les pires moments.

L'euphorie en Israël, à Washington et dans certaines capitales arabes ne sera dépassée que par le chagrin des partisans de Nasrallah, qui sont bien plus nombreux.

Il ne fait aucun doute que la perte est considérable et aura un impact sur cette résistance qui est confrontée non seulement au formidable arsenal d'Israël, mais aussi à toutes les ressources des États-Unis et de l'Occident dans son ensemble.

La capacité d'Israël à mener cette série d'attaques en succession rapide ébranlera la confiance de beaucoup dans les prouesses légendaires et la sécurité opérationnelle du Hezbollah.

Ces attaques contribueront à restaurer le prestige que Tel-Aviv a perdu auprès de ses bailleurs de fonds occidentaux et arabes après une année d'échec militaire à Gaza et son incapacité à empêcher l'offensive militaire du Hamas qui a anéanti la division de Gaza de l'armée israélienne le 7 octobre 2023.

Bien que le Hezbollah ait bombardé de roquettes les installations militaires et les colonies israéliennes dans le nord de la Palestine historique, nombreux sont ceux qui, dans la région, se demandent pourquoi le groupe de résistance n'a pas réagi plus durement aux escalades israéliennes, alors même qu'Israël intensifiait ses bombardements sur les civils au Liban et dans la capitale.

Une autre question brûle de nombreuses lèvres : pourquoi l'Iran a-t-il fait preuve d'une telle retenue alors qu'il avait promis des représailles après qu'Israël avait assassiné Ismail Haniyeh, le chef du Hamas, à Téhéran en juillet dernier ? Certains estiment que cette absence de réaction n'a fait qu'encourager la violence toujours plus effrontée d'Israël.

Le choc et l'effroi ne constituent pas une victoire

L'évolution rapide de la situation et le torrent d'émotions suscité par une année de génocide israélien à Gaza, maintenant étendu au Liban, rendent difficile d'envisager les perspectives sur le long terme. C'est pourtant nécessaire pour développer une bonne analyse des événements.

Il est tout d'abord important de rappeler ceci : dans pratiquement toutes les guerres asymétriques, lorsque le camp du plus fort - à savoir l'envahisseur ou le colonisateur - passe à l'offensive, il semble souvent remporter un succès rapide et éclatant.

« Choc et effroi ». C'est le nom de  la doctrine militaire occidentale, étasunienne en fait, qui a été développée dans les années 1990 et  louée de manière explicite lorsque les États-Unis ont envahi l'Irak en 2003.

Également appelée « domination rapide », cette doctrine vise à démoraliser et à paralyser l'adversaire en recourant à des démonstrations de violence écrasantes et spectaculaires.

Selon les auteurs de la doctrine, l'objectif est de « surcharger les perceptions de l'adversaire et sa compréhension des événements de telle sorte que l'ennemi soit incapable de résister sur les plans tactique et stratégique ».

Nous l'avons constaté à maintes reprises au cours des dernières décennies et nous le constatons encore aujourd'hui.

Quelques semaines seulement après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont attaqué l'Afghanistan,  renversant rapidement le gouvernement taliban sous prétexte qu'il avait abrité Oussama ben Laden.

La confiance des Américains après ce succès apparent et rapide a sans aucun doute incité Washington à passer à l'étape suivante : l'invasion de l'Irak en mars 2003.

Le gouvernement de Saddam Hussein a été rapidement renversé et les chars américains ont pris le contrôle de Bagdad. Le président George W. Bush prononça alors le 1er mai de cette année-là  son tristement célèbre discours « Mission accomplie ». Ces mots ne cesseront de le hanter à mesure que les États-Unis s'enliseront dans une guerre d'usure contre la résistance, tant en Afghanistan qu'en Irak.

Ces victoires rapides, ou du moins ce qu'elles semblaient être, ont suscité à l'époque de réelles craintes que les forces US ne se dirigent ensuite vers Damas et Téhéran, ou peut-être vers d'autres « États voyous » figurant sur  la liste des cibles de l'Amérique.

Nous savons aujourd'hui, grâce aux «  Afghanistan Papers », que les bellicistes de Washington savaient depuis longtemps qu'ils avaient perdu la guerre. Mais ils ont menti à l'opinion publique américaine pendant près de vingt ans en lui faisant croire qu'ils étaient en train de la gagner.

Et lorsque les Américains  se sont retirés d'Afghanistan en août 2021, leur départ humiliant de l'aéroport de Kaboul a été largement comparé aux scènes chaotiques des Américains évacuant en hélicoptère le toit de l'ambassade des États-Unis à Saigon, au Viêt Nam.

Ce schéma est également apparu de manière évidente pour Israël. Lorsqu'il a envahi le Liban en 1982 - un assaut baptisé « Opération Paix pour la Galilée » - ses forces ont rapidement déferlé vers le nord jusqu'à Beyrouth, assiégeant et occupant une capitale arabe pour la première fois dans l'histoire de l'État colonisateur sioniste.

Israël a assassiné des dizaines de milliers de civils libanais et palestiniens et a expulsé l'Organisation de libération de la Palestine. Mais le succès, du point de vue de Tel-Aviv, s'est rapidement transformé en échec.

Au cours d'une longue occupation, la résistance à Israël s'est développée, notamment à travers le Hezbollah qui n'existait pas encore au moment de l'invasion israélienne.

À travers une guerre d'usure épuisante, le Hezbollah et d'autres groupes de résistance ont saigné les forces d'occupation israéliennes pendant deux décennies, jusqu'à ce qu'Israël, vaincu, se retire du Sud-Liban en mai 2000.

Il en va de même aujourd'hui avec ce génocide israélien soutenu par les États-Unis à Gaza. Israël déclare constamment qu'il a placé sous son contrôle total telle ou telle partie de Gaza. Mais les déclarations s'effondrent rapidement. Le fait est que la résistance continue de se battre dans toutes les parties de Gaza.

Jusqu'à présent, tous les plans israélo-américains du « jour d'après », dans lesquels un Hamas vaincu serait remplacé par une force de collaboration palestinienne soutenue par les Arabes, se sont effondrés.

L'un des facteurs qui poussent Israël à rechercher un « succès » spectaculaire au Liban consiste peut-être à détourner l'attention de son échec continu à Gaza.

Un tournant

Ce moment donne à réfléchir. C'est un tournant dans la longue guerre régionale pour la libération du sionisme raciste et colonial soutenu par l'Occident. Après un siècle de déprédations et d'horreurs sionistes, ni les peuples du Liban ni ceux de Palestine n'ont capitulé. Et il n'y a aucune raison de croire qu'ils le feront maintenant.

Au contraire, après le choc initial, la détermination de la résistance ne fera que croître, et son cercle s'élargira, comme il l'a fait dans toutes les phases de la lutte de libération.

Nasrallah a été assassiné avec des bombes et des avions de guerres made in USA. Et peut-être d'autres formes d'assistance de Washington. Mais cet assassinat ne changera pas la trajectoire du déclin de la puissance mondiale des États-Unis - puissance sur laquelle Israël compte pour sa survie.

Rappelons également que les sionistes ont toujours utilisé  l'assassinat comme tactique principale. Toutefois, leur guerre n'est pas dirigée contre des dirigeants individuels, mais contre des peuples entiers dont la détermination ne peut être aussi facilement étouffée.

Nasrallah a lui-même pris la tête du Hezbollah après l'assassinat par Israël de son prédécesseur Abbas al-Musawi en 1992. Et il a porté l'organisation à un niveau de puissance sans précédent.

Cette force ne repose pas sur la volonté d'un seul individu, mais sur une base de soutien profondément attachée à la cause et prête - comme Nasrallah lui-même n'a jamais manqué de le souligner - à consentir d'énormes sacrifices sur le chemin de la libération.

Si l'armée israélienne  a admis que le Hamas ne pouvait être détruit parce que « le Hamas est une idée, le Hamas est un parti », qu'en est-il du Hezbollah ?

Ce qui donne le plus à réfléchir, c'est que la guerre pour libérer la Palestine et la région du sionisme ne sera pas moins brutale pour les peuples de la région que les guerres pour libérer l'Algérie, le Viêt Nam, l'Afrique du Sud et tant d'autres endroits ciblés par l'empire euro-américain.

Après tout, les occupants et les colonisateurs sont les mêmes pays, et la haine génocidaire que leurs classes dirigeantes vouent aux peuples dont elles cherchent à usurper les terres et les droits n'a jamais faibli.

Comme d'autres avant lui, Nasrallah a sacrifié sa vie sur le chemin de la libération de la Palestine. Et cette lutte ne s'est pas arrêtée aujourd'hui.

Source originale:  Electronic Intifada
Traduit de l'anglais par GL pour  Investig'Action

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