The Lancet a publié une note de mise en garde sur sa très controversée publication sur l'hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19, qui a mené à son interdiction en France et à l'arrêt d'un essai clinique piloté par l'OMS.
La revue médicale britannique The Lancet a émis une «Expression of concern», c'est à dire une mise en garde formelle utilisée par ce type de support pour signifier qu'un article pose problème.
«D'importantes questions scientifiques ont été soulevées au sujet des données rapportées dans l'article», a écrit la revue au sujet de l'étude publiée le 22 mai et concluant à l'inefficacité, voire la dangerosité de l'hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19.
«Bien qu'un un audit indépendant de la provenance et de la validité des données ayant été commandé par les auteurs non affiliés à Surgisphere [entreprise de collecte de données médicales] est en cours, avec des résultats attendus très prochainement, nous publions une expression de notre inquiétude pour alerter les lecteurs sur le fait que de sérieuses questions scientifiques ont été portées à notre attention», enchaîne le Lancet avant de conclure en assurant qu'il publiera des précisions dès qu'il disposera de «plus amples informations».
Dans la foulée, l'OMS, qui avait suspendu les essais cliniques sur l'hydroxychloroquine contre le Covid-19 quelques jours seulement après la publication de l'article, a annoncé les reprendre. Après analyse des «données disponibles sur la mortalité», les membres du Comité de sécurité et de suivi ont estimé «qu'il n'y a aucune raison de modifier le protocole» des essais cliniques, a annoncé le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, au cours d'une conférence de presse virtuelle.
La vaste étude, qui prétend avoir analysé les données de 671 hôpitaux pour 96 000 patients sur les cinq continents, a conclu à l'inefficacité, voire à la dangerosité cardiaque de l'utilisation d'hydroxychloroquine ou chloroquine associée ou non avec un antibiotique dans le traitement du Covid-19. La lourde conclusion des auteurs, qui ont avancé un risque de mortalité de 34% à 45% plus élevé chez les malades recevant ces traitements, a fait l'effet d'une bombe auprès de plusieurs autorités sanitaires dans le monde. Quelques jours plus tard, la France interdisait l'utilisation de l'hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19.
Tout médecin qui lit cette étude s'aperçoit qu'il y a un problème
Une autre revue médicale, le New England Journal of Medicine a lui aussi publié une «expression of concern» concernant une autre publication d'un des auteurs de l'étude de The Lancet, qui ne portait pas sur l'hydroxychloroquine mais sur un lien entre la mortalité due au Covid-19 et les maladies cardiaques. Cette autre étude reposait elle aussi sur les données de Surgisphere.
«Tout médecin qui lit cette étude s'aperçoit qu'il y a un problème», a déclaré le sénateur LR et médecin Alain Houpert à RT France. «Je ne comprends pas que l'OMS ou le haut conseil de santé publique où il y a des scientifiques ne se soient pas aperçus qu'il y avait un problème sur cette étude et je ne comprends pas que notre ministre Olivier Véran qui est médecin, qui est neurologue de renom, ne se soit pas aperçu qu'il y avait des problèmes. Que veut-on cacher ?», a-t-il interrogé.
Mais l'élu, qui avait déjà déploré sur RT France le 26 mai que la publication scientifique soit «soumise maintenant à l'argent de l'industrie pharmaceutique» est allé plus loin : «On assiste à un détournement du savoir scientifique ce qui est grave parce que ça casse la confiance entre les chercheurs et les patients».
Le médecin n'est pas la seule personnalité politique à ouvertement pointer du doigt les influences subies par le monde médical : «Olivier Véran s'est précipité pour interdire le traitement à base d'hydroxychloroquine, tout cela sur la base d'une étude frauduleuse dénoncée désormais par de nombreux scientifiques. Est-ce le Ministre de la Santé ou celui des lobbies ? », a tweeté la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen.
Chiffres controversés
Dans une lettre ouverte du 28 mai, des dizaines de scientifiques du monde entier ont souligné que l'examen minutieux de l'étude du Lancet avait soulevé «à la fois des inquiétudes liées à la méthodologie et à l'intégrité des données». Ils ont dressé une longue liste des points problématiques, d'incohérences dans les doses administrées dans certains pays, aux questions éthiques sur la collecte des informations, en passant par le refus des auteurs de donner accès aux données brutes émanent de Surgisphere, qui se présente comme une société d'analyse de données de santé, basée aux Etats-Unis.
Devant les nombreuses mises en cause, le docteur Sapan Desai, co-auteur de l'étude du Lancet a reconnu auprès de Science et Avenir des erreurs de présentation des données, sans que cela n'altère les résultats de l'étude «ni ses conclusions».
Le 28 mai encore, la version australienne du Guardian, a relevé que les chiffres de mortalité dans ce pays ne correspondaient aux chiffres officiels (63 décès au 21 avril contre 73 à la même date selon les auteurs). Sur ce point, Sapan Desai avait évoqué une erreur et The Lancet avait dû publier un erratum. Le quotidien a par ailleurs interrogé plusieurs hôpitaux importants du pays (cinq hôpitaux à Melbourne et deux à Sydney), qui ont tous assuré ne pas avoir partagé leurs données médicales pour une étude, ni avoir jamais entendu parler de Surgisphere.
Un Lancetgate ?
Outre les failles de l'étude, c'est désormais sur Surgisphere, crée et administrée par Sapan Desai, que se concentrent les suspicions. Selon son créateur qui l'a expliqué au magasine Science et Avenir, l'entreprise fondée en 2008 est une «interface collaborative qui donne accès aux chercheurs à une base de données en temps réel avec information anonymisée de plus de 240 millions de visites médicales dans plus de 1 200 institutions de santé, dans 45 pays».
Or, depuis, plusieurs titres de presse et spécialistes ont noté une présence et une ancienneté plus que minime de la société sur Internet, qui prétend pourtant être à la pointe de son domaine.
Le médecin James Todaro, qui dirige le média MedicineUncensored, ou encore le quotidien France Soir ont notamment relevé, sur la base d'instruments de mesure numériques, qu'il n'existe pas de signe d'activité du site Internet de l'entreprise avant le mois de mars 2020, idem pour son compte Twitter, quasi inactif entre 2013 et 2020.
Je n'ai jamais vu ça avant et plusieurs recherches rapides montrent que cela n'arrive que pour les entreprises louches
«Je n'ai jamais vu ça avant et plusieurs recherches rapides montrent que cela n'arrive que pour les entreprises louches», a twitté James Todaro, accompagné d'une capture du site Wayback machine, qui permet de retracer l'historique d'un site Internet, sans indications probantes pour celui de Surgisphere.
I've never seen this before, and some quick research shows that this only happens around shady companies...
Autre interrogation majeure, les salariés de l'entreprise : les quatre identifiés sur le réseau social professionnel LinKedIn par France Soir n'ont rejoint la société que très récemment, soit en mars 2020 ou en avril 2020. Le Guardian, qui note en outre qu'un salarié «répertorié comme rédacteur scientifique» par l'entreprise, «semble être un auteur de science-fiction et un artiste fantastique», tandis qu'une «autre employée répertoriée comme directeur du marketing est un modèle [de contenu] pour adulte et une hôtesse d'événements». France soir estime en outre que la collecte et la compilation de données aussi importantes requiert «les compétences d'une équipe internationale, multilingue, légale pendant des années».
L'entreprise, relève France soir, possède en outre quatre adresses... dont deux correspondent à des maisons individuelles et une à une résidence «de type appart'hotel». Le média n'a en outre retrouvé aucune déclaration d'impôts de cette entreprise, censée avoir 8 millions de dollars de chiffres d'affaire et que «des sociétés au même nom ont été créées et radiées plusieurs fois dans divers états [américains] pour non-production des comptes». En outre, des 39 publications médicales publiées par Sapan Desai, seules les deux dernières, dont celle de The Lancet, s'appuient sur des informations collectées par la société.
Sur twitter, le mot-clef #LancetGate est depuis ces différentes révélations largement usité, notamment par le directeur de l'IHU Méditerranée Infection Didier Raoult, principal promoteur des traitements à base d'hydroxychloroquine contre le Covid-19. Ce dernier a publié une vidéo sur la chaîne YouTube de l'institut baptisé « #LancetGate. Les Pieds nickelés font de la science » à ce sujet, et qualifié dans une autre l'étude publiée dans The Lancet de «foireuse» et de «fantaisie complètement délirante qui prend des données dont on ne connaît pas la qualité».
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